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Embryons humains artificiels : vers un cadre éthique ?

Par Annick BOSSU

Publié le 30/07/2024

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Publié en juillet 2024 au Royaume Uni, un code de bonne pratique s’intéresse à de nouveaux objets de recherche dans le domaine biomédical: les « modèles d’embryons à base de cellules souches humaines ». La France aussi, depuis 2018, cherche à donner des limites éthiques à ces embryons artificiels appelés « modèles embryonnaires à usage scientifique ». Quelles cellules souches sont utilisées et dans quel but ? Les considérations éthiques mises en avant ne cachent-elles pas la volonté de développer ces recherches hautement convoitées ?

Élaboré par des chercheurs de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni), le nouveau code de pratiquei (sans valeur législative) vise, selon ses auteurs « à lever les ambiguïtés éthiques et juridiques qui ont longtemps laissé les scientifiques dans l’incertitude quant aux limites acceptables de leur travail ». Touchant à la reproduction dans l’espèce humaine, le sujet est sensible et les chercheurs tentent de dissocier la recherche sur le développement des embryons humains, d’une part, de la clinique censée résoudre les problèmes rencontrés lors de grossesses naturelles et les échecs de nombreuses fécondations in vitro, d’autre part. Cependant, les recherches se justifiant par ces problèmes cliniques, le flou des limites mérite attention. Et ce d’autant plus que ces recherches sur les embryons humains artificiels sont en plein essor et attirent des capitaux publics et privés dans nombre de pays.

De nombreux chercheurs estiment que ces modèles d’embryons humains sont indispensables, car les modèles animaux ont montré des disparités importantes avec les embryons humains. On l’a découvert depuis qu’il est possible de séquencer l’ARN de chaque cellule de l’embryon jeune. D’autre part, ces mêmes chercheurs justifient aussi ces modèles alternatifs d’embryons par le besoin d’un nombre grandissant de ceux-ci.

Comment sont obtenus ces embryons d’étude ?

Pour mimer l’embryon humain, il est nécessaire de disposer de modèles cellulaires capables de proliférer in vitro (ce que l’on appelle des cellules souches) et ayant le potentiel de se différencier dans tous les types cellulaires de l’embryon. Des cellules souches de l’embryon très jeune (blastocyste) ont ces caractéristiques. Certaines sont les cellules souches pluripotentesiii de la partie du blastocyste qui va donner l’embryon lui-même et d’autres sont les cellules souches qui appartiennent au trophoblaste partie du blastocyste, qui donnera les annexes indispensables au développement embryonnaire, dont le placenta (on sait cultiver ces dernières seulement depuis 2020). Ces deux types de cellules souches peuvent être cultivées in vitro et forment des lignéesiv. Ces cellules ont été extraites d’embryons issus de fécondations in vitro et surnuméraires, donnés à la recherche par les parents.

Une autre méthode permettant de générer ces cellules souches est la reprogrammation de cellules souches somatiques (cellules du corps, non germinales) par des processus épigénétiques et génétiques : on parle alors de cellules souches induites. Ce sont les cellules iPS (en anglais : induced pluripotent stem) expérimentées depuis 2006. Ces cellules souches induites permettent l’accès à un large choix de fonds génétiques. En utilisant ces différents types cellulaires induits, il est possible de générer des modèles dits « intégrés », c’est-à-dire contenant tous les types cellulaires de l’embryon et de ses annexes.

Par ailleurs, le code de bonne conduite des chercheurs britanniques précise : « le Code s’applique à tous les [modèles d’embryons humains] qui contiennent des cellules humaines, quel que soit leur matériel de départ, y compris les entités qui combinent du matériel d’origine humaine et non-humaine d’origine animale ». La loi de bioéthique de 2021, en France, autorise aussi les chimères d’embryons intraspécifiques ainsi que les chimères Animal-Homme, c’est-à-dire des cellules humaines greffées sur un embryon animal, mais pas l’inverse, c’est-à-dire les chimères d’embryons Homme-Animal.

Lorsqu’elles sont cultivées dans des conditions appropriées in vitro, les cellules souches pluripotentes peuvent s’assembler en structures tridimensionnelles organisées et qui présentent certaines caractéristiques des embryons humains à un stade précoce du développement, d’où le terme -contestable – de « modèle ». Des décalages dans le temps des différents stades de développement précoce sont en effet observés dans nombre de ces « modèles » par rapport à l’embryon naturel. D’autre part, la division de ces cellules cultivées in vitro n’est pas tout à fait la même que dans l’embryon naturel et d’éventuelles mutations somaclonales existent, qui ne sont pas régulées par l’organisme. Enfin, certains problèmes peuvent se développer plus tard ou ne se voir que plus tard.

Une grande diversité de ces modèles existe. Par exemple, les modèles d’embryons basés sur le « don » de mitochondries, des modèles de cybrides, c’est-à-dire d’embryons humains énucléés dans lesquels est introduit le noyau (matériel génétique) d’une cellule somatique d’un organisme d’une autre espèce ou de la même espèce, des modèles d’embryons de macaque dans lesquels un gène humain responsable de l’augmentation de la production neuronale a été introduit (et qui sont même transplantés chez la femelle)viii

Pourquoi s’entourer de précautions éthiques ?

