Réforme de la commercialisation des semences : libérer la biodiversité cultivée ou les OGM brevetés ?
Pour Guy Kastler, de la Confédération Paysanne, la proposition de nouveau règlement sur le « matériel de reproduction des végétaux » est présentée comme une réponse aux demandes de nombreux paysans, petits semenciers, consommateurs et de la société civile. L’objectif de ces derniers est de stopper l’érosion drastique de la biodiversité cultivée et alimentaire, résultant de l’obligation d’homogénéité et de stabilité des variétés. Mais l’abandon du monopole de ces normes du catalogue et du droit d’obtention végétale cache mal la mise en place d’un nouveau contrôle du marché. Ce contrôle s’effectue par les marqueurs moléculaires des gènes modifiés brevetés et par les obligations de lutte chimique et génétique contre l’effondrement de la santé des plantes industrielles « améliorées » et génétiquement modifiées.
Alors que la proposition de déréglementation des OGM occupe une certaine attention, une proposition de règlement sur la commercialisation des semences et autres matériels de reproduction des végétaux est également discutée à Bruxelles, beaucoup plus confidentiellement. Pour éclairer les enjeux de ces discussions, Inf’OGM publie ici une analyse critique portée par un des acteurs du dossier, Guy Kastler, de la Confédération Paysanne.
Le 5 juillet 2023, la Commission européenne proposait, le même jour, deux nouveaux textes réglementaires. Le premier concerne les plantes OGM et leur déréglementation. Le second concerne le « Matériel de Reproduction des Végétaux » (MRV)1. Ce « MRV » désigne dans la novlangue industrielle ce que les paysans nomment des semences et des plants, soit les organes de reproduction d’organismes vivants. Ceux-ci méritent une attention et un respect bien supérieurs à celui accordé à un quelconque matériel.
Supprimer toute protection nationale des droits des paysans, des réseaux de conservation et des jardiniers amateurs
L’encadrement juridique européen de la commercialisation des semences et plants repose aujourd’hui sur une dizaine de directives, spécifiques à chaque grande famille de plantes, que les États peuvent adapter dans leurs lois nationales à leurs particularités agricoles et culturelles. La proposition MRV remplace ces directives par un règlement s’imposant de fait à tous les États membres et ne supportant donc aucune interprétation nationale. Elle ne peut se comprendre séparément de sa jumelle concernant les OGM issus de « nouvelles techniques génomiques » (NTG)2 et des autres réglementations concernant, notamment, la propriété intellectuelle, la santé des plantes et le contrôle de la chaîne alimentaire.
Adoptée, elle supprimerait la possibilité actuellement accordée aux États d’interdire ou de définir des conditions de culture de variétés pouvant, comme les OGM, porter atteinte à la culture d’autres variétés, à la santé ou à l’environnement.
Elle encadrerait aussi tous les échanges de semences et de plants, y compris entre agriculteurs, associations de conservation de la biodiversité et jardiniers amateurs, contrairement aux directives actuelles qui s’appliquent aux seuls échanges « en vue d’une exploitation commerciale », et non en vue de la sélection et de la conservation à la ferme et dans les jardins. Cet encadrement, salué comme une avancée dans les quelques États qui interdisent aujourd’hui ces échanges, serait un important recul dans ceux qui ne les réglementent pas.
Depuis 2014, la loi française autorise explicitement les échanges, entre agriculteurs, de semences et de plants non couverts par un droit d’obtention végétale, y compris contre rémunération des frais, dans le cadre de l’entraide agricole, et donc hors des obligations s’appliquant à leur commercialisation. Son catalogue « amateur », ouvert en 1998, n’est pas obligatoire pour commercialiser des semences qui ne sont pas destinées à la culture commerciale. La proposition MRV définit tous ces échanges comme de la commercialisation et les soumettrait ainsi aux contraintes spécifiques du commerce global : obligations de stérilisation « sanitaire », d’analyses, d’enregistrements bureaucratiques, de contrôles, d’agréments administratifs… Elle interdirait les échanges de plants entre agriculteurs et limiterait les échanges de semences à des quantités restreintes non encore définies. Elle les soumettrait aux mêmes contraintes sanitaires que le commerce global de semences, bien plus contraignantes que celles destinées à la culture agricole.
L’obligation de multiplier les semences échangées dans des parcelles spécifiques, séparées de toute culture agricole, et de garantir l’absence de toute trace de pathogènes supprimeraient l’intérêt principal des échanges destinés à la sélection et à la conservation à la ferme ; intérêt qui est de favoriser l’adaptation des plantes aux conditions locales de culture afin de résister par elles-mêmes aux pathogènes. Une plante ne peut en effet apprendre à résister qu’à ce qu’elle peut connaître. C’est pourquoi cette adaptation ne peut se faire que dans les parcelles de production agricole destinées au marché et sans éradication totale de tout pathogène, et non dans les conditions de cultures hyper-artificialisées par les pesticides et autres éradications, rendus obligatoires par les règlements sanitaires de production de semences commerciales.
Ouvrir largement le marché aux OGM brevetés
Toutes les techniques de manipulation génétique déstabilisent profondément le génome des plantes. De multiples rétro-croisements sont ensuite indispensables pour stabiliser les variétés de laboratoire – seules à être manipulées génétiquement – puis les variétés commerciales élites avec lesquelles elles sont croisées pour y intégrer les gènes modifiés. Les contraintes de distinction, d’homogénéité et de stabilité (DHS) des variétés commerciales, imposées par le catalogue et le droit d’obtention végétale (DOV), rallongent et augmentent grandement le coût de ce fastidieux travail, lorsqu’elles ne le rendent pas impossible.
