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Europe – OGM : aux origines de l’exemption de mutagénèse

Par Charlotte KRINKE

Publié le 12/03/2018

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Dans ses conclusions dans l’affaire « mutagénèse » [1], l’Avocat général de la Cour de justice a nié l’existence d’un lien entre l’exemption de la mutagénèse et le considérant qui énonce que la directive ne doit pas s’appliquer aux techniques traditionnellement utilisées et dont la sécurité est avérée depuis longtemps. Pourtant, l’étude des travaux préparatoires montre que l’exemption de mutagénèse est apparue en même temps que le considérant en question…

La réglementation encadrant les organismes génétiquement modifiés (OGM) dans l’Union européenne ne s’applique pas à tous les organismes issus de modification génétique. Depuis la première directive européenne sur les OGM, les organismes génétiquement modifiés issus de mutagénèse sont exemptés, dans certaines conditions, des obligations prévues par la directive. Conséquence : dans certaines conditions, ces OGM peuvent être cultivés sans avoir fait l’objet d’une évaluation des risques environnementaux et être commercialisés sans traçabilité ni étiquetage.

Mais pourquoi cette exemption a-t-elle été prévue ? Pour le savoir, Inf’OGM a épluché les travaux préparatoires de la première directive encadrant les OGM dans l’Union européenne, la directive 90/220. L’étude de ces travaux montre que, dès le départ, un traitement particulier des organismes issus de mutagénèse est envisagé compte tenu de l’historique d’utilisation apparemment sûre de cette technique. Elle montre aussi que l’insertion de l’exemption de mutagénèse est concomitante à celle du considérant qui énonce que la « directive ne doit pas s’appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » [2]. Cet élément tendrait à faire croire qu’il existe un lien entre l’exemption et le considérant. Et que la question de la raison d’être de l’exemption trouve sa réponse dans ce considérant.

Mais pourquoi donc revenir au contexte des années 90 de la préparation de cette directive ? Tout simplement parce que la question de la raison d’être de l’exemption de mutagénèse est actuellement au cœur de l’affaire du statut OGM ou non des produits issus des nouvelles techniques de modification génétique, et plus précisément de la mutagénèse [3]. Aujourd’hui, une partie des industriels soutient que leurs techniques récentes sont des techniques de mutagénèse afin de pouvoir faire bénéficier les OGM qui en sont issus de l’exemption – autrement dit, afin de pouvoir mettre ces OGM sur le marché sans qu’ils soient soumis à la lourdeur de la procédure d’autorisation et d’évaluation des risques prévue pour les OGM.

Les organisations françaises parties au recours défendent l’argument selon lequel les techniques de mutagénèse développées après l’adoption de la directive 2001/18 (qui remplace la directive 90/220) ne doivent pas pouvoir relever de l’exemption tant que leur sécurité n’est pas avérée. À l’appui de cet argument, elles invoquent le considérant 17 de la directive 2001/18, qui énonce que la « directive ne devrait pas s’appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ».

Dans ses conclusions, rendues en janvier 2018, l’Avocat général de la Cour de justice a toutefois rejeté cette argumentation, estimant qu’il n’y a aucun lien entre l’exemption de la mutagénèse et le considérant 17 de la directive [4]. Si elle suit son calendrier habituel, la Cour de justice devrait, elle, rendre son arrêt en juin 2018.

De l’exclusion de la définition des OGM…

L’histoire commence en 1988. Cette année-là, la Commission européenne propose une directive encadrant la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement. Cette directive deviendra la directive 90/220, qui sera abrogée et remplacée par l’actuelle directive 2001/18.

