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Des problèmes à venir dus à la culture de maïs OGM en Europe ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 06/02/2024, modifié le 08/07/2024

    
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La téosinte, ancêtre du maïs d’origine mexicaine, est de plus en plus présente en Europe. Pour les experts français et européens, la situation pourrait devenir très problématique, car cette téosinte est retrouvée dans des champs de maïs transgénique Mon810, modifié génétiquement pour produire des protéines bactériennes insecticides. Selon eux, une surveillance plus précise s’impose pour éviter de perdre le contrôle sur la dissémination des protéines insecticides produites par ce maïs. Problème : Bayer/Monsanto s’oppose à renforcer cette surveillance !

Début janvier 2023, l’Anses publiait ses commentaires sur le rapport de surveillance environnementale des cultures du maïs transgénique Mon810 en Espagne et au Portugal en 2021 [1]. Autorisé depuis 1998 à la culture dans l’Union européenne, ce maïs transgénique Mon810 de l’entreprise Bayer (depuis son rachat de Monsanto) fait en effet l’objet de rapports annuels de surveillance environnementale. Ces rapports, non obligatoires, sont transmis par l’entreprise à la Commission, qui sollicite alors les commentaires des États membres. Les cultures surveillées concernaient, en 2021, une surface cultivée d’environ 100 927 hectares, dont 96 606 ha en Espagne et 4 321 ha au Portugal.

La téosinte, une plante à surveiller

La téosinte est l’espèce végétale qui, domestiquée, a donné le maïs cultivé aujourd’hui dans de nombreux pays. Endémique du Mexique, cette espèce est, depuis peu, également présente en Espagne, au Portugal, mais également dans d’autres pays européens, tel que la France, comme nous le verrons. Naturellement très proche du maïs, la téosinte peut assez facilement s’hybrider avec lui. Les cultures de maïs Mon810 en Espagne et au Portugal posent donc, par nature, le risque d’un transfert de transgène à la téosinte. Les experts français de l’Anses reprochent au protocole de surveillance suivi par Bayer/Monsanto d’être lacunaire. Ils écrivent ainsi que « la formulation de la question posée par le détenteur de l’autorisation aux agriculteurs, leur demandant de lister les trois plantes adventices les plus abondantes dans la parcelle enquêtée, ne permet pas d’identifier la présence de la téosinte si celle-ci n’est pas parmi les espèces les plus abondantes ». Ils recommandent donc que la présence de la téosinte « fasse l’objet d’une question spécifique et explicite dans le cadre de cette enquête ».

Ce point est important, car une hybridation au champ entre maïs transgénique et téosinte pourrait conduire à une dissémination du transgène produisant la protéine insecticide Cry1Ab. Or, les études d’impacts potentiels sur l’environnement, effectuées voici bientôt trente ans, se sont notamment intéressées aux effets d’une surexposition des pyrales à la protéine insecticide. Un transfert du transgène du maïs à la téosinte induirait mécaniquement une augmentation dans l’environnement de la présence de la protéine insecticide. Pour l’Anses, il s’agirait d’une possible « modification des caractéristiques de l’exposition des insectes cibles dans les régions où le maïs MON810 est cultivé et où la téosinte est présente ». Leur demande est donc très claire, il est nécessaire « d’inclure la caractérisation de cette nouvelle source d’exposition à la protéine Cry1Ab dans le prochain plan de surveillance. Ce dernier devra donc considérer les populations de téosintes, ainsi que la recherche du transgène dans ces populations ».

Bayer n’est pas d’accord

Comme le rapportent les experts français, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) avait également souligné ce problème potentiel lié à la présence de téosinte. L’AESA avait ainsi recommandé, en 2022 comme en 2021 et 2020, de prendre en considération toutes les nouvelles données scientifiques sur la téosinte et d’inclure dans les questionnaires pour les agriculteurs une déclaration sur la présence de téosinte et les niveaux d’infestation correspondants. Mais l’entreprise Bayer/Monsanto a refusé de modifier ces pratiques de surveillance environnementale et, notamment, le contenu des questionnaires envoyés aux agriculteurs. L’Anses détaille ainsi que « le détenteur de l’autorisation considère que l’apparition de cette dernière en Espagne est un problème agronomique général et qu’un rapport sur l’émergence ou l’occurrence de la téosinte dans le cadre de l’évaluation de la sécurité du maïs MON810 n’est pas justifié ».

