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Le lobby scientifique s’invite dans le trilogue sur la déréglementation des OGM/NTG
Alors que l’Union européenne tente de faire avancer son trilogue sur la déréglementation des OGM végétaux issus de nouvelles techniques (NTG), l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV) et son homologue allemand (WGG) montent au créneau. Dans une note commune, elles relèvent les désaccords entre le Parlement européen et le Conseil, tout en plaidant, au nom d’arguments présentés comme « scientifiques », pour une déréglementation de ces OGM, au bénéfice du secteur biotech.
Le 4 juillet, l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV) et le Cercle scientifique Génomique et Génie Génétique (ou WGG pour Wissenschaftskreis Genomik und Gentechnik) ont conjointement publié une notei présentant leur analyse et les principaux points de divergence entre les positions du Parlement européen et le Conseil de l’Union sur la réglementation des OGM issus de NTG. Dans ce document technique, ces deux associations regroupant des personnes convaincues de l’intérêt des biotechnologies végétales (des scientifiques liés à l’industrieii notamment) défendent un modèle agricole centré sur des biotechnologies et les intérêts industriels qui l’accompagnent. Cette prise de position sectorielle sur les NTG relègue au second plan le principe de précaution, la souveraineté alimentaire et la transparence.
Quatre questions en suspens dans le trilogue
L’AFBV et le WGG partent d’une note d’information publiée le 13 juin 2025 par la Pologne, dont la Présidence du Conseil de l’Union européenne se terminait le 30 juiniii, faisant état de quatre questions en suspens dans le trilogue. Rappelons que ce dernier a lieu alors même que le Conseil n’a pas encore finalisé sa position en première lecture, bien qu’il ait déjà donné mandat de négociation à la Présidence. Nous reprenons ici la présentation par l’AFBV et le WGG de cette note de la présidence polonaise, ainsi que les recommandations des deux associations.
Concernant les conditions d’obtention du statut « NTG1 » – un statut concernant les OGM présentés comme semblables à des organismes non génétiquement modifiés ou issus de sélection dite « traditionnelle » – celui-ci ouvre la voie à autorisation de commercialisation sans évaluation des risques, sans étiquetage (au-delà de la commercialisation des semences et plants), sans traçabilité, ni obligation de présenter les moyens de les détecter et de les identifier, ou encore sans surveillance post-commercialisation. L’AFBV et le WGG exposent que le Parlement souhaite réserver le statut « NTG1 » aux plantes apportant des caractères « durables » et en exclut la tolérance aux herbicides, tandis que le Conseil privilégie une approche plus large basée sur le « principe d’équivalence ». Il déclare ainsi équivalente des plantes GM dont les modifications génétiques répondent à des critères soit-disant stricts, mais en fait très permissifs, avec la seule exclusion de la tolérance aux herbicides. L’AFBV et le WGG plaident pour un « compromis acceptable », qui consiste à intégrer l’évaluation de durabilité dans d’autres textes concernant les variétés, en l’espèce la proposition de règlement sur le matériel de reproduction végétale (MRV)iv (ou « règlement semences »)v actuellement en débat. Une proposition de l’AFBV qui permettrait d’évacuer ce débat sans pour autant s’assurer qu’il ait lieu sur les autres textes.
Sur la traçabilité et l’étiquetage des produits issus de NTG1, les deux associations rappellent la demande du Parlement d’étiqueter tous ces produits jusqu’au consommateur, alors que celle du Conseil se limite au matériel de reproduction des végétaux génétiquement modifiées par ces techniques. L’AFBV et le WGG soutiennent la version du Conseil, arguant – sur la base de confusions sémantiques habillées d’un langage scientifique, à l’instar de la Commission européenne – que les modifications génétiques générées par les NTG1 ne peuvent être distinguées des mutations naturelles et ne devraient donc pas faire l’objet d’un étiquetage spécifique.
Troisième question en suspens : la dérogation (« opt out » ou « clause de sauvegarde ») autorisant les États à refuser sur leur territoire la culture de plantes issues de NTG2 autorisées au niveau européen. Le Conseil veut maintenir cette possibilité nationale de « retrait », tandis que le Parlement veut l’abroger tout en confiant aux États la responsabilité de la coexistence. L’AFBV et le WGG soutiennent la position du Parlement, estimant que cette possibilité de refus rend l’utilisation des NTG « imprévisible, ce qui découragerait leur développement et leur utilisation ».
