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OGM : la DG Santé veut faciliter la diffusion des brevets
La DG Santé de la Commission européenne s’apprête à soumettre au vote des commissaires une proposition de dérèglementation complète de plusieurs OGM. Elle prévoit ainsi de priver l’Union européenne de tout moyen de contrôler ces produits. Pour nombre d’organisations, cette possible dérèglementation priverait les agriculteurs, transformateurs et consommateurs de leur liberté de choix.
Depuis plusieurs années, la Direction Générale de la Santé de la Commission européenne s’active pour que de nombreux OGM soient exemptés des requis d’évaluation des risques et d’étiquetage imposés par la directive 2001/18. Le 5 juillet prochain, les commissaires européens ont à l’ordre du jour de leur réunion le vote sur une proposition réglementaire dont le contenu a fuité récemment [1].
Une dérèglementation à tout va
Dans les grandes lignes, le projet de la DG Santé, tel qu’il a fuité, est assez basique [2]. L’encadrement actuel des OGM (directive 2001/18) impose une évaluation des risques, une autorisation de commercialisation, un étiquetage et une traçabilité des OGM de la semence au produit final et une surveillance après leur commercialisation. Dans son projet, la DG Santé souhaite que ces requis ne concernent, dans le futur, que les végétaux qui ont été génétiquement modifiés par des techniques déjà développées en 2001. Ces techniques sont nommées dans le document « techniques de modification génétique ». Les diverses techniques de mutagénèse principalement développées avant 2001 – pour reprendre le calendrier de la DG Santé – sont, elles, manifestement considérées comme déjà exemptées des requis.
Pour les autres techniques que la DG Santé appelle « nouvelles techniques génomiques » (NGT – new genomic techniques), il s’agit d’une « variété de techniques qui peuvent altérer le matériel génétique d’un organisme et qui ont émergé ou ont été développées depuis 2001 ».
Un changement d’approche et un interdit
Contrairement à la législation en cours, le projet de la DG Santé repose uniquement sur le produit final. Peu importe la manière dont l’OGM a été obtenu. Si l’entreprise ne déclare pas d’insertion d’ADN étranger issu d’organisme non sexuellement compatible dans le génome, cette plante sera de facto considérée comme « équivalente à des plantes conventionnelles ». Aucune évaluation de risques préalables ni autorisation formelle ne seront alors exigées, une simple notification suffira alors pour accéder au marché. Pour l’étiquetage, la mention « OGM » n’existera plus. Seuls les acheteurs de semences pourront lire la mention « nouvelles techniques génomiques » obligatoire sur les lots de semences.
Enfin, le texte mentionne que ces OGM seront interdits dans les filières de l’agriculture biologique.
Aucune mesure de détection et traçabilité
Mais, dans le projet qui a fuité, la DG Santé ne prévoit rien pour permettre le contrôle de cet étiquetage ou de son absence. Aucune méthode de détection, identification et traçabilité de ces OGM qualifiés par la DG Santé de NGT n’est requise. Une traçabilité documentaire reste bien entendu possible, mais elle ne pourra pas être vérifiée. Ainsi les acheteurs et l’Union européenne seront incapables de surveiller la bonne application de la loi.
