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La propriété industrielle menacent le droit à l’alimentation
Selon un rapport récent de plusieurs ONG [1], la généralisation au monde entier du système de protection des variétés végétales dans le cadre de l’UPOV (Union pour la protection des obtentions végétales), dans sa version la plus récente (de 1991), génèrerait une insécurité alimentaire. Décryptage.
Dans la plupart des pays hors OCDE, les paysans conservent et ressèment chaque année une partie de leur récolte. A contrario, en Europe et aux Etats-Unis et dans certains autres pays dits « développés », cette fonction de reproduction des plantes a été séparée, depuis plus de cinquante ans, de la fonction de production : elle est la plupart du temps réservée à des semenciers. Dans ces pays, pour de nombreuses cultures (par exemple, le maïs), l’agriculteur a pris l’habitude d’utiliser des variétés hybrides F1 et doit donc racheter ses semences tous les ans.
Pour protéger leurs droits, les obtenteurs (sous la tutelle de l’industrie semencière de plus en plus concentrée) ont mis en place avec quelques gouvernements, dans les années 60, l’UPOV. Les pays qui adhèrent à cette Union doivent, depuis 1991, adopter un système de protection intellectuelle de variétés, le Certificat d’Obtention Végétale (COV), obligeant le paysan qui utilise des variétés ainsi protégées soit à en racheter les semences chaque année, soit à payer un droit pour les ressemer. Elle interdit aussi les échanges de semences entre agriculteurs. Depuis 1994, les pays membres de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) sont obligés d’adopter un système de protection efficace des variétés végétales : le brevet et le COV sont reconnus conformes à cette exigence. La généralisation du système UPOV au monde entier, dans sa version la plus récente (de 1991), génèrerait une insécurité alimentaire selon un rapport récent de plusieurs ONG (1).
Évaluer les potentiels effets des lois sur les droits humains avant de les voter
Depuis une dizaine d’années, les ONG plaident pour qu’avant de voter des lois, on procède à des évaluations de leurs potentiels effets sur les droits humains, notamment auprès des groupes les plus vulnérables, et en les incluant dans le processus d’évaluation. C’est, entre autres, l’objet de ce rapport, qui présente trois études de cas : une avant l’introduction des règles de l’UPOV 91 (Philippines), et deux avant leur complète application (Kenya et Pérou). L’étude, menée selon une méthodologie novatrice mais stricte et adaptée (cf. encadré), a porté sur l’impact potentiel de l’article 14 de l’UPOV 91 sur la portée des droits des obtenteurs, et de l’article 15 sur les exceptions à ces droits, c’est-à-dire la mesure dans laquelle l’UPOV 91 permet aux agriculteurs de conserver, échanger et vendre leurs semences ou plants.
Dans certains pays peu intégrés au marché international (lequel impose des normes industrielles strictes), le système informel de production paysanne et d’échanges de semences représente souvent jusqu’à 98% des semences utilisées. La sélection, le stockage et les échanges de semences font appel aux connaissances des communautés locales – et notamment des femmes – qui garantissent leur autonomie alimentaire. Introduire des restrictions dans la reproduction paysanne et les échanges de semences via l’application des lois dérivées de l’UPOV 91 risque donc de mettre en péril ce système informel et, en conséquence, de restreindre le droit élémentaire à la nourriture.
Enfin, dans tous les cas étudiés, on constate que les populations ne sont jamais consultées pour connaître les enjeux de l’évolution des lois sur la propriété intellectuelle des semences, montrant un réel déficit de démocratie, bien entendu non spécifique à l’UPOV.
Au final, l’étude a permis de faire quelques recommandations aux décideurs et acteurs de la propriété intellectuelle sur les semences. Tout d’abord, il s’agit de renouveler ce genre d’étude d’impact préalable à chaque fois que l’on prétend introduire de nouveaux droits de propriété sur les semences (comme par exemple à l’occasion d’un accord bilatéral). Il s’agit aussi de bien connaître les liens entre les secteurs formel et informel des semences, et de différencier les lois en fonction des acteurs et des plantes cultivées, pour minimiser les impacts sur les acteurs les plus fragiles. Associer les populations à ces études est indispensable, et il faut sans arrêt rappeler aux décideurs leurs obligations sur le droit fondamental à l’alimentation, et la possibilité pour les pays et communautés d’établir des droits sui generis qui ne sont pas forcément issus des systèmes connus de l’UPOV ou des brevets.
Une méthodologie novatrice : l’étude d’impact sur les droits humains (human rights impact assessment – HRIA)
L’étude d’impact sur les droits humains est un outil politique qui a émergé au cours de la dernière décade. Son but est de déterminer dans quelle mesure un ensemble d’activités humaines a un impact sur les droits humains. Trois différences majeures sont à noter par rapport aux autres études d’impact : tout d’abord elles s’appuient sur des normes légales ; deuxièmement, elles se concentrent sur les populations pauvres et vulnérables ; enfin, elles doivent respecter les droits humains lors de leur réalisation, en adoptant par exemple un processus participatif.
Plusieurs ONG ont déjà réalisé de telles études (sur les conséquences du Traité bilatéral entre les États-Unis et l’Amérique centrale, les conséquences de la libéralisation du commerce sur les producteurs de riz dans trois pays, ou encore plus récemment sur les conséquences du Traité bilatéral entre l’Union européenne et l’Inde). Aucun gouvernement, par contre, ne l’a encore fait, malgré la volonté du Comité pour les droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies (CESR – UN Committee on Economic, Social and Cultural Rights).
[1] Owning Seeds, accessing Food : A Human Rights Impact Assessment of UPOV 1991 (en anglais) (PDF, 2.2 MB, 9 octobre 2014), https://www.ladb.ch/themes-et-contexte/agriculture-et-biodiversite/semences/impact-de-la-protection-des-varietes-sur-les-droits-humains/