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Déréglementation des OGM : qui rencontre qui ?
Les eurodéputés, dans le cadre de leur travail, rencontrent des acteurs hors du monde politique. Ces rendez-vous officiels sont répertoriés dans une base de données. Inf’OGM a analysé en détail les rendez-vous qui ont été pris dans le cadre de la discussion sur la proposition de la Commission européenne de déréglementer les OGM. Sans grande surprise, les acteurs en faveur de la déréglementation ont eu deux fois plus de rendez-vous avec des députés que les acteurs en faveur du principe de précaution.
Le 5 juillet 2023, la Commission européenne propose un projet de règlement qui vise à sortir du cadre actuel un grand nombre d’OGM. Ce projet fait suite à une décision de la Cour de Justice de l’Union européenne qui affirmait que tous les OGM obtenus par des techniques de modification génétique principalement développées après 2001 devaient être réglementés selon la directive 2001/18, et donc autorisés, évalués, tracés, étiquetés…
Suite à cet arrêt, un impressionnant travail de lobby a été orchestré par les multinationales et quelques instituts de recherche. Dans la ligne de ce que des multinationales espéraient et demandaient, la Commission européenne a donc proposé, en juillet 2023, de mettre fin à l’encadrement réglementaire de nombre d’OGM, de réduire fortement l’évaluation des risques et de supprimer l’étiquetage. Pourtant, la majorité des citoyens européens reste favorable au principe de précaution et à l’étiquetage de tous les OGM. Mais, pour être adopté, ce projet doit être également voté par le Parlement européen et par le Conseil de l’Union européene (qui représente les États membres). Le lobby en faveur de la déréglementation des OGM allait donc se poursuivre.
Un lobby ciblé des multinationales
Le Parlement européen renseigne sur son site Internet les rencontres officielles des députés avec les « parties prenantes », dossier par dossieri. Cet article se propose donc d’analyser les rencontres officiellement déclarées par les députés européens dans le cadre du projet de déréglementation des OGM (procédure 2023/0226(COD))ii. Il est évident que les parties prenantes rencontrent dans d’autres sphères ces députés, mais ces autres rencontres, officieuses, sont de facto impossibles à cerner…
Le Parlement européen a commencé la discussion de la proposition présentée par la Commission européenne au cours de l’automne 2023. En février, il a adopté sa version après avoir amendé le texte initial. Dans notre article publié en février 2024, nous écrivions : « De son côté, le Parlement européen a adopté sa position, qui modifie la proposition de la Commission, mais à une faible majorité. S’il a marqué sa volonté politique de restaurer l’étiquetage et d’interdire des brevets par exemple, le texte adopté est confus et incertain sur le plan légal »iii.
Durant cette période de travail, se sont tenues de nombreuses rencontres entre certains eurodéputés et des représentants des multinationales, des syndicats agricoles, des ONG… Ainsi, depuis le 12 mai 2023iv, 139 rencontres ont été enregistrées sur ce sujet. Ces rendez-vous se répartissent donc sur deux législatures. Inf’OGM a pu les identifier quand le sujet du rendez-vous était clairement identifié comme portant sur la réglementation des OGM/NTG. Il est cependant possible que d’autres rencontres officielles aient eu lieu, mais elles ont pu être enregistrées sur d’autres sujets si l’acteur ou le député ont abordé plusieurs thèmes ce jour là.
Que nous apprend cette base de données sur la transparence de l’action des députés ? Le premier enseignement est que les eurodéputés sollicités sont peu nombreux : 41 sur 705 eurodéputés (720 dans la 10ème législature). Les députés les plus sollicités sur le thème au cours des deux dernières législatures sont, sans surprise, les « rapporteurs » (cf. tableau). Les rapporteurs et shadow rapporteurs sont les eurodéputés membres d’une commission thématique (Agriculture et Environnement en l’occurrence) qui coordonnent le travail de leurs collègues. Leur rôle est dès lors central, car lis tiennent le stylo en quelque sorte. Ces rapporteurs et shadow rapporteurs ont, ensemble, cumulé près de la moitié (48,9%) des rendez-vous répertoriés dans cette base de données (67 rendez-vous sur 137). Les autres députés oscillent entre 1 et 4 rendez-vous. Un cas particulier : celui de Robert Lins (14 rendez-vous). Il n’était pas rapporteur ni shadow rapporteur, mais il était le président de la Commission AGRI au cours de la 9ème législature (actuellement, il est Vice-président de cette Commission).
