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ETATS-UNIS – OGM : la Cour suprême donne raison à Monsanto et clarifie les limites de l’extension d’un brevet sur les semences
Le 13 mai 2013, la Cour suprême des États-Unis a rendu une décision [1] qui fera date dans l’histoire de la propriété industrielle appliquée au vivant, en limitant encore davantage le contenu de l’exemption du brevet. La Cour suprême, à l’unanimité, a renforcé le pouvoir des entreprises semencières au détriment des pratiques millénaires des agriculteurs [2]. Elle a pris soin de préciser que la décision ne s’appliquait qu’à ce cas précis et non pas « aux autres produits auto-réplicatifs ».
Ce procès, qui opposait Monsanto à un agriculteur de l’Indiana, M. Vernon Hugh Bowman, concernait la portée d’un brevet et le droit d’un agriculteur à utiliser le grain issu de sa récolte comme semence lorsqu’il s’agit de variétés génétiquement modifiées brevetées. Il est important de souligner que le gouvernement étasunien et BSA / Software alliance (qui regroupe les monstres de l’informatique comme Apple ou Microsoft) ont souhaité soutenir Monsanto dans ce procès.
L’agriculteur sème sans payer de royalties
En 1999, M. Bowman a acheté des semences de soja Roundup Ready, brevetées, les a semées et a vendu sa récolte. Jusque là, il avait scrupuleusement respecté le contrat signé avec Monsanto. Puis, il a souhaité faire une deuxième culture. Pour réduire le coût de ses semences, il a acheté à un organisme stockeur des grains destinés à l’alimentation du bétail (et donc pas des semences en tant que telles). Le prix de vente de ces grains ne comprenait pas la redevance au propriétaire du brevet, qui ne porte que sur la culture et non sur la consommation. Mais sachant que le taux d’adoption des variétés transgéniques de soja était dès 1999 très élevé (63% du soja cultivé dans l’Indiana en 2000 était GM), on peut penser qu’il espérait que la plupart de ces grains soient issus de semences génétiquement modifiées pour tolérer l’herbicide Roundup. La nature exacte du grain acheté n’était pas connue (l’étiquetage des OGM ainsi que l’information de la présence d’un brevet dans les plantes achetées n’existant pas aux Etats-Unis !), ni la proportion de soja GM et non GM stocké par l’organisme. Il a ensuite semé ce grain et cultivé ce soja en appliquant du Roundup sur son champ, puis a gardé une partie de sa récolte, qu’il a ressemée pendant huit ans, parfois agrémentée de nouveaux grains en provenance du même silo [3].
Bowman a appuyé sa défense sur la notion d’ « épuisement d’un brevet » qui établit que « la première vente autorisée d’un article breveté met fin à tous les droits du brevet envers cet article ». Cette notion fut établie juridiquement par la Cour suprême des Etats-Unis elle-même, dans le cadre d’un conflit opposant LG Electronics à Quanta Computeur à propos de la vente de puce Intel [4]. La Cour suprême avait alors conclu que les droits de LG Electronics sur ses produits brevetés vendus à Intel étaient épuisés dès lors qu’Intel les avaient revendus à d’autres fabricants d’ordinateurs. Pour Bowman, le parallèle est évident : le grain produit par un agriculteur issu d’une semence brevetée vendue par une entreprise n’est plus protégé par un brevet. Autrement dit, le brevet sur une semence n’est pas héréditaire, et la deuxième génération est donc libre de droit. Bowman a aussi argumenté sur le fait que le soja pousse naturellement quand il est planté, et le brevet ne peut pas s’appliquer dans ce cas : il plaide donc non coupable…
La production de copies sans licence est interdite
Mais la Cour suprême a refusé ces arguments. En 2007, un premier jugement avait déjà donné raison à Monsanto en refusant une telle argumentation juridique et condamné M. Bowman à payer 84 456 dollars à Monsanto, l’entreprise détentrice du brevet sur le soja Roundup Ready. La Cour suprême a donc confirmé ce jugement et cette amende, et considéré que le droit des brevets n’était pas « épuisé » après la récolte du grain. Selon elle, l’exemption au brevet (ses limites) pourrait s’appliquer si Bowman avait revendu le soja breveté qu’il avait initialement acheté ou s’il l’avait consommé ou fait consommer à ses bêtes. Par contre, le fait qu’il ait ressemé ses propres semences et que, ce faisant, il ait « produit des copies additionnelles de l’invention brevetée » sans l’autorisation du détenteur du brevet ne lui permet pas, selon la Cour, d’entrer dans cette exemption. Elle répète que « l’exemption ne s’applique qu’au produit vendu en particulier et non à ses reproductions ».
Du fait de cette interprétation restrictive de l’exemption du brevet, si un agriculteur veut réutiliser le grain de sa récolte comme semence, il doit obtenir l’autorisation du propriétaire du brevet. Une des raisons, économique, à cette décision : si les agriculteurs peuvent reproduire la semence sans passer par la case “Monsanto”, alors « le brevet de Monsanto risquerait de ne procurer que des bénéfices maigres » estime la Cour. Il est clair que la Cour défend une vision économique dans laquelle le brevet est source d’innovation et donne une légitime rémunération aux entreprises innovantes. Et le caractère breveté du soja GM, à savoir la tolérance au glyphosate, « se transmet de la semence cultivée au soja récolté ».
