Réformer la commercialisation des semences pour libérer les OGM brevetés ?
Par Guy Kastler, commission OGM-semences de la Confédération paysanne
Publié le 01/04/2024, modifié le 09/04/2024
La proposition de nouveau règlement sur le « matériel de reproduction des végétaux » serait une réponse aux demandes des paysans, petits semenciers, consommateurs et société civile de stopper l’érosion de la biodiversité cultivée et alimentaire résultant de l’obligation d’homogénéité et de stabilité des variétés. L’abandon du monopole des normes du catalogue et du droit d’obtention végétale cache mal la mise en place d’un nouveau contrôle du marché par les marqueurs moléculaires des gènes modifiés brevetés et par les obligations de lutte chimique et génétique contre l’effondrement de la santé des plantes industrielles « améliorées » et génétiquement modifiées.
Une proposition de règlement sur la commercialisation des semences et plants est discutée actuellement à Bruxelles. Inf’OGM publie ici une analyse critique d’un acteur du dossier, Guy Kastler, de la Confédération paysanne.
Le 5 juillet 2023, outre sa proposition de déréglementation des plantes OGM, la Commission européenne proposait un texte sur le « Matériel de Reproduction des Végétaux » (MRV) (1). Ce terme désigne ce que les paysans nomment semences et plants, soit les organes de reproduction d’organismes vivants méritant une attention et un respect supérieurs à celui accordé à un quelconque matériel.
Supprimer tous droits des paysans et des jardiniers amateurs ?
L’encadrement juridique européen de la commercialisation des semences et plants repose encore sur des directives spécifiques à chaque famille de plantes, que les États peuvent adapter dans leurs lois selon leurs particularités agricoles et culturelles. La proposition MRV remplace ces directives par un règlement s’imposant à tout les États, sans interprétation nationale possible. Elle ne peut se comprendre séparément de celle concernant les OGM issus de « nouvelles techniques génomiques » (NTG) et des autres réglementations sur, notamment, la propriété intellectuelle, la santé des plantes et le contrôle de la chaîne alimentaire.
Adoptée, elle supprimerait la possibilité qu’ont actuellement les États d’interdire ou de définir des conditions de culture de variétés pouvant porter atteinte à la culture d’autres variétés, à la santé ou à l’environnement. Elle encadrerait les échanges de semences et de plants, y compris entre agriculteurs, associations de conservation de la biodiversité et jardiniers amateurs, contrairement aux directives actuelles qui s’appliquent aux seuls échanges « en vue d’une exploitation commerciale ». Cet encadrement serait un grand recul dans les États n’interdisant pas ces échanges.
La loi française autorise, depuis 2014, les échanges entre agriculteurs de semences et de plants non couverts par un droit d’obtention végétale, y compris contre rémunération des frais, dans le cadre de l’entraide agricole et hors des obligations s’appliquant à leur commercialisation. Son catalogue « amateur » de 1998 n’est pas obligatoire pour commercialiser des semences non destinées à la culture commerciale. La proposition MRV soumettrait de tels échanges aux contraintes du commerce global : obligations de stérilisation « sanitaire », analyses, enregistrements, contrôles, agréments… Elle interdirait les échanges de plants entre agriculteurs et limiterait les échanges de semences à des quantités restreintes non encore définies. Elle les soumettrait aux mêmes contraintes sanitaires que pour le commerce de semences, plus contraignantes que celles destinées à la culture agricole. L’obligation de multiplier les semences échangées dans des parcelles séparées et de garantir l’absence de tout pathogène ôteraient l’intérêt principal des échanges pour sélection et conservation à la ferme : favoriser l’adaptation des plantes aux conditions locales de culture afin de résister par elles-mêmes aux pathogènes. Cette adaptation ne peut se faire que dans les parcelles de production agricole destinée au marché, sans éradication totale de tout pathogène, et non dans des conditions artificialisées par les pesticides et autres éradications imposées par les règlements sanitaires de production de semences commerciales.