Effet corolaire : l’Union européenne sera aveugle sur la présence de brevets dans ces plantes. De tels brevets existent pourtant, restreignant le droit des agriculteurs et autres semenciers à utiliser les plantes pour produire leurs propres semences. En début d’année, la Confédération Paysanne avait alerté sur ce problème. Dans une tribune publié le 13 mars 2023, ce syndicat écrit que « tous les OGM, « anciens » ou « nouveaux », sont en effet couverts par des brevets générant d’immenses profits. Ces brevets sont le principal moteur des investissements dans la manipulation des gènes. En l’absence de traçabilité et de publication des procédés permettant de distinguer ces OGM de toute plante portant, naturellement ou suite à l’utilisation de techniques traditionnelles de sélection, la même caractéristique que celle revendiquée dans un brevet, la portée de ce dernier s’étendra à toutes les plantes présentant la même caractéristique (par exemple, la résistance à une maladie), y compris celles issues de sélections paysannes ou traditionnelles non brevetables » [3]. Les semenciers français RAGT et Florimond Desprez, de leur côté, avaient aussi publiquement expliqué en février 2023 leur crainte qu’une dérèglementation de ces OGM ne serve surtout à la diffusion incontrôlée des brevets associés. Ainsi, Marin Desprez observait que « l’activité foisonnante qu’on trouve autour des NBT est plus des dépôts de brevets, qui sont une menace pour les semenciers de taille intermédiaire ou moyenne et petite et les agriculteurs, qu’autre chose » [4]. Il alertait sur le fait qu’il « ne faut pas non plus que [les nouvelles techniques de modification génétique] soient le cheval de Troie de la privatisation du vivant ».
Des réactions unanimes d’acteurs opposés
Plusieurs organisations de la société civile ont critiqué le projet de la DG Santé. Pour l’Observatoire européen des entreprises (CEO), mettre un terme à l’encadrement de ces OGM induirait « des risques de biosécurité et abolirait la liberté de choix des consommateurs. Comme ces semences NGT seront brevetées, cela va éroder les droits des agriculteurs et conduire à un monopole sur le marché déjà concentré des semences » [5]. Une situation d’autant plus problématique pour l’organisation bruxelloise que, dans ces conditions, « les entreprises qui dominent déjà dans le domaine des brevets sur ces techniques comme Corteva, Bayer et BASF pourront pénétrer le marché européen avec des OGM non étiquetés, non tracés mais brevetés ce qui accentuera leur contrôle sur les agriculteurs et la production alimentaire en Europe ».
De son côté, le secteur du bio, par la voix de son organisation Ifoam (International Federation of Organic Agriculture Movements), a dénoncé le déni du Principe de précaution que représenterait l’adoption de cette proposition législative. La traçabilité et l’étiquetage, rappelle Ifoam, sont fondamentaux pour protéger les produits bio sans OGM des contaminations [6]. Cette absence de traçabilité et d’étiquetage inquiète également le monde politique, à l’instar de l’eurodéputé français Benoît Biteau (Groupe des Verts/Alliance libre européenne), qui estime qu’avec cette proposition, « les multinationales semencières auront tout gagné alors que les paysans et consommateurs auront tout perdu ». Une analyse partagée par son collègue allemand Martin Häusling (Groupe des Verts/Alliance libre européenne).
Pour les entreprises semencières, la proposition ne semble pas plus convenir, même si les raisons évoquées ne sont pas les mêmes. Euroseeds a ainsi expliqué que la procédure de notification était encore trop « complexe […] et chronophage ». Quant à l’interdiction en agriculture biologique de ces produits, Euroseeds estime que cette mesure serait « illogique et discriminatoire » [7].
Le 5 juillet prochain, les commissaires européens décideront si cette proposition de la DG Santé devient une proposition de la Commission européenne. Le cas échéant, le texte sera alors transmis au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne pour entamer un trilogue entre les trois instances. Le calendrier de ces discussions n’est pas connu, mais l’arrivée des élections européennes mi-2024, sous présidence belge du Conseil, pourrait bien les précipiter ou les renvoyer au prochain Parlement.
[1] L’origine de la fuite reste à l’heure actuelle inconnue.
[2] Projet de proposition tel qu’ayant fuité :
[3] , « Cour de justice de l’Union européenne : le roi des OGM est nu », Inf’OGM, 13 mars 2023.
[4] , « Des semenciers dénoncent les brevets, mais… », Inf’OGM, 21 mars 2023.
[5] CEO, « Media reaction : Leaked proposal to deregulate new GMOs », 19 juin 2023.
[6] Natasha Foote, « EU moves towards looser rules on certain gene edited crops », Euractiv, 20 juin 2023.
[7] Ibid.