Bayer/Monsanto n’a donc pas modifié sa surveillance générale des cultures de maïs Mon810. Comme le notent les experts de l’AESA fin 2023, cette recommandation qui date de 2020 et qui fut répétée chaque année depuis, n’a toujours pas été mise en œuvre puisque « le modèle de formulaire adressé aux agriculteurs n’a pas encore été révisé » [2]. Or, ils précisent qu’une question générique visant à renseigner spécifiquement la présence de téosinte dans les champs ou aux alentours des champs de maïs Mon810 « aiderait à collecter plus d’informations sur à la fois l’occurence de la téosinte et les niveaux d’infestation dans les champs de maïs Mon810 ».

Le désaccord de Bayer/Monsanto avec l’AESA ne se limite pas à la surveillance des téosintes et du passage du transgène du maïs Mon810 à cette plante. L’entreprise a, au contraire, proposé d’alléger la surveillance des cultures de maïs Mon810 en limitant « la surveillance générale à la recherche bibliographique et au système de remontée des effets indésirables par les agriculteurs », comme l’explique l’Anses.

De potentiels problèmes à venir

Pour les experts français, ce refus de l’entreprise apparaît problématique, car il empêche de surveiller et détecter la transmission du transgène CryA1b du maïs Mon810 à la téosinte en Espagne et au Portugal. Or, un tel passage de la séquence génétique codant une protéine insecticide à la téosinte ne serait pas sans soulever de gros problèmes. L’Anses en liste trois :
 Le premier est « la potentielle dispersion d’un transgène susceptible de conférer un avantage sélectif à une plante adventice qui forme des populations spontanées difficiles à contrôler ». Une plante ayant acquis par contamination le transgène Mon810 donnerait à son tour des plantes productrices de protéines insecticides, qui résisteraient aux attaques de pyrale, un avantage sélectif non prévu qui pourrait leur permettre de proliférer.
 Le second problème concerne le transfert, dans un deuxième temps, « de gène du maïs Mon810 vers des variétés conventionnelles de maïs » via la téosinte.
 Enfin, le troisième problème est celui de « la présence de plantes hybrides dans les zones refuges, pouvant compromettre l’efficacité d’une stratégie de prévention de l’apparition de résistance ». Ces zones doivent en effet être exemptes de séquence génétiquement modifiée dans des plantes pour éviter que les insectes ne soient exposés à trop de protéines transgéniques insecticides et acquièrent ainsi plus rapidement des résistances.

En 2021, la Commission européenne avait mandaté l’AESA spécifiquement sur cette question. La réponse qu’elle avait reçue en mai 2021 ne souffrait aucune incompréhension possible. L’AESA écrivait à la Commission que Bayer/Monsanto devait notamment prendre en compte les données scientifiques spécifiques à la téosinte et que le questionnaire aux agriculteurs devait être revu pour inclure une question spécifique à l’apparition de téosinte et d’hybride de téosinte, ainsi que les niveaux de présence dans les champs [3]. Une position que l’Anses a également adoptée début 2023, demandant que la présence éventuelle du transgène Cry1Ab dans ces plantes soit également surveillée. Fin 2023, l’AESA réitèrera sa demande dans son commentaire du rapport de Bayer/Monsanto sur les cultures en 2022.

Le cas de la France

Ces recommandations de l’Anses et de l’AESA ne concernent pas directement la France, puisque la culture du maïs Mon810 y est interdite. Mais la téosinte est déjà présente sur le territoire français. Comme l’explique l’Inrae dans un texte publié en avril 2021, la présence de téosinte dans des cultures de maïs a été renseignée « à partir des années 90 dans l’ouest de la France, et à partir des années 2010 dans le nord de l’Espagne » [4].

Or, d’autres maïs résistants aux herbicides sont cultivés en France, à l’instar du maïs DUO de l’entreprise BASF. L’étude conduite par des chercheurs de l’Inrae, du CNRS et de l’IRD a justement fait le lien entre ce maïs DUO et la téosinte. Elle a ainsi « mis en évidence des échanges génétiques avec des variétés de maïs cultivées en Europe qui ont permis aux téosintes d’acquérir […] une résistance à des herbicides ». Cette résistance a été acquise par transfert entre le maïs DUO de BASF et la téosinte d’une séquence génétique ACC1 contenant une mutation conférant la résistance aux herbicides. L’entreprise explique avoir obtenu ce maïs DUO en introduisant « une mutation spontanée découverte dans les années 1980 […] dans les hybrides de maïs par des méthodes classiques de sélection (rétro-croisements successifs) » [5].
S’il s’agit d’un OGM exempté des requis de la législation, cette donnée scientifique concernant ce maïs génétiquement modifié de BASF constitue un rappel important à l’heure ou la Commission européenne pousse pour que les OGM soient dérèglementés, et donc ne fassent plus l’objet de surveillance.

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