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L’OEB jette un froid sur une opposition à un brevet de KWS
Le 15 octobre 2024, l’Office européen des brevets (OEB) a maintenu le brevet de la société KWS portant sur un maïs résistant au froid. Cette décision devrait susciter de vives préoccupations parmi les obtenteurs de semences européens, qui peuvent désormais se sentir menacés dans leur travail de sélection. En effet, ce brevet couvre des plants de maïs contenant une séquence génétique naturellement présente, ce qui restreint la liberté des obtenteurs de développer de nouvelles variétés. La « procédure orale », qui s’est déroulée devant la division d’opposition de l’OEB et à laquelle Inf’OGM a assisté par visioconférence, a donné lieu à des échanges inhabituels et révélateurs. Cette affaire montre, à nouveau, que les brevets peuvent bel et bien être des outils d’appropriation des semences développées par les paysans et/ou obtenteurs.
La coalition No Patents On Seeds (NPOS) s’est opposée à un brevet délivré à KWS sur un maïs résistant au froid, estimant que ce brevet doit être révoqué. Le 15 octobre 2024, cette opposition était discutée devant la division d’opposition de l’Office européen des brevets (OEB), une décision attendue par les paysans et les obtenteurs européens. En amont de cette procédure orale, une manifestation a été organisée par NPOS devant le bâtiment de l’OEB, à laquelle a participé la semencière Grietje Raaphorst-Travaille, qui se sent menacée par ce brevet de KWSi. Cette semencière néerlandaise, cofondatrice de Nordic Maize Breeding (NMB), a contribué à cette procédure orale, en rappelant notamment qu’elle a développé un maïs résistant au froid en 2008, c’est-à-dire bien avant le dépôt de la demande de brevet. Mais aujourd’hui, comme d’autres petits obtenteurs, elle craint d’être contrainte d’abandonner ses travaux ou de se soumettre aux conditions imposées par KWS et d’autres grandes entreprises.
Un brevet basé sur un élément génétique naturel
Le brevet EP3380618 de KWS, déposé le 26 novembre 2016 et délivré le 27 juillet 2022, couvre des maïs contenant une section d’ADN corrélée à la tolérance au froid. Cette section, appelée QTL (Quantitative Trait Locus), n’a pas été créée par KWS, mais identifiée grâce à des marqueurs moléculairesii permettant de repérer les traits de résistance au froid. Par ce brevet, KWS revendique une propriété industrielle sur les plants de maïs contenant ce QTL ainsi que le procédé permettant d’identifier et de sélectionner cette section d’ADN par des analyses génétiques. Ce brevet confère à KWS un contrôle exclusif non seulement sur ses propres variétés de maïs, mais sur toutes les variétés contenant ce QTL dans leur génome, sauf celles dont l’existence avant la date de dépôt de la demande de brevet peut être documentée. Depuis le 26 novembre 2016, ce brevet empêche ainsi les obtenteurs d’utiliser ce QTL pour de nouvelles obtentions sans obtenir une licence. Ce brevet restreint de ce fait l’accès aux ressources génétiques naturelles et limite la diversité génétique disponible pour l’agriculture.
Cette « invention » brevetée par KWS repose sur une technique qui consiste à établir une corrélation statistique entre des marqueurs moléculaires et un trait phénotypique, en l’occurrence la résistance au froid. En d’autres termes, il s’agit de repérer une caractéristique naturellement présente au sein du patrimoine génétique des plantes, sans manipulation génétique directe. Ce processus statistique suffit à KWS pour revendiquer et obtenir un droit exclusif d’exploitation vu qu’il a déposé sa demande de brevet en 2016, donc avant que les produits issus de procédés de sélection traditionnelle (dits « essentiellement biologique ») ne soient plus brevetables. Cette situation inquiète les petits obtenteurs comme Grietje Raaphorst-Travaille, qui voient dans ce brevet une appropriation d’une caractéristique génétique présente depuis longtemps dans son maïs.
L’OEB valide le caractère technique de l’« invention »…
Au cours de la procédure d’opposition, la coalition No Patent on Seeds a soulevé plusieurs motifs visant à invalider le brevet de KWS. Elle a notamment objecté que le plant de maïs revendiqué est une variété conventionnelle obtenue à partir d’un procédé essentiellement biologique. Selon NPOS, la tolérance au froid résulte de méthodes de croisement, non brevetables, et les analyses moléculaires faisant l’objet des revendications de procédé ne peuvent à elles seules justifier la brevetabilité. D’après NPOS, seules les inventions de « génie génétique » [NDLR : terme dont il n’existe pas de définition juridique] impliquant la modification directe des gènes sont brevetables. Ce point est cependant discutable, car il existe bien des inventions, dites de « génie génétique » ou biotechnologiques, brevetables qui n’impliquent pas la modification directe de gènes. NPOS rappelle également que l’interdiction de brevetabilité des variétés végétales est soutenue par la jurisprudence de l’OEB qui distingue strictement la sélection conventionnelle du « génie génétique ».
La division d’opposition de l’OEB confirme ce qu’elle avait déjà affirmé dans un avis préliminaire précédant la procédure orale : « les plantes revendiquées ne répondent pas à la définition d’une variété végétale (règle 26(4) CBE) car elles ne sont définies que par un seul caractère (tolérance au froid). Les autres caractères ne sont pas définis et ne doivent pas être génétiquement stables. Les plantes définies dans les revendications ne constituent donc pas une unité qui peut être multipliée sans être modifiée (règle 26(4)c) CBE). Il s’agirait pourtant d’une caractéristique essentielle d’une variété végétale ».
En outre, la division d’opposition de l’OEB peut écarter l’argument de NPOS stipulant que le plant revendiqué est une variété obtenue grâce à un PEB pour des raisons strictement juridiques et procédurières : « La division constate […] qu’elle est liée par l’interprétation de la Grande Chambre de recours publiée dans la décision G 3/19iii. La règle 28(2) CBE ne s’applique pas au présent brevet, qui est fondé sur une demande de brevet déposée le 26 novembre 2016 ». Autrement dit, la règle 28(2) CBE invoquée par NPOS, qui interdit la brevetabilité des plantes obtenues exclusivement par des procédés biologiques, ne s’applique pas aux demandes de brevets déposées avant le 1er juillet 2017, comme celle de KWS.
Ce fait juridique interroge et alarme sérieusement les petits obtenteurs. En validant ce brevet sur la base de la non rétroactivité d’une décision de son Conseil d’administration, l’OEB légitime un brevet qui ne serait plus valide s’il était demandé aujourd’hui. Cette situation met en lumière une distorsion importante dans le système de brevetabilité en Europe, où des injustices découlant du flou de règles antérieures ne pourront être corrigées que 20 ans après leur modification. Un brevet d’une durée de 20 ans ne peut en effet plus être annulé en fonction d’une nouvelle règle, et le rôle de la division d’opposition n’est pas de juger de la pertinence des règles mais se limite à leur application.
…qu’il considère comme nouvelle et inventive
La coalition No Patent on Seeds a par ailleurs soulevé d’autres motifs pour tenter d’invalider le brevet de KWS. Elle a notamment fait valoir un manque de nouveauté et d’activité inventive de l‘« invention », deux conditions de validité d’un brevet. Selon NPOS, les caractéristiques génétiques en question avaient déjà été ont été découvertes dans des plantes de maïs largement utilisées pour la sélection avant la demande brevet. Nordic Maize Breeding avait notamment obtenu une première variété de maïs résistant au froid pour l’agriculture biologique en 2008, soit 8 ans avant le dépôt de la demande de brevet de KWS.