De même, la Cour suprême refuse l’argument « agronomique » de Bowman. Pour l’agriculteur, l’épuisement du brevet s’applique dans ce cas, car il a « utilisé les semences comme les agriculteurs le font normalement ». Et il ajoute « qu’accorder à Monsanto la possibilité de remettre en cause cet usage crée une exception inadmissible (…) à la notion d’épuisement » pour une semence brevetée et autres « technologies auto-réplicatives » [5]. A cela, la Cour répond que c’est M. Bowman qui demande une « exception sans précédent ». Elle affirme en effet que selon la logique de Bowman, « si la simple copie était possible, un brevet perdrait de sa valeur dès la première vente du premier item contenant l’invention ». La protection offerte par le brevet ne serait plus de vingt ans (comme le définit la loi) mais pour une seule transaction, « ce qui se traduirait par moins d’incitation à l’innovation que le Congrès ne le souhaitait » surenchérit la Cour.
Elle souligne aussi que « Bowman se trouve dans une situation particulièrement mauvaise pour faire valoir une telle réclamation. […] Le soja en grain qu’il a acheté était destiné non à la culture mais à la consommation. Et Bowman a reconnu […] qu’il ne connaissait pas d’autres agriculteurs qui aient utilisé le grain acheté à un silo pour semer une nouvelle fois ». Mais depuis quand la loi interdirait-elle d’utiliser des grains (destinés à la consommation) pour en faire de la semence, comme les agriculteurs ont fait depuis des siècles ? Logiquement, si on achète un paquet de graines de céréales (destinées initialement à la consommation) et que l’on décide de les semer, rien ne nous en empêche, sauf si on a signé un contrat avec le vendeur nous interdisant de les semer…
Semer n’est pas un acte passif
La Cour s’intéresse aussi à un autre argument de Bowman qui soutient, pour sa défense, « que le soja s’auto-reproduit ou germe naturellement, à moins d’être stocké d’une manière contrôlée, et que donc c’est le soja, et non Bowman lui-même, qui a fait des répliques de l’invention brevetée par Monsanto ». La Cour considère que cet argument « qui rend responsable la fève de soja » n’est pas crédible : « Bowman n’était pas un observateur passif de la multiplication du soja » et « les grains qu’il a achetés [..] n’ont pas créé spontanément huit cultures de soja successives ». C’est Bowman qui a donc conçu une nouvelle façon de récolter du soja Roundup Ready sans payer les royalties afférentes. D’ailleurs, la Cour ne dit rien sur le cas de repousses ou de contaminations d’un objet breveté. Ce jugement s’appliquera-t-il à ces cas ? Dur d’anticiper une telle décision. Mais le fait que la Cour suprême ait mis en exergue le travail de Bowman pour refuser son argument “agronomique” pourrait dans le cadre de repousses ou de contaminations, innocenter l’agriculteur qui aura réellement été “spectateur” de l’apparition de variétés brevetées auto-reproductive dans son champ. Ce dernier ne pourrait donc pas être accusé de violation de brevet sur des variétés GM.
Au final, cette décision reste globalement symbolique. La pratique qui vient d’être condamnée n’était pas chose courante. Mais elle montre bien l’enjeu autour des brevets sur le vivant. A partir du moment où le législateur a admis des brevets sur les plantes et autres « matières vivantes », en acceptant de les considérer comme des inventions (ce qui est un tour de passe-passe juridique largement dénoncé), il devait, en quelque sorte, accepter que le brevet prenne les caractéristiques propres au vivant, à savoir la capacité à se reproduire. Dans le cadre du vivant, le brevet devient héréditaire et la Cour suprême l’a clairement exprimé. La Cour a en effet bien précisé la portée de la décision, limitée à la question des semences.
Cependant, on peut légitimement se demander si les entreprises d’informatique ne vont tout de même pas essayer de l’utiliser pour réduire la portée de l’autre décision de la Cour suprême, antagoniste. Bien que la Cour ait précisé que sa décision ne concerne que les brevet sur les semences, il est possible que des juges s’en servent pour parvenir à une conclusion similaire dans d’autres domaines. Pourtant, Monsanto, sur son site, précisait : “Certains ont supposé que cette décision [6] rend nuls et non avenus, ou tout au moins affaiblit, les brevets et les accords de licence relatifs aux semences et aux caractères biotechnologiques. Il n’en est rien. […] La technologie et les accords en jeu dans la décision au sujet de Quanta sont fondamentalement différents de l’accord utilisé par Monsanto dans son activité de semences et caractères biotechnologiques. […] Les semences sont très différentes des puces. Monsanto […] permet [pas aux agriculteurs] de semer et de vendre leur récolte comme un produit de base. […] Cela équivaudrait en effet à acheter un livre dans une librairie, à en effectuer des photocopies multiples puis à vendre ces photocopies sur Ebay. La doctrine de l’épuisement des brevets ne s’applique pas aux copies de produits« [7]. La Cour suprême a totalement validé l’analyse juridique de Monsanto…
Cette affaire montre les liens entre les dossiers OGM, semences et logiciels, même si dans ce cas précis, la Justice étasunienne a souligné une différence radicale entre un ordinateur et une semence et a exclu de sa décision les objets auto-réplicatifs, reconnaissant que “ces inventions sont de plus en plus répandues, complexes et diversifiées”.
A noter qu’une autre décision de cette Cour suprême, sur le brevetage de gène humain cette fois, est attendue pour fin juin.
[2] La pratique est celle de ressemer son grain et non pas d’utiliser du Roundup sur des variétés transgéniques
[3] Le soja est une plante autogame, qui, même génétiquement modifiée, reste auto-féconde et donc peut se ressemer à partir du grain de la récolte, sans aucune dégénérescence. A la différence, les variétés de maïs GM sont toutes issues de variétés F1 dont les fruits de leur récolte dégénèreront s’ils sont ressemés.
[5] en anglais “self-replicating technologies”
[6] NDLR. : Quanta computer vs LG Electronics