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Dérèglementation des OGM : 13 organisations demandent son rejet

Par Denis Meshaka

Publié le 25/01/2024, modifié le 18/04/2024

    
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Du fait de l’avis très critique de l’Anses et du dissensus politique sur la question des brevets, treize organisations françaises exhortent les eurodéputés à rejeter la proposition de déréglementation des OGM/NTG, qu’elles considèrent, « sous couvert de solutions durables », favoriser « une agriculture industrielle et un système productiviste mortifère, dont les agriculteurs sont les premières victimes et les consommateurs les cobayes ».

Depuis sa publication le 5 juillet 2023, la proposition de déréglementation des OGM/NTG se heurte à une opposition significative de la part de nombreux acteurs. Des organisations agricoles, écologistes, paysannes, de transformateurs, de consommateurs, des partisans de l’agriculture bio, se mobilisent pour que cette proposition soit rejetée ou, au moins, amendée. Dès le 11 janvier 2023, la Coordination Européenne Via Campesina (ECVC) demandait au Parlement et au Conseil de l’Union européenne de suspendre le processus d’examen de cette proposition1. Les « événements majeurs » qui, selon ECVC, « ont remis en cause la proposition de nouvelle réglementation des OGM obtenus par de nouvelles techniques génomiques (NTG) » sont l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) sur les critères d’équivalence entre plantes modifiées génétiquement et plantes conventionnelles ou naturelles, et le dissensus sur la question de la brevetabilité. Le 25 janvier 2024, treize organisations françaises interpellent les eurodéputés2.

Rappel sur les critères d’équivalence

Les organisations françaises s’appuient en premier lieu sur l’avis de l’Anses publié le 21 décembre qui, rappellent-elles, avait déterminé que les critères utilisés pour déterminer qu’une plante NTG serait équivalente à une plante conventionnelle (Catégorie 1) n’ont aucune base scientifique3. Mi-janvier 2023, ECVC expliquait, sur base du même avis de l’Anses, que « les critères de définition des OGM devant être exclus de toute évaluation, étiquetage et traçabilité, dits NTG 1, ne reposent sur aucune justification scientifique et que leur manque de clarté les rendra invérifiables ».

Les critères proposés par la Commission européenne pour déréglementer les OGM/NTG ont, en effet, été l’objet de sérieuses critiques par les experts de l’Anses4. Ces derniers jugent en premier lieu que l’hypothèse de base selon laquelle l’équivalence entre plantes implique une absence de risque est « dépourvue de base scientifique ». Les experts français estiment également que la même critique s’applique aux critères proposés par la Commission pour considérer une plante OGM/NTG comme équivalente à une plante traditionnelle. Pour ECVC, le Parlement européen et le Conseil « ne peuvent pas adopter une loi qui serait contraire à la science et, de plus, concrètement inapplicable. Ils doivent donc exiger un éclaircissement de cette controverse scientifique avant toute reprise de leurs travaux ».

Cette controverse scientifique n’est pas uniquement du fait de l’Anses. Depuis de nombreuses années, d’autres scientifiques mettent en avant le fait que les NTG introduisent des modifications génétiques de manière non contrôlée, voire non contrôlable, et que les OGM obtenus ont des effets imprévisibles, notamment, sur les écosystèmes et la biodiversité. Ils soutiennent que les plantes modifiées par les NTG devraient être soumises à une évaluation de sécurité rigoureuse, similaire à celle appliquée aux OGM [5]. Comme l’expliquait récemment le Pr. Michael Antoniou (King’s College, Londres), le 17 janvier 2023, à des parlementaires européens : « ces techniques entraînent des mutations hors-cible et sur cible qui peuvent se combiner pour modifier la fonction de nombreux gènes, ce qui entraîne une modification de la biochimie des plantes, y compris la production de toxines et d’allergènes ».

Des problèmes liés à la brevetabilité

Une éventuelle déréglementation des OGM issus de NTG induit un risque d’extension abusive de la portée des brevets sur les NTG à des semences traditionnelles ou paysannes résultant de la suppression de toute traçabilité de ces OGM et donc des données sur les brevets qui les couvrent. Ce risque est devenu récemment une des principales causes du dissensus au sein du Conseil de l’Union européenne, car il ne menace pas que les paysans, mais aussi le tissu européen de petites et moyennes entreprises semencières [6]. Cette question a ainsi amené la Commission Agriculture du Parlement européen, en décembre 2023, et la Commission Environnement du même Parlement européen, hier, le 24 janvier 2024, à proposer la non brevetabilité des plantes OGM issues des NTG dans leurs amendements du texte initial de la Commission européenne.

