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L’Assemblée nationale restreint en partie la brevetabilité du vivant
L’Assemblée nationale a débattu de la loi sur la biodiversité, un projet de loi aux milles facettes. Plusieurs amendements visaient la brevetabilité du vivant. En France, le Code de la propriété intellectuelle interdit aux brevets sur le vivant d’entrer par la porte (interdiction formelle de breveter des races animales et variétés végétales) sans voir qu’ils reviennent par la fenêtre (possibilité de breveter des procédés techniques et des produits issus de la sélection et des croisements y compris quand on peut les retrouver à l’état naturel). Les députés ont pris soin de lever quelques confusions… sans toutefois aller au bout de la démarche. Récit des débats.
La brevetabilité du vivant : sujet délicat s’il en est, et dont la discussion est loin d’être terminée puisque le texte doit encore passer en seconde lecture au Sénat (prévue à partir de début mai) puis sans doute en Commission mixte paritaire avant que la « loi biodiversité » [1] ne soit définitivement adoptée, peut-être avant l’été, selon les souhaits du gouvernement. Et qui plus est, sujet très encadré par le droit européen, avec notamment la directive 98/44, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, qui stipule la non brevetabilité des races animales, des variétés végétales, et des procédés classiques d’obtention tels que le croisement et la sélection [2] mais permet celle des procédés techniques et produits issus de tels procédés techniques. Ce type de disposition conduit par exemple, nous en avons souvent parlé à Inf’OGM [3], à ne pas pouvoir breveter, en tant que variété, une variété de pomme riche en vitamine C, comme la Belle de Boskoop ; mais à pouvoir breveter toutes les plantes qui contiennent le gène induisant la richesse en vitamine C… dont la Belle de Boskoop !
C’est pour mettre fin en partie à une telle aberration que le Sénat d’abord [4], suivie par la Commission du développement durable de l’assemblée nationale ensuite, puis par l’Assemblée nationale en plénière, a voté l’article 4 bis qui introduit un alinéa dans l’article L. 611-19 du Code de la propriété intellectuelle (CPI, voir encadré) stipulant que ne sont pas brevetables « les produits exclusivement obtenus par des procédés essentiellement biologiques (…), y compris les éléments qui constituent ces produits et les informations génétiques qu’ils contiennent ».
Le maintien par l’Assemblée nationale de cet article (légèrement modifié) n’était pas gagné d’avance, puisque de nombreux amendements, y compris celui d’une député socialiste, Anne Yvonne Le Dain, préconisaient son abandon. Selon la députée, il risquait en effet « d’aboutir à un blocage complet de l’exploration, et donc de réduire les possibilités d’exploiter la biodiversité qui existent en métropole et dans les DOM ». La brillante défense de l’article, à la fois par Geneviève Gaillard, députée socialiste rapporteure du projet de loi, suivie par Barbara Pompili, secrétaire d’État à la biodiversité, pour le gouvernement, a toutefois convaincu les députés présents au moment du vote.
La défense de cet article s’est faite autour de quatre arguments forts : importance de sécuriser les agriculteurs qui ne courront ainsi plus le risque de se voir interdire une culture sous prétexte d’un gène breveté en son sein ; combat de la biopiraterie conformément au protocole de Nagoya ; possibilité laissée de breveter tout produit obtenu à partir d’une synthèse chimique ; conformité du terme « information génétique » avec la directive 98/44 et le CPI. Ce dernier argument répondait directement au député Les Républicains, Jean-Marie Sermier, pour qui « l’article 4 bis va beaucoup trop loin s’agissant de l’interdiction de la brevetabilité, car elle exclut les parties et les composantes génétiques de produits issus de procédés biologiques, sans vraiment définir ce qu’est une composante génétique. Le terme n’existe pas, et juridiquement nous n’avons aucune assurance ».
Interdire la brevetabilité du vivant… tout en la permettant
Avant de clore la discussion autour de cet article, Brigitte Allain, députée écologiste, a tenté de « compléter l’article 4 bis en interdisant tout brevet sur un trait ou un gène natif, y compris lorsqu’il n’est pas issu d’un procédé essentiellement biologique » avec l’argumentaire suivant : « Actuellement, en effet, des techniques de modifications génétiques non essentiellement biologiques sont utilisées par les sélectionneurs pour accéder à des phénomènes naturels de croisement de sélections. Ils donnent lieu à des produits dont les traits sont décrits de manière telle que rien ne les distingue des traits natifs. Ainsi, avec une technique différente, on obtient les mêmes produits. C’est pourquoi, pour protéger pleinement les agriculteurs et les semenciers traditionnels, il est indispensable d’interdire la brevetabilité des plantes, des animaux, de leurs parties et composantes génétiques, qui, bien qu’obtenus par un procédé brevetable, peuvent aussi être issus d’un procédé essentiellement biologique non brevetable ou exister naturellement ».
Mais pour la rapporteure, « la Commission a repoussé cet amendement car proposer une interdiction d’une invention dès lors que la matière préexiste à l’état naturel ne [lui] semble pas trop conforme au droit européen ». Et la secrétaire d’État Barbara Pompili a utilisé un autre argument, celui du niveau européen : « Cet amendement (…) permettrait notamment d’interdire le brevetage de gènes présents dans la nature mais obtenus par de nouvelles méthodes de sélection (…). Au niveau européen, la présidence néerlandaise du Conseil a inscrit ce sujet à son agenda de travail semestriel et, au niveau national, le Gouvernement a saisi le Haut conseil des biotechnologies pour éclairer le débat et apporter son expertise scientifique. Dans ce contexte, il me semble prématuré d’inscrire dans la loi une telle interdiction alors que l’expertise scientifique est en cours ».
Même si la saisine du HCB par le gouvernement est faux à notre connaissance (le HCB s’est « plus ou moins » auto-saisi, car sans texte officiel d’auto-saisine [5]), il est certain que tout le monde attend avec impatience la position de la Commission européenne [6]. Voter cet amendement aurait pu être un signal fort, mais il a donc été retiré.
Un détricotage contre l’avis du gouvernement
Les députés ont ensuite, en séance plénière, annulé une partie du travail réalisé une semaine plus tôt en commission du développement durable en supprimant l’article 4 ter (qui rejoignait l’amendement soutenu par B. Allain et rejeté quelques minutes plus tôt). Cet article prétendait exclure de la brevetabilité « les matières exclusivement obtenues par des procédés essentiellement biologiques définis au 2° de l’article L. 611-19 (voir encadré), dans lesquelles l’information génétique est contenue et exerce la fonction indiquée ». En effet, comme cela a été présenté par certains députés, des procédés techniques sont aujourd’hui pleinement brevetables ainsi que les produits qui en sont issus (en droit on parle notamment d’information génétique et de matière biologique). Le droit actuel permet que ces brevets s’étendent aux produits similaires même si ces derniers pré-existent naturellement ou sont issus de procédés classiques d’obtention tels que le croisement et la sélection. Sachant que les détenteurs de ces brevets ne donnent pas les éléments descriptifs suffisants pour différencier leur invention de produits issus de procédés classiques d’obtention non-brevetable, il sera donc très difficile pour un agriculteur de répondre à une éventuelle poursuite en contre-façon. L’article 4 ter visait quant à lui à limiter l’extension abusive de la protection de ces brevets à des produits exclusivement obtenus d’une « manière » non brevetable.
Malgré le soutien de la rapporteure et du gouvernement, argumentant qu’en aucun cas la rédaction de l’article 4 ter retenu en Commission du développement durable ne limitait la recherche ou la production industrielle de médicaments, et que de plus, cela permettait de protéger pleinement les agriculteurs, plusieurs amendements de suppression, notamment là encore soutenus par la députée socialiste Le Dain, l’ont emporté. L’article 4 ter a donc été annulé, ce qui a motivé la déception de Guy Kastler, du Réseau semences paysannes, joint par téléphone : « Les traits natifs non brevetables selon l’article 4 bis votée par le Parlement resteront tout de même brevetables par cette voie détournée des nouvelles techniques de production d’OGM cachés ».
La seconde lecture à l’Assemblée nationale du projet de loi n’a donc permis de confirmer qu’une partie des évolutions votées au Sénat en première lecture [7].
Article L611-19 du Code de la propriété intellectuelle
Modifié par Loi n°2004-1338 du 8 décembre 2004 – art. 2 JORF 9 décembre 2004
I. – Ne sont pas brevetables :
1° Les races animales ;
2° Les variétés végétales telles que définies à l’article 5 du règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales ;
3° Les procédés essentiellement biologiques pour l’obtention des végétaux et des animaux ; sont considérés comme tels les procédés qui font exclusivement appel à des phénomènes naturels comme le croisement ou la sélection ;
4° Les procédés de modification de l’identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l’homme ou l’animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés.
II. – Nonobstant les dispositions du I, les inventions portant sur des végétaux ou des animaux sont brevetables si la faisabilité technique de l’invention n’est pas limitée à une variété végétale ou à une race animale déterminées.
III. – Les dispositions du 3° du I n’affectent pas la brevetabilité d’inventions ayant pour objet un procédé technique, notamment microbiologique, ou un produit obtenu par un tel procédé ; est regardé comme un procédé microbiologique tout procédé utilisant ou produisant une matière biologique ou comportant une intervention sur une telle matière.
[1] De son nom entier, loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
[2] définis juridiquement comme des procédés essentiellement biologiques
[3] , « Traité sur les semences : danger, biopiratage en vue ! », Inf’OGM, 18 septembre 2015
[4] , « France – Loi biodiversité au Sénat : la fin du biopiratage en vue ? », Inf’OGM, 20 janvier 2016
[5] voir ,
, « France – Manipulations du HCB en faveur d’une position pro-industrielle ? », Inf’OGM, 22 février 2016
[6] , « Nouveaux OGM : la Commission européenne répond aux Faucheurs volontaires », Inf’OGM, 17 mars 2016
[7] on trouvera ici l’analyse du RSP, notre partenaire pour la veille semences