Le texte proposé par la Commission européenne en 1988 contient déjà en germe l’idée selon laquelle le texte ne devrait pas s’appliquer aux techniques ayant un historique d’utilisation sûre. Le considérant 7 du texte énonce ainsi « que les nouvelles techniques de modification génétique sont définies à l’article 2 paragraphe 2 et à l’annexe I de la présente directive ; que ces techniques qui ont été traditionnellement utilisées dans l’agriculture et l’élevage avec un excellent bilan au plan de la sécurité ne sont pas couvertes par la définition de l’article 2 paragraphe 2 ou l’annexe I » [5]. Le texte proposé par la Commission européenne ne contient toutefois pas de liste de techniques considérées comme ne permettant pas d’obtenir des OGM. Et le terme de mutagénèse n’y figure pas.

Il faut attendre la fin de l’année 1988 et l’avis du Comité économique et social européen pour trouver la première référence à la mutagénèse dans ses travaux préparatoires [6]. Dans son avis au texte proposé par la Commission européenne, le Comité économique et social critique la définition pas assez précise, selon lui, de « organisme génétiquement modifié » [7].

Pour le Comité économique et social, « les modifications génétiques jouent un grand rôle dans la recherche classique sur les sélections d’espèces et ont été testées depuis des décennies, voire des siècles. Les organismes modifiés selon cette méthode doivent être clairement exclus de la directive ». Par conséquent, il propose d’exclure de la définition de l’organisme génétiquement modifié « les micro-organismes obtenus par des processus tels que […] la mutagénèse […] » [8].

Dans son avis en première lecture sur la directive proposée par la Commission européenne, la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie du Parlement européen propose un amendement qui reprend la formulation de l’avis du Comité économique et social.

L’avis du Comité économique et social et l’amendement parlementaire proposent d’exclure les organismes issus de mutagénèse de la définition même d’un OGM : ces organismes ne seraient pas considérés comme des OGM. Néanmoins, la justification avancée est intéressante car elle pourrait permettre de comprendre la raison d’être de l’exemption prévue ultérieurement dans la directive. C’est en effet l’utilisation traditionnelle et apparemment sans risque qui justifierait à leur sens un traitement différencié des organismes issus de mutagénèse. Le Comité économique et social et la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie du Parlement européen cherchent clairement à inscrire ce traitement différencié dans le considérant 7, en le justifiant avec des termes qui font écho à celui-ci (« modifications génétiques […] testées depuis des décennies, voire des siècles » faisant écho à « techniques qui ont été traditionnellement utilisées dans l’agriculture et l’élevage »).

Or, la proposition de directive modifiée que soumet la Commission européenne suite à l’avis du Comité économique et social et du Parlement européen en première lecture ne mentionne à aucun moment la mutagénèse. Et elle n’exclut donc pas les organismes qui en sont issus de la définition des OGM [9]. La proposition de directive modifiée maintient toutefois le considérant 7 et ajoute une liste de techniques qui ne sont pas considérées comme entraînant une modification génétique, la mutagénèse n’y figurant pas [10].

… à l’exclusion du champ d’application

La mutagénèse revient toutefois par la voie de la position commune du Conseil sur la proposition de directive modifiée. Et cette position commune réserve une surprise…

Tout comme le Comité économique et social et la commission de l’industrie du Parlement européen, le Conseil préconise de créer un traitement différencié pour la mutagénèse. Mais avec une différence de taille toutefois, car le Conseil n’exclut pas les organismes issus de mutagénèse de la définition des OGM : il qualifie la mutagénèse de technique de modification génétique.

Surtout, parallèlement à cette qualification de mutagénèse comme technique de modification génétique, le Conseil apporte deux autres modifications au texte. D’une part, il insère un considérant selon lequel « la directive ne doit pas s’appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». Et d’autre part, il insère un article 3 selon lequel la directive ne s’applique pas aux organismes obtenus par les techniques de modification génétique énumérées dans l’annexe IB. Dans cette annexe IB figure la mutagénèse.

Ces modifications figurent dans la directive définitivement adoptée le 23 avril 1990 et seront reprises dans la directive 2001/18 qui la remplace.