Mais, avant même le vote de la Commission Environnement d’hier, ECVC alertait sur un blocage juridique d’une possible décision de non brevetabilité des plantes NTG. Le mouvement rappelle tout d’abord que « selon [la Convention du Brevet Européen ratifiée par l’Union européenne – CBE], les NTG sont incontestablement des procédés brevetables et la portée d’un brevet portant sur un procédé s’étend à tous les produits résultant de l’utilisation de ce procédé » [7]. Une éventuelle décision de l’UE interdisant la brevetabilité des produits OGM/NTG « est donc tout simplement inapplicable en l’état actuel non seulement du droit européen des brevets, mais aussi des engagements internationaux de l’Union ». De plus, ce type de modifications touchant aux principes de base du système des brevets de l’OEB (Office européen des brevets) nécessiterait un consensus parmi les États membres de la CBE, qui regroupe aussi des pays non membres de l’UE. Ceci nécessite en général une conférence diplomatique. Pour ECVC, cette question sur la brevetabilité justifie la suspension des travaux en cours dans les instances européennes sur la proposition de dérèglementation des OGM.

Dans leur communiqué de presse du 25 janvier, faisant suite au vote de la Commission Environnement d’hier et proposant la non brevetabilité des plantes NTG, les treize organisations françaises rappellent que « la promesse d’interdire la brevetabilité des plantes OGM-NTG n’est qu’un miroir aux alouettes destiné à tromper le public […] une telle modification serait totalement inutile en pérennisant la brevetabilité des techniques NTG qu’il n’est pas prévu de supprimer. La portée d’un brevet sur une technique s’étend en effet à toutes les plantes issues de cette technique ». Ces organisations considèrent « encore plus scandaleux, la suppression de la traçabilité des  » nouveaux OGM  » brevetés [qui] fera des semences paysannes et traditionnelles qui contiennent naturellement le caractère génétique revendiqué dans le brevet des contrefaçons interdites ou soumises au paiement de royalties ».

Empêcher l’irréversible

Considérer que les plantes issues de NTG sont équivalentes à celle produites conventionnellement – ce que réfute clairement l’Anses – permet à la Commission européenne de proposer de supprimer toute traçabilité. Or, l’absence de traçabilité des OGM, et donc de l’identification des brevets qui les accompagnent, met en danger les paysans et les petits et moyens semenciers européens. En cas de poursuite en contrefaçon, ces derniers perdraient en effet tout moyen de prouver que leurs propres semences ne sont pas issues de l’invention brevetée. C’est l’inquiétude qu’expriment les organisations françaises qui demandent aux eurodéputés de rejeter cette proposition. ECVC avait également interpellé le Conseil de l’Union européenne, lui demandant de « suspendre [son] examen de la proposition de déréglementation des OGM/NTG tant que ces deux questions essentielles ne sont pas résolues ».

Le texte de la proposition de déréglementation, tel qu’amendé par les Commissions Agriculture et Environnement, devrait maintenant être débattu en séance plénière du Parlement européen, début février 2024. En prévision de cette séance, les organisations françaises appellent à une mobilisation à Strasbourg le 6 février pour demander aux députés européens de rejeter le texte.

  1. ECVC, “The Parliament and the European Council must suspend the examination of the proposal to deregulate new GMOs”,11 January 2024. ↩︎
  2. Friends of the Earth, OGM Dangers, Vigilance OGM 46, Agir pour l’environnement, Objectif Zéro OGM, UNAF, Confédération paysanne, Pollinis, Synabio, FNAB, Générations futures, Greenpeace, Les Faucheurs volontaires, “New GMOs: after the ENVI Committee vote, the European Parliament must oppose the deregulation project”, 25 January 2024. ↩︎
  3. Anses, “Opinion on the scientific analysis of Annex I of the European Commission’s proposal for a Regulation of 5 July 2023 on new genomic techniques (NGT)”, 29 November 2023, published on 21 December 2023. ↩︎
  4. Koller F, “The need for assessment of risks arising from interactions between NGT organisms from an EU perspective”, Environmental Sciences Europe, 20 April 2023. ↩︎
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