Nombre de rendez-vous des eurodéputés de 9ème législature (2019/2024, 705 sièges)
Nom du rapporteur | Nombre de rendez-vous | Position sur le projet |
---|---|---|
Commission ENVI | ||
Rapporteur : POLFJÄRD Jessicav (PPE) | 12 | Favorablevi |
Shadow rapporteurs : | ||
HUITEMA Janvii (Renew) | 15 | Favorablevii |
CLERGEAU Christopheviii (Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates) | 12 | Défavorable |
HÄUSLING Martinix (Verts/Alliance libre européenne) | 0 | Défavorablex |
HAZEKAMP Anjaxi (GUE/NGL) | 0 | Défavorablexii |
FIOCCHI Pietroxiii (Conservateurs et Réformistes européens – Fratelli d’Italie) | 0 | Favorablexiv |
SARDONE Silviaxv (Patriotes pour l’Europe – Lega) | 1 | Favorablexvi |
Commission AGRI | ||
Rapporteur : VRECIONOVÁ Veronikaxvii (Conservateurs et Réformistes européens) | 1 | Favorable |
Shadow rapporteurs : | ||
CHRISTENSEN Asgerxviii (Renew) | 9 | Favorablexix |
OLEKAS Juozasxx (Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates) | 13 | Favorablexxi |
ŠOJDROVÁ Michaela (PPE) (suppléante) | 4 | Favorablexxii |
TOTAL | 67 |
Lors de la 10ème législature, qui a débuté en juillet 2024, deux rendez vous seulement sont notés : un avec la députée Valérie Hayer (le 2 octobre 2024) et un avec la rapporteur de la Commission ENVI lors de la précédente législature, Jessica Polfjärd (le 18 septembre 2024). A noter que depuis le 2 octobre 2024, aucun rendez-vous n’a été enregistré dans la base de données du Parlement européen. Ceci n’a rien d’extraordinaire car, d’une part, le Parlement a adopté une première version de son texte amendé et, d’autre part, la procédure semble en suspend du côté du Conseil de l’Union européenne depuis que la Hongrie a pris la Présidence de l’UE.
La majorité des eurodéputés rencontrés sont plutôt favorables au projet de la Commission, à l’exception de Christophe Clergeau (Commission ENVI). Christophe Clergeau a été principalement contacté par des acteurs opposés, eux aussi, à ce projet de déréglementation lors de cinq rendez-vous (Ifoam, Synabio, CEO, Greenpeace, Nature et Progrès, Demeter, Friends of the Earth, Via Campesina). Au cours de deux autres rendez-vous, plusieurs acteurs favorables à la déréglementation – Copa-Cogeca d’une part et Altermind, Basf, Comité des céréales, aliments du bétail, oléagineux, huile d’olive, huiles et graisses et agrofournitures de l’UE, Crop Life, Eppa, European agro-cooperatives, European Farmers, Euroseed, d’autre part – l’ont également rencontré. L’eurodéputé écologiste Martin Häusling, lui aussi opposé et rapporteur, n’a jamais été officiellement rencontré. Même constat pour l‘eurodéputée de gauche Anja Hazekamp.
Situation inverse pour l’eurodéputé socialiste, membre de la Commission AGRI, Juozas Olekas, qui a très largement rencontré des lobbies industriels défendant les nouveaux OGM (4 acteurs contre le projet et 8 pour).
Déséquilibre sur le nombre de rendez-vous
En termes de rendez-vous, l’équilibre entre les partisans ou les opposants à ce projet de déréglementation dans les rapporteurs et shadow rapporteurs n’est pas atteint. Sur les 11 députés impliqués, seuls trois sont défavorables à l’abandon de l’étiquetage et de l’évaluation des risques des nouveaux OGM, rebaptisés NTG. Ce déséquilibre a probablement eu une implication dans l’élaboration du texte adopté par le Parlement européen.
Le second enseignement qu’il est possible déduire de cette base de données est que les acteurs en faveur de la déréglementation ont plus de moyens que ceux qui souhaitent que les OGM, anciens ou nouveaux, soient réglementés selon le cadre actuel.
Ainsi, parmi les opposants à ce projet de déréglementation, les députés ont rencontré des ONG, des entreprises « sans OGM », des acteurs de l’agriculture biologique et des syndicats agricoles (Confédération paysanne et Via Campesina). En tout, cela concerne donc 46 rendez-vous (soit 33,1 %).
De l’autre côté, les acteurs favorables à la déréglementation qui ont pris rendez vous avec les députés sont des entreprises semencières ou agro-alimentaires, des organisations professionnelles, des syndicats agricoles. Cela concerne 80 rendez-vous (soit 57,6%). La balance est donc d’un rendez-vous pour les « opposants » quand les promoteurs en avaient deux.