Malheureusement, la motivation du Conseil accompagnant sa position commune ne comporte aucune explication concernant ces modifications. Le Conseil n’y explique pas pourquoi il a inséré l’exemption de mutagénèse. Mais exempter les OGM issus de mutagénèse des obligations de la directive et prévoir en même temps que la directive ne doit pas s’appliquer aux organismes issus de « certaines techniques de modification génétique traditionnellement utilisées et dont la sécurité est avérée depuis longtemps », n’est-ce pas un début d’explication ?

L’exemption de mutagénèse pourrait donc trouver sa raison d’être dans le fait qu’il s’agit d’une technique « traditionnellement utilisée pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ». Cependant, elle pourrait aussi s’expliquer par des raisons plus pragmatiques, qui n’ont rien à voir avec la prétendue sécurité de la technique : lors de l’adoption de la directive 90/220, les plantes mutées étaient déjà croisées avec de nombreuses autres plantes et il a semblé impossible de retrouver les génomes initiaux.

Une situation que les organisations de la société civile française ne souhaitent pas voir se reproduire. Pour l’heure, toutefois, la Commission européenne ne finance aucun projet de recherche pour mettre au point des protocoles de détection et d’identification des nouveaux OGM qui permettraient de les différencier des mutations et épi-mutations qui peuvent apparaître spontanément dans la nature [11]… La vitesse des changements génétiques artificiels dans les espèces ne sera pourtant jamais comparable à celle des mutations naturelles, ce qui ouvre une incertitude quant aux impacts des biotechnologies modernes sur l’évolution de la biodiversité et des écosystèmes. Et faute de soumettre les produits issus de mutagénèse et des nouvelles techniques assimilées à la mutagénèse aux obligations de traçabilité et d’étiquetage, le consommateur continuera d’ignorer ce qu’il mange – qu’il souhaite ou non manger de tels produits.

Une exemption encadrée


L’exemption de mutagénèse est, dès le départ, encadrée par une condition. La directive 90/220 prévoit ainsi que les organismes issus de mutagénèse ne peuvent échapper des obligations d’évaluation des risques et d’étiquetage, notamment, qu’à la condition que la technique de mutagénèse utilisée n’implique pas « l’emploi d’OGM comme organismes récepteurs ou parentaux ».

Avec la directive 2001/18, une condition supplémentaire a été ajoutée. Désormais, la technique de mutagenèse utilisée ne doit pas non plus impliquer « l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant ». C’est le développement de nouvelles techniques qui n’ont pas été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité n’est pas avérée depuis longtemps, comme la mutagénèse dirigée, qui a motivé cet ajout. La mutagenèse dirigée, déjà connue en 2001, avait quelques années plus tôt conduit le législateur européen à ajouter la condition de « l’utilisation de molécules d’acide nucléique recombinant » dans la directive 98/81/CE sur l’utilisation confinée des micro-organismes génétiquement modifiés.

[2Directive 90/220/CEE du Conseil, du 23 avril 1990, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement

[6Comité économique et social, Avis sur la proposition de directive du Conseil sur la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, Journal officiel des Communautés européennes, C23/49, 30 janvier 1989.

[7Cette définition était la suivante : « un organisme dont le matériel génétique a été modifié au-delà des limites naturelles de multiplication. L’annexe 1 indique les techniques par lesquelles de telles altérations génétiques peuvent être obtenues ».

[8Il est intéressant de noter que le Comité économique et social propose aussi de subordonner l’exclusion de la mutagénèse de la définition OGM à deux conditions qui figureront ensuite dans la directive pour encadrer l’exemption de mutagénèse du champ de la directive, à savoir l’absence d’utilisation de techniques d’ADN recombinant ou d’OGM.

[9Commission européenne, Proposition modifiée de directive du Conseil concernant la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, Journal officiel des Communautés européennes, C246/5, 27 septembre 1989.

[10Les techniques considérées comme n’entraînant pas de modification génétique sont « la fécondation in vitro, la conjugaison, la transduction, la transformation ou tout autre processus naturel, et l’induction polyploïde ».

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