n°173 - octobre / décembre 2023

Que cache la proposition de nouvelle législation OGM européenne ?

Par Charlotte KRINKE

Publié le 24/10/2023, modifié le 09/01/2024

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Le 5 juillet 2023, la Commission européenne a publié sa proposition législative très attendue sur les OGM. Elle vise à faire sortir du droit commun des OGM une grande partie d’entre eux pour les faire bénéficier d’un régime juridique considérablement allégé. Les principes qui fondent le droit des OGM (évaluation des risques préalable, traçabilité et étiquetage…) seraient appliqués à géométrie variable, voire écartés. Une proposition dont le contenu résonne avec les revendications portées par les multinationales de l’industrie des biotechnologies.

La Commission européenne propose des règles nouvelles pour la culture et la commercialisation des « végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés ». Elle vise la « mutagénèse dirigée » et la « cisgénèse », des termes précis seulement en apparence. Le document de travail qui accompagne la proposition affirme sans détour que « les plantes NTG [NDLR : « nouvelles techniques génomiques »] sont des OGM » qui sont déjà encadrés par les règles applicables aux OGM. Mais ces règles ne seraient plus adaptées au progrès technologique. Il faudrait « des règles spécifiques […] pour permettre à ces plantes et aux produits connexes d’atteindre et de contribuer aux objectifs de durabilité des stratégies Pacte Vert, F2F [NDLR : Farm to Fork, ie. stratégie « De la ferme à la table »] et Biodiversité ». Voilà le point de départ théorique justifiant, selon la Commission européenne, la création d’un régime dérogatoire au droit commun des OGM. Un régime qui, au mieux, allège, au pire, écarte les principes qui sont la pierre angulaire de la réglementation OGM.

Une proposition régressive…

La Commission propose de diviser les plantes génétiquement modifiées et les produits qui en sont issus (aliments pour humains et animaux notamment) en deux catégories. Pour les OGM de la catégorie 1 dits « NTG 1 », la réglementation actuelle serait totalement écartée. Pourquoi ? Ces OGM sont considérés comme pouvant, en théorie, apparaître spontanément dans la nature ou être obtenus par sélection conventionnelle. Ici, fini le principe de prévention mis en œuvre à travers la procédure d’autorisation préalable avec évaluation des risques sanitaires et environnementaux. A la place, une simple procédure de vérification, sans évaluation des risques, est prévue. Son seul objet est de vérifier que l’OGM est un « NTG 1 ». Or, la vérification s’effectue sur la base de critères qui laissent beaucoup de place à l’interprétation, avec le risque que de nombreux OGM soient aspirés dans cette catégorie.

Finies aussi la traçabilité et l’étiquetage. Seules les semences seraient étiquetées, et non les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux. Cela signifie que les transformateurs et les distributeurs ne pourront plus garantir à leurs clients que leurs produits sont sans OGM. Et, au bout de la chaîne, les consommateurs n’auront pas les moyens d’exercer leur liberté de choisir entre consommer des OGM ou pas. Pour les agriculteurs qui bénéficieront de l’étiquetage des semences, la question se pose de savoir comment s’effectuera concrètement son contrôle, faute d’obligation de traçabilité et de fournir une méthode de détection. Comment les agriculteurs qui ne souhaitent pas cultiver d’OGM pourront-ils effectivement les éviter ? La question se pose d’autant plus que la Commission ne prévoit pas d’obligation de mettre en place un plan de surveillance une fois l’OGM mis en culture ou mis sur le marché. Elle ne prévoit pas non plus la création d’un registre de localisation des cultures. Or, dans le même temps, le texte n’autorise pas les États membres à mettre en place des mesures permettant d’éviter des contaminations. Les États se voient aussi retirer la possibilité de s’opposer à la culture, sur leur territoire, des OGM relevant de la future réglementation. Au-delà des risques non évalués pour l’environnement, cette absence de garanties fait peser de lourdes incertitudes sur les filières sans OGM, qu’elles soient bio ou non.

Pour les OGM de la catégorie 2, les règles actuelles continueraient de s’appliquer mais avec des aménagements. La procédure d’autorisation préalable avec évaluation des risques est ainsi maintenue. Toutefois, l’évaluation des risques sur la santé et l’environnement pourra faire l’impasse sur des données aussi essentielles que l’identification et la caractérisation des dangers. Ces informations seront requises uniquement si les caractéristiques spécifiques et l’utilisation prévue de l’OGM « donnent lieu à une hypothèse plausible sur les risques