Enfin, concernant les mesures pour « remédier à l’impact des brevets sur les plantes de NTG », un nœud de désaccords important entre les instances européennes, le Parlement propose d’exclure toutes les plantes génétiquement modifiées par des NTG de la brevetabilité. Le Conseil préfére, lui, encourager le niveau de transparence et promouvoir les licences « équitables ». Sans surprise, l’AFBV et le WGG défendent fermement la protection par brevet, essentielle selon eux pour les start-ups du secteur.
Le sujet particulier des critères d’équivalence
Dans une deuxième partie de leur note, l’AFBV et le WGG comparent les amendements proposés par le Conseil et le Parlement européen à l’Annexe de la proposition de la Commission portant sur les critères d’équivalence réglementaire des plantes génétiquement modifiées par des NTG1 avec les plantes issues de « sélection traditionnelle ».
Les deux associations soutiennent la position du Conseil de maintenir le critère de moins de 20 modifications génétiques en ajoutant les termes « par génome monoploïde » (un exemplaire de chaque chromosome)… « pour tenir utilement compte de la nécessité d’une certaine souplesse pour les plantes polyploïdes ». A l’instar de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA)vi, elles jugent cette position scientifiquement justifiée. Avec cette proposition, l’AFBV et le WGG proposent d’augmenter mathématiquement le nombre de modifications génétiques, ouvrant la voie au statut « NTG1 ». Les « vingt » modifications proposées par la Commission européenne concernent, en effet, chaque plante génétiquement modifiée. Dans le cas du blé, dont le génome contient six jeux de chromosomes différents, la proposition de l’AFBV et du WGG induirait donc de considérer 20*6 modifications, soit 120 modifications génétiques, potentiellement toutes différentes. Il faut ajouter à cela que la Commission a déjà proposé de ne prendre en compte que certaines catégories de modifications génétiques et d’ignorer toutes les autresvii.
Les deux associations plaident aussi pour une reformulation de ces critères pour éviter une séparation trop rigide entre les techniques de mutagenèse ciblée et de cisgénèse, prétendant qu’elle pourrait prêter à confusion, ainsi que pour l’abandon de la prise en compte de l’interruption de gènes endogènes. Les modifications proposées visent à élargir encore plus l’accès au statut « NTG1 » de manière à couvrir – sous couvert d’un exposé scientifique complexe – l’absence de maîtrise technique des entreprises. L’AFBV et WGG défendent en outre la conservation de la définition du Parlement sur les « protéines chimériques », protéines codées par la fusion de deux ou plusieurs gènes ou parties de gènes qui codent à l’origine pour des protéines distinctes. Elles ne seraient autorisées que si elles existent déjà dans une espèce du pool génétique des obtenteursviii.
Orientations idéologiques et lobbying
Cette note technique de l’AFBV et du WGG, bien que se voulant constructive, reste marquée par des orientations idéologiques. Sous couvert d’un discours scientifique, les recommandations de l’AFBV et du WGG relèvent en réalité d’objectifs de lobbying. Le soutien manifeste de ces deux associations aux propositions du Parlement ou du Conseil en faveur d’une déréglementation des OGM/NTG témoigne en effet d’un appui inconditionnel à ces techniques.
Ces recommandations visant à déréglementer les OGM/NTG de l’AFVB et du WGG s’appuient sur des arguments scientifiques dont elles ont elles-mêmes établi les critères. Or, ce choix les met en porte-à-faux avec certains avis d’institutions officielles de leur pays respectifs. En effet, pour la France comme pour l’Allemagne, des rapports ont souligné les risques et inadaptations d’une telle déréglementation des OGM/NTG : celui de mars 2024 de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation et de l’environnement) appelant à une réglementation adaptée des NTGix, et le rapport d’avril 2025 du gouvernement allemand sur la compatibilité de cette proposition de déréglementation avec le Protocole de Carthagène sur la biosécuritéx.
Dans l’un des principaux points de leur note, l’AFBV et le WGG soutiennent que les plantes génétiquement modifiées par des NTG1 ne seraient pas des OGM, car leurs modifications seraient selon elles similaires à celles pouvant survenir naturellement. Or, le rapport du gouvernement allemand, lui-même favorable au développement des NTG, a jugé en 2024 que la proposition de règlement européen était incompatible avec le protocole de Carthagène sur la biosécurité (que l’Union européenne a pourtant ratifié). Cette convention internationale exige une évaluation des risques pour tous les organismes vivants modifiés (OVM), quelle que soit la technique utilisée, y compris donc les NTG. L’AFBV affirmait déjà en décembre 2024 que les OGM/NTG1 ne devraient pas être considérés comme des OVM au titre du Protocole de Carthagènexi.