Ouvrir largement le marché aux OGM brevetés
Les techniques de manipulation génétique déstabilisent le génome. De multiples rétro-croisements sont indispensables pour stabiliser les variétés de laboratoire – seules à être manipulées – puis les variétés élites avec lesquelles elles sont croisées pour y intégrer les gènes modifiés. Les critères de distinction, d’homogénéité et de stabilité (DHS) des variétés commerciales imposées par le catalogue et le droit d’obtention végétale (DOV) augmentent le coût de ce travail, si elles ne le rendent pas impossible.
Le brevet offre aux semenciers une protection intellectuelle plus stricte que le DOV, sans les contraintes DHS. Encore faut-il que le catalogue n’impose plus ces contraintes pour que ces gènes brevetés puissent arriver sur le marché. Le droit européen s’est déjà ouvert au matériel hétérogène non DHS pour les seules semences biologiques, qui refusent tout OGM et de ce fait la plupart des brevets. La proposition MRV veut l’ouvrir aux semences non biologiques et donc aux OGM/NTG brevetés. Il en est de même des nouvelles variétés de conservation ou amateurs non soumises aux obligations de DHS du catalogue officiel et du DOV.
Faciliter la confiscation de toutes les semences paysannes et traditionnelles
La proposition de règlement OGM/NTG repose sur un postulat « sans fondement scientifique » selon l’Anses : les OGM issus de NTG seraient semblables à des plantes issues de sélection paysanne ou traditionnelle. Ce postulat permet notamment de justifier l’abandon de l’obligation de fournir un procédé d’identification des OGM/NTG. Dès lors, la portée des brevets couvrant ces OGM/NTG s’étendrait aux semences paysannes et traditionnelles contenant naturellement des caractères semblables à ceux revendiqués par ces brevets. Seuls les paysans ou petits semenciers qui, avant la revendication de tels brevets, auront analysé et publié toutes les séquences génétiques de toutes leurs semences et déposé un échantillon de chacune d’entre elles dans des collections officielles pourront prouver qu’elles ne sont pas issues de l’invention brevetée. Mais aucun n’effectue ces analyses trop coûteuses et non indispensables à leur travail. En cas de poursuite ou de saisie sur simple présomption de contrefaçon, ils ne pourront alors pas se défendre et seront condamnés. L’ouverture du marché aux OGM/NTG conduirait à la confiscation de toutes les semences par ces brevets pirates.
Pour l’inscription au catalogue, le remplacement en cours de la caractérisation phénotypique des variétés par les marqueurs des gènes brevetés faciliterait la chasse aux contrefaçons, qu’elles soient volontaires, qu’elles résultent de contaminations génétiques fortuites ou d’extension abusive de la portée de brevets NTG à des caractères « natifs ». Un test aussi simple que ceux du Covid permet en effet d’identifier un gène breveté dans la récolte et jusqu’au rayon du supermarché, contrairement aux caractères phénotypiques du DOV, qui ne sont identifiables que dans les champs.
Interdire définitivement les semences de ferme
Suite à de fortes mobilisations paysannes, la réglementation européenne a reconnu le droit des paysans d’utiliser les semences issues de leurs récoltes de variétés couvertes par un DOV, même si certains caractères sont brevetés (en contrepartie de redevances). Mais ce droit ne s’appliquera pas au matériel hétérogène et aux nouvelles variétés de conservation OGM/NTG couvertes par brevet, et non par un DOV. Les semences de ferme de ces variétés contenant des gènes brevetés inscrites au catalogue hétérogène ou de conservation deviendraient donc illégales !
Rejeter les brevets sur le vivant
Le 7 février 2024, le Parlement européen a proposé d’interdire la brevetabilité des plantes issues de NTG. Mais à quoi bon s’il n’interdit pas aussi la brevetabilité des techniques NTG elles-mêmes ? La portée d’un brevet portant sur un procédé peut en effet s’étendre à tous les produits issus de ce procédé et à leur reproduction. La portée d’un brevet sur une NTG pourra dès lors s’étendre à toutes les plantes contenant naturellement un caractère semblable à celui revendiqué.
Interdire tous les brevets sur le vivant et les autres atteintes bureaucratiques et « sanitaires » aux droits des paysans de conserver, utiliser, échanger et vendre leurs semences reste la seule manière de libérer la biodiversité cultivée.