De son côté, le brevet sur les gènes modifiés offre aux semenciers une protection intellectuelle plus stricte que le DOV, sans imposer ces contraintes DHS. Encore faut-il que le catalogue ne les impose plus, lui aussi, pour que ces gènes brevetés puissent arriver sur le marché. Le droit européen s’est déjà ouvert au « matériel hétérogène » non DHS. Mais cette ouverture est réservée aujourd’hui aux seules semences biologiques qui refusent tout OGM et, de ce fait, la plupart des brevets. Qu’à cela ne tienne ! Le projet de règlement MRV veut l’ouvrir aux semences non biologiques et donc aux OGM/NTG brevetés. Il en est de même des nouvelles variétés de conservation ou amateurs non soumises aux obligations de DHS du catalogue officiel et du DOV3.
Faciliter la confiscation de toutes les semences paysannes et traditionnelles par les brevets d’une poignée de sociétés transnationales
Selon l’Anses, la proposition de règlement OGM/NTG repose sur un postulat « sans aucun fondement scientifique », voulant que les OGM issus de NTG soient semblables à des plantes issues de sélection paysanne ou traditionnelle4. Ce postulat permet notamment de justifier la suppression de l’obligation de publication du procédé d’identification des OGM/NTG. Dès lors, la portée des brevets couvrant ces OGM/NTG s’étendrait à toutes les semences paysannes et traditionnelles contenant naturellement des caractères semblables à ceux revendiqués par ces brevets5.
Seuls les paysans ou petits semenciers qui, avant la revendication de tels brevets, auront analysé et publié toutes les séquences génétiques de toutes leurs semences et déposés un échantillon de chacune d’entre elles dans des collections officielles pourront dès lors prouver qu’elles ne sont pas issues de l’invention brevetée. Mais aucun d’entre eux n’effectue de telles analyses, beaucoup trop coûteuses et non indispensables à leur travail. En cas de poursuite ou de saisie sur simple présomption de contrefaçon, ils ne pourront dès lors pas démontrer qu’ils ont obtenu leurs semences sans recours au procédé breveté et seront condamnés. L’ouverture du marché aux OGM/NTG faciliterait ainsi la confiscation de toutes les semences par ces brevets pirates.
Et, pour l’inscription au catalogue, le remplacement en cours de la caractérisation phénotypique des variétés par les marqueurs des gènes brevetés faciliterait la chasse aux contrefaçons, qu’elles soient volontaires, qu’elles résultent de contaminations génétiques fortuites ou d’extension abusive de la portée de brevets NTG à des caractères « natifs ». Un test aussi simple que celui du Covid permet en effet d’identifier un gène breveté dans la récolte et jusqu’au rayon du supermarché, contrairement aux caractères phénotypiques des plantes du DOV qui ne peuvent, pour la plupart, être identifiés qu’en déplaçant des experts dans les champs.
Interdire définitivement les semences de ferme
Suite à de fortes mobilisations paysannes, la réglementation européenne a reconnu le droit des paysans d’utiliser les semences issues de leurs propres récoltes de variétés couvertes par un DOV, y compris si certains de leurs caractères sont brevetés (en contrepartie de redevances). Mais ce droit ne concerne que les variétés couvertes par un DOV. Il ne s’appliquera pas au matériel hétérogène et aux nouvelles variétés de conservation OGM/NTG couvertes par brevet, et non par un DOV6. Les semences de ferme de ces variétés contenant des gènes brevetés inscrites au catalogue, hétérogènes ou de conservation, deviendraient donc illégales !
Rejeter tous les brevets sur le vivant pour libérer la biodiversité cultivée !
Le 7 février 2024, le Parlement européen a proposé d’interdire la brevetabilité des plantes issues de NTG. Mais à quoi bon, s’il n’interdit pas aussi la brevetabilité des techniques NTG elles-mêmes ? La portée d’un brevet portant sur un procédé peut en effet s’étendre à tous les produits issus de ce procédé et à leur reproduction. Et, comme pour les brevets sur les plantes issues de NTG, la portée d’un brevet sur une NTG pourra dès lors s’étendre à toutes les plantes contenant naturellement un caractère semblable à celui revendiqué comme ayant été obtenu par cette NTG.
Interdire tous les brevets sur le vivant et les autres atteintes (normatives, bureaucratiques et soit-disant « sanitaires ») aux droits des paysans à conserver, utiliser, échanger et vendre leurs semences reste la seule manière de libérer définitivement la biodiversité cultivée.
- Parlement européen, « 2023/0227(COD) – Production et commercialisation de matériel de reproduction végétale dans l’Union ». ↩︎
- Eric MEUNIER, « La Commission européenne veut en finir avec les OGM », Inf’OGM, 24 juillet 2023. ↩︎
- Actuellement, les variétés de conservation sont obligatoirement anciennes, comme l’indique leur dénomination et ne sont donc pas des OGM/NTG brevetés. Mais le règlement MRV n’est pas à une contradiction près en prévoyant que ce qui est conservé est tout de même nouveau, ce qui lui permet d’être un OGM/NTG. ↩︎
- Eric MEUNIER, « Anses : la dérèglementation des OGM est « sans fondement scientifique » », Inf’OGM, 16 janvier 2024. ↩︎
- Articles 8 et 9 de la directive 98/44/CE. ↩︎
- Article 11 de la directive 98/44/CE. ↩︎