Interview / débat contradictoire

Le débat sur les DSI doit être public !

Par Inf'ogm

Publié le 20/04/2021

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Depuis quelques années, les États discutent de savoir si utiliser des séquences numérisées de génomes est équivalent à utiliser les organismes physiques dont ces séquences sont issues. La question est au cœur d’enjeux de souveraineté nationale sur la biodiversité. En 2019, l’Union européenne contribuait au débat sans consultation préalable du Parlement européen. Dans cet interview, Benoît Biteau, eurodéputé du Groupe des Verts/Alliance libre européenne, souhaite que le Parlement européen soit saisi du sujet.

Le débat international sur les informations de séquences numérisées (connues par leur sigle anglais DSI, de Digital sequence information) se tient, notamment, au sein de Convention sur la Diversité Biologique (CDB). Dans un dossier complet sur le sujet publié en décembre 2020 [1], Inf’OGM détaillait comment se joue avec ce débat une potentielle légalisation de la biopiraterie sous couvert d’utilisation d’informations numériques issues d’une plante ou d’un animal (la séquence de son génome, de ses protéines…) et non de la plante ou de l’animal en lui-même. Benoît Biteau, eurodéputé élu en 2019, répond aujourd’hui à nos questions.

À l’heure ou l’Union européenne connaît une offensive importante des entreprises de biotechnologie et semencières sur le dossier OGM, comment lisez-vous la concomitance des débats sur les nouveaux OGM et sur la numérisation du vivant ?

C’est finalement assez logique. Grâce à la numérisation du vivant, les industriels vont pouvoir se constituer d’immenses bases de données de gènes dont le débouché commercial sera la création de nouveaux OGM. Les données sont le charbon de la révolution numérique. Tout doit être enregistré, séquencé pour pouvoir être stocké et générer du profit. Après nos données personnelles collectées par les GAFA [2] sur les réseaux sociaux, c’est le vivant que les entreprises vont exploiter et privatiser.

Ces innovations tombent à pic. En effet, pour répondre aux préoccupations environnementales montantes, la Commission européenne a fixé un objectif de réduction des pesticides de 50% à l’horizon 2030 dans le cadre du Green Deal. Les industriels sont donc inquiets pour les bénéfices de leur branche de vente de pesticides. Mais les multinationales phytosanitaires sont toutes également des firmes semencières, la fusion entre Monsanto et Bayer en est l’exemple le plus frappant. Elles vont donc pouvoir pallier la baisse des profits sur les ventes de pesticides en se rattrapant sur les semences. Encore faut-il trouver le bon argument marketing.

La crise climatique est une justification parfaite. La numérisation et les nouveaux OGM sont présentés comme une solution miracle aux enjeux environnementaux. De principales coupables, ces entreprises deviennent La solution, grâce à leurs innovations qui nous permettront d’être toujours plus précis, efficace, « durable »… Et les pouvoirs publics emboîtent le pas. La Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ne mentionne jamais son Green Deal sans parler de numérisation. Tout doit être vert ET numérique.

En réalité c’est la poursuite d’un mouvement de fond qui existe depuis plus de 100 ans. Les entreprises de l’aval et de l’amont des filières agricoles concentrent toujours plus de pouvoir de marché et contrôlent pour leur intérêt notre alimentation. On est loin de la souveraineté alimentaire qui, avec la crise de la COVID, était sur toutes les lèvres. Les premières victimes, ce sont les paysans qui perdent toute autonomie. Comment décider quand vous ne maîtrisez pas toute l’information ? Cette survalorisation du rôle de l’innovation et du progrès technologique est une terrible fuite en avant. On dispose aujourd’hui de pistes solides pour transformer notre agriculture de façon bien plus globale et pragmatique.

En tant qu’eurodéputé depuis juillet 2019 et membre de la Commission de l’agriculture et du développement rural, vous n’avez pas encore été saisi de ce sujet. Considérez-vous que le Parlement européen devrait être investi dans ces discussions ?

En effet, ce débat n’a pas eu lieu au Parlement européen et je suis atterré de le constater. La biodiversité génétique est un commun crucial. De tels sujets ne sont pas à prendre à la légère et doivent être discutés de la façon la plus transparente possible. Le Parlement européen, seule institution directement élue par les citoyens, doit pouvoir mettre ce sujet dans le débat public. Je trouve ça hallucinant de voir que la Commission européenne prend position sur la numérisation du vivant à la CDB sans qu’un débat ouvert ait pu avoir lieu.