Le code de bonne conduite du Royaume-Uni précise bien : « les modèles d’embryons à base de cellules souches, qui sont utilisés pour étudier les processus de développement précoce, présentent des similitudes avec les embryons humains, mais n’en sont pas et ne sont pas soumis à la réglementation britannique régissant l’utilisation des embryons dans la recherche ».

En France, créer des embryons par fécondation in vitro pour la recherche est interdit, mais créer ces modèles embryonnaires à partir de cellules souches est autorisé.

Ces derniers posent des questions éthiques nombreuses. Ces structures pourraient-elles se développer tout comme des embryons si elles étaient transplantées in utero et donc avoir un statut moral semblable à celui des embryons humains ? Pour les modèles non « intégrés », sans annexes, il est clair que non. Cependant, chez la souris, en combinant des cellules souches embryonnaires avec des cellules souches trophoblastiques, on a pu obtenir des structures qui miment l’embryon au stade blastocyste (des blastoïdes), et qui sont capables de s’implanter dans l’utérus murin. Ce modèle (blastoïde) a été atteint dans l’espèce humaine : plus de 70 % des structures obtenues étaient similaires au blastocyste développé in vitro au stade implantatoire (6-7 jours après la fécondation)ix. La question principale qui se pose sera de savoir si certains chercheurs ne seront pas tentés, dans une volonté de recherche, ou comme moyen de procréation à terme, de transplanter ces modèles dans l’utérus lorsqu’ils auront, selon eux, 100% de similarité avec un blastocyste naturel. Ce qui est un interdit majeur pour le moment.

Le statut moral d’un être est déterminé sur la base de certaines de ses caractéristiques comme « être un être humain » (conscience de soi et autonomie d’après Kant) ou « être doué de sensibilité ». Les bioéthiciens estiment qu’un embryon ne possède aucune caractéristique dénotant la rationalité ni, du moins au début, aucune sensibilité, puisqu’il est dépourvu de système nerveux. Mais il en possédera s’il est transplanté in utero et se développe normalement. Il les possède donc potentiellement. L’embryon est une personne humaine potentielle et les modèles embryonnaires le seront aussi s’ils ont le potentiel de se développer en des personnes. L’approche éthique se base donc sur la représentation que se font les bioéthiciens de ce qu’est l’embryon en lui-même (son ontologie). Les modèles d’étude n’ont cependant aucun devenir de personne puisque le projet parental n’existe plus ou pas. Le droit en France se base aujourd’hui sur cette caractéristiquex.

Mais ce n’est pas toujours aussi simple. Par exemple, la culture in vitro d’embryons humains peut se prolonger aujourd’hui après le stade implantatoire et jusqu’à 14 jours après la fécondation.Jusqu’à quand il est acceptable de pousser le développement embryonnaire de ces modèles in vitro ? Faut-il rappeler que la mise en œuvre d’un utérus artificiel est en cours ? À l’extrême, certains chercheurs ne seraient-ils pas tentés par augmenter les « performances » de ces modèles, sachant que l’utilisation de Crispr/Cas y est autorisée pour modifier génétiquement certaines cellules souches ? Pour le moment, cela se limite à la correction par Crispr/Cas de gènes délétères, mais dans l’avenir en sera-t-il toujours ainsi ?

Mettre des limites de bonne conduite pour les chercheurs semble en tout cas un signe que des dérives à la culture de cellules souches humaines sont possibles. C’est d’ailleurs cette surveillance que recommandait la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches (ISSCR) dans ses lignes directrices, en 2021. Ainsi, au Royaume-Uni, chaque projet de modèle embryonnaire devra être soumis à un comité de surveillance composé de scientifiques, de législateurs, de sociologues et de bioéthiciens. Un code de bonne conduite sera-t-il suffisant, sachant que nombre de ces « experts » travaillent à ces recherches ?

En France, c’est l’Agence de biomédecine (ABM) qui est chargée de ce contrôle. La dernière loi de bioéthique (2021) n’oblige plus les chercheurs à demander une autorisation de culture des cellules embryonnaires, seule une déclaration de ces cultures à l’ABM suffit. On peut alors se poser des questions sur la fiabilité de ces contrôles. Et surtout, sommes-nous obligés d’accepter la légitimité de ces recherches sous réserve d’un contrôle éthique bien difficile, voire impossible ?

i Université de Cambridge, « Code of practice for the generation and use of human stem cell-based embryo models », juillet 2024.

iii Pluripotentes : capable de se différencier en tous types de cellules.

iv Mathilde Burgaud, Betty Bretin, Arnaud Reignier, John De Vos, Laurent David, « Du nouveau dans les modèles d’étude de l’embryon humain », m/s n° 2, vol. 39, février 2023.

viii Membres du Comité d’Éthique de L’Inserm, « La recherche sur les embryons et les modèles embryonnaires à usage scientifique (MEUS) », 2019.

ix Mathilde Burgaud, Betty Bretin, Arnaud Reignier, John De Vos, Laurent David, « Du nouveau dans les modèles d’étude de l’embryon humain », m/s n° 2, vol. 39, février 2023.

x Membres du Comité d’Éthique de L’Inserm, « La recherche sur les embryons et les modèles embryonnaires à usage scientifique (MEUS) », 2019.

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