Reste un certain nombre de rendez-vous difficiles à classer. Il s’agit des rencontres avec des délégations nationales (Danemark (2 fois), Finlande, République tchèque, Belgique), Eurodom (organisation qui défend les régions européennes hors de la zone géographique européenne) et la Commission européenne.
Un débat européen toujours en cours
Le débat sur la déréglementation des OGM/NGT est toujours en cours. Le Parlement a adopté un texte globalement favorable à la proposition initiale. En revanche, au niveau des États membres, aucun consensus n’a pu être atteint. Dernièrement, nous mentionnions dans un article que, « malgré la marche forcée de discussions et négociations imposée par l’Espagnexxiii puis la Belgiquexxiv, qui espéraient décrocher un mandat du Conseil pour négocier avec la Commission et le Parlement, aucun accord politique ne fut trouvé, la majorité qualifiée requise n’étant pas atteignable. La Hongrie a donc hérité du dossier à un stade ou les discussions ont encore lieu »xxv.
La Pologne, qui prendra la présidence de l’UE en janvier 2025, pourrait relancer le débat. Un changement de position politique de ce pays est pressentixxvi et, dans ce cas, cela pourrait accélérer les discussions. Si la Pologne n’avance pas sur ce dossier, le Danemark, qui prend la suite de la Présidence au 1er juillet 2025, fera tout pour faire adopter un texte le plus favorable possible à la déréglementation. La délégation danoise est la seule à avoir rencontré à deux reprises des eurodéputés. Et le lobby industriel, notamment mené par la multinationale danoise Novonesis, est très fort.
i Parlement européen, « Députés ».
ii Parlement européen, Observatoire législatif, « Plantes obtenues par certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui contiennent de telles plantes ».
iii Eric Meunier, « Les États membres bloquent la déréglementation des OGM », Inf’OGM, 8 février 2024.
iv La période analysée est à cheval sur deux législatures.
vi Parlement européen, Fullständigt förhandlingsreferat, « Växter som framställts med vissa nya genomiska metoder och därav framställda livsmedel och foder (debatt) », 6 février 2024.
Parlement européen, Verbatim report of proceedings, « Plants obtained by certain new genomic techniques and their food and feed (A9-0014/2024 – Jessica Polfjärd) (vote) », 7 février 2024.
vii Jan HUITEMA
Parlement européen, Volledig verslag van de vergaderingen, « Met bepaalde nieuwe genomische technieken verkregen planten en de daarvan afgeleide levensmiddelen en diervoeders (debat) », 6 février 2024.
x Parlement européen, Ausführliche Sitzungsberichte, « Mit bestimmten neuen genomischen Techniken gewonnene Pflanzen und die aus ihnen gewonnenen Lebens- und Futtermittel (Aussprache) », 6 février 2024.
xii Parlement européen, Volledig verslag van de vergaderingen, « Met bepaalde nieuwe genomische technieken verkregen planten en de daarvan afgeleide levensmiddelen en diervoeders (debat) », 6 février 2024.
xiv Parlement européen, Resoconto integrale delle discussioni, « Piante ottenute mediante alcune nuove tecniche genomiche, nonché alimenti e mangimi da esse derivati (discussione) », 6 février 2024.
xvi Parltrack, « 31 Amendments of Silvia SARDONE related to 2023/0226(COD) ».
xix Parlement européen, Fuldstændigt Forhandlingsreferat, « Planter frembragt ved hjælp af visse nye genomteknikker samt fødevarer og foder, der er fremstillet heraf (forhandling) », 6 février 2024.
xxi Parlement européen, Posėdžio stenograma, « Tam tikrais naujais genomikos metodais išvesti augalai ir iš jų gaminamas maistas bei pašarai (diskusijos) », 6 février 2024.
xxii Parlement européen, Doslovný záznam ze zasedání, « Rostliny získané některými novými genomickými technikami a potraviny a krmiva z těchto rostlin (A9-0014/2024 – Jessica Polfjärd) », 7 février 2024.
xxiii Eric Meunier, « Espagne et OGM/NTG : bilan d’un raté politique », Inf’OGM, 18 janvier 2024.
xxiv Eric Meunier, « La Hongrie tente de faire bouger les États membres », Inf’OGM, 1er octobre 2024.
xxv Eric Meunier, « La Hongrie tente de faire bouger les États membres », Inf’OGM, 1er octobre 2024.
xxvi Ministerstwo Rolnictwa i Rozwoju Wsi, « Nowe techniki genomowe to nie GMO », 27 novembre 2024.