D’un autre côté, je ne suis pas surpris, ces modes de fonctionnement opaque ne sont pas une première sur ce genre de sujet. Fin avril, la Commission européenne doit publier une étude qui servira de base au débat européen sur les nouveaux OGM. Ce pourrait être le premier pas vers la dérégulation des OGM en Europe. Pour cette étude, la Commission a lancé une série de consultations préalables, une consultation ouverte au public et une consultation fermée réservée à une sélection de parties prenantes. Or cette dernière consultation a été biaisée de façon très problématique. 74% des consultations ont été réalisées auprès de représentants de l’industrie. Par exemple, l’entreprise Bayer/BASF a été consultée à six reprises : une fois comme entreprise individuelle et cinq fois comme membre de plusieurs associations d’entreprises : EuropaBio, le BIC (Bio-based Industries Consortium), European Crop Protection Association, Euroseeds et l’EBE (European Biopharmaceutical Enterprishowes). C’est en contradiction totale avec les règles de conception de ces consultations et un véritable déni de démocratie ! Qu’est-ce qu’on peut attendre d’une consultation pareille si ce n’est d’être la caisse de résonance des demandes de l’industrie ? On voit bien qu’on avance à marche forcée, au détriment de la démocratie et de l’intérêt général.

Quelle approche devrait être défendue par l’Union européenne sur le sujet des DSI ?

La position de la Commission européenne communiquée à la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) sur ce sujet est un peu contradictoire. D’abord, la Commission reconnaît qu’il n’y a pas de définition claire et objective de DSI aujourd’hui. La majorité des pays n’ont pas de définition de ce que cela recouvre. Comment est-ce qu’on peut discuter d’un terme sans connaître sa définition ? Pourtant, c’est exactement ce que la Commission fait ensuite en expliquant que les DSI ne devraient pas entrer dans le régime du partage des avantages. Ce n’est pas une façon correcte de procéder. Le premier travail doit être celui de la définition exacte de ces Séquences d’Information Numérique (DSI).

« La photocopie tue le livre ». C’est un avertissement qui était marqué au début des manuels scolaires. On est ici dans un cas de figure similaire. Ce n’est pas parce qu’on peut « copier-coller » à l’infini une séquence génétique que cela doit nous exempter de responsabilité par rapport à ses « fournisseurs » au sens de la CDB. Les séquences génétiques numérisées devraient entrer dans le régime classique du partage des avantages tel que défini à l’article 15 de la CDB. Mais, à nouveau, il faut d’abord savoir ce que ce sont les DSI.

Il faut aussi rappeler que ces technologies ne se déploient pas dans un cadre juste et équilibré. Au contraire, elles risquent d’accentuer les déséquilibres entre les multinationales qui souhaitent faire des profits grâce à la numérisation du vivant et les paysans et populations locales.

Cette numérisation concerne tant les plantes que les animaux ou les micro-organismes. Pour plusieurs acteurs, il existe un réel danger d’accélération de l’appropriation du vivant par le biais de brevets par exemple obtenus sans renseigner la provenance du matériel d’origine ayant servi à « l’invention« . Comment analysez-vous ce risque ? Estimez-vous que toute information permettant un partage des avantages, notamment l’origine géographique, devrait être obligatoirement fournie ?

C’est totalement absurde. Les caractéristiques génétiques d’un organisme sont façonnées par son environnement immédiat. C’est d’ailleurs tout le sens et la force des variétés locales, patiemment sélectionnées par des générations d’agriculteurs pour être parfaitement adaptées à leur milieu. Détacher un matériel génétique de son ancrage territorial, c’est nier toute la notion de terroir qui est au cœur même de l’activité agricole et spolier les bâtisseurs de cette diversité agricole, les paysans.

Finalement on retrouve encore là une convergence avec la logique du Big Data. Les entreprises récoltent des quantités énormes de données individuelles pour ensuite les agréger. C’est à ce moment que la valeur se construit. L’agrégation prive les individus de la propriété sur leurs données. Or, dans le cas présent, les données c’est l’ensemble du génotype du vivant. C’est l’adaptation de la privatisation du vivant à la logique de la révolution numérique.

[1Inf’OGM, le journal n°162, « Numériser le vivant pour mieux le privatiser »

[2GAFA : Google, Amazon, Facebook et Apple, entreprises auxquelles on rajoute parfois le M de Microsoft.

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