Selon les directives de l’OEB, une séquence génétique – ici celle du QTL – existant à l’état naturel avant la demande de brevet n’est pas exclue de la nouveauté. Si elle est isolée, identifiée et caractérisée techniquement, avec une fonction associée, elle peut alors être considérée comme nouvelle au sens du droit des brevetsiv. Ainsi, des brevets peuvent être délivrés pour des traits comme la tolérance au froid (ou à la sécheresse, ou encore la productivité accrue) même si ces traits sont connus dans des lignées anciennes. Cela peut surprendre quand on sait qu’un brevet n’est délivré que pour des objets nouveaux. La division d’opposition a ainsi conclu que le QTL, à la base du brevet délivré, ne faisait pas « partie de l’état de la technique » au moment du dépôt de la demande de brevet et confère sa nouveauté au plant de maïs la contenant. L’OEB a également confirmé le critère d’activité inventive, estimant que les procédés revendiqués ne découlaient pas « de manière évidente de l’état de la technique » (article 56 CBE). En effet, la division d’opposition « ne voit à nouveau aucun argument convaincant pour expliquer pourquoi l’homme ou la femme du métier aurait produit les plantes revendiquées ou aurait développé un procédé pour les identifier » à l’aide de ses connaissances générales et au vu de l’état de la technique.
Nordic Maize Breeding nous a confirmé avoir enregistré son maïs résistant au froid aux catalogues néerlandais et européens des variétés avant le dépôt de la demande de brevet de KWS. L’obtenteur précise que « la résistance au froid est cependant une caractéristique générale non clairement définie. La vigueur précoce et la rapidité avec laquelle la culture [du maïs] recouvre le sol sont des caractéristiques apparentées. Ces caractéristiques, ainsi que la façon dont elles sont nommées, sont décidées au sein de Plantum [NDLR : l’association néerlandaise de l’industrie semencières obtenteurs] ». L’OEB ne semble pas considérer ces enregistrements comme des antériorités opposables à ce brevet.
KWS accentue la pression
Lors de l’audience, le représentant de KWS a proposé une « offre de licence » à Grietje Raaphorst-Travaille, lui suggérant qu’elle pourrait exploiter l’invention brevetée moyennant des redevances. Cette proposition, formulée publiquement, a été perçue comme une tentative de pression pour contraindre les petits semenciers à accepter des conditions de licence ou à abandonner leurs obtentions. L’OEB n’ayant pas pour mission de traiter les questions de contrefaçon, les propos de KWS sortaient du cadre de l’audience. De plus, en proposant une licence, KWS laisse entendre que le maïs de Nordic Maize Breeding contrefait son brevet, ce qui ne peut être jugé que par une juridiction nationale.
Cette offre de licence peut être interprétée comme une manœuvre commerciale visant à intimider les petits obtenteurs sous prétexte de la position dominante de KWS dans la sélection végétale. En effet, KWS tente de déplacer le débat vers des négociations économiques, alors que l’enjeu initial est d’ordre purement juridique.
No Patent on Seeds a déjà annoncé son intention de faire appel de cette décision, dont l’impact dépasse le cas KWS et concerne de nombreux acteurs tels que Nordic Maize Breeding. Pour espérer renverser cette décision, NPOS devra développer un argumentaire plus solide et étayé, en insistant sur les incohérences juridiques et politiques de la législation. L’OEB – et non les chambres de recours en opposition, qui ne font qu’appliquer le droit – continue de maintenir des brevets, pendant encore une quinzaine d’années, qui seraient probablement considérés comme non valables s’ils étaient examinés aujourd’hui.
i Denis Meshaka, « Une semencière néerlandaise face aux brevets de KWS », Inf’OGM, 4 avril 2024.
ii Les marqueurs moléculaires sont des fragments spécifiques d’ADN pouvant être identifiés, se trouvant à des endroits bien précis du génome. Ils permettent de localiser un gène particulier ou de vérifier si un individu a hérité d’une caractéristique particulière d’un organisme parent. On peut sélectionner les individus dans lesquels le marqueur moléculaire est présent étant donné que ce marqueur indique la présence de la caractéristique recherchée.
iii La décision G3/19 dispose que les produits obtenus à partir de procédés essentiellement biologiques ne sont pas brevetables. Elle confirme l’applicabilité de la règle 28(2) tout en limitant son effet dans le temps pour préserver la sécurité juridique des brevets et demandes antérieures au 1er juillet 2017.
iv Office européen des brevets, « Directives de l’OEB GII.5.2 – Inventions biotechnologiques brevetables ». Un élément du corps humain « peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d’un élément naturel » (article 5 de la directive 1998/44).