L’AFBV et le WGG se présentent comme des collectifs scientifiques, donc en théorie indépendants, neutres et objectifs. Or, comme évoqué plus haut, leurs engagements montrent qu’ils ont concentré leurs discours autour de la défense des biotechnologies agricoles, notamment transgéniques. Le WGG avait pourtant conservé le terme « génie génétique vert » dans sa dénomination jusqu’en 2022. Ils ont ainsi constamment soutenu une approche favorable aux industriels du secteur, qui cherchent aujourd’hui à déréglementer les OGM/NTG, à les privatiser via des brevets et à restreindre l’accès des petits et moyens agriculteurs et semenciers aux caractères végétaux.
La note franco-allemande de l’AFBV et du WGG éclaire les enjeux techniques des discussions en cours sur la régulation des OGM/NTG. Elle expose cependant surtout une position sectorielle portée par des acteurs favorables à une agriculture fondée sur des développements techniques incompatibles avec une agriculture biologique évoquée une seule fois à propos de l’étiquetage des NTG1 : « Nous sommes d’accord avec la présidence polonaise et la Commission pour dire que l’étiquetage du matériel de reproduction végétale est une mesure adéquate et suffisante pour répondre aux préoccupations du secteur » culture biologique » » Une énième occasion d’ancrer l’idée trompeuse d’assimilation des OGM/NTG1 à des produits « proches de la nature ».
En prônant des critères permissifs et une régulation des OGM/NTG minimale, voire absente, l’AFBV et le WGG relèguent au second plan – sans surprise mais sans détour, et forts du crédit scientifique qu’ils s’octroient – les principes de précaution, de souveraineté alimentaire, de transparence et d’accès facilité aux ressources génétiques, pourtant fondamentaux pour une construction européenne juste et protectrice de tous.
i AFBV et WGG, « Mise à jour sur les questions en débat au Trilogue sur la proposition de règlement de la Commission européenne sur les nouvelles techniques génomiques (« NTG») », 4 juillet 2025.
ii Aux conseils d’administration et scientifique de l’AFBV siègent des personnes ayant occupé des postes de direction à Syngenta, Calyxt et Limagrain. Son nouveau président est Thierry Langin, directeur de recherche au CNRS de Clermont-Ferrand. Le WGG est membre de VBIO, l’ « organisation faîtière des sciences de la vie en Allemagne » et représentante des intérêts d’entreprises de biotechs et de l’agro-industrie, tels que Bayer Crop Science, qui en est membre.
iii Conseil de l’Union européenne, Note d’information de la Présidence Polonaise, « Regulation on plants obtained by certain new genomic techniques and their food and feed products – state of play », 13 juin 2025.
iv Le terme « MRV » regroupe tout matériel utilisé pour la reproduction ou la multiplication de végétaux (cultures agricoles, légumes, vignes et plantes fruitières).
v Denis Meshaka, « UE – « Semences » : l’autre proposition du bouquet législatif », Inf’OGM, 22 septembre 2023.
vi Eric Meunier, « La déréglementation des OGM est sans fondement scientifique », Inf’OGM, 16 janvier 2024.
vii Eric Meunier, « Des manipulations scientifiques comme future loi sur les OGM/NTG ? », Inf’OGM, 29 novembre 2023.
viii Eric Meunier, « Le pool de gènes des obtenteurs : un piège sémantique ? », Inf’OGM, 15 janvier 2024.
ix Eric Meunier, « La déréglementation des OGM est sans fondement scientifique », Inf’OGM, 16 janvier 2024.
x Silja Vöneky, Constantin Born, Laura Tribess et Silke Weller, « Compatibility of the EU proposal for a regulation on plants based on certain new genomic techniques with the Cartagena Protocol on Biosafety », avril 2025.
xi AFBV, « Informations sur les discussions en cours autour de la proposition réglementaire de la Commission européenne relative aux Nouvelles Techniques Génomiques (« NTG ») : pistes pour aboutir au Trilogue », 20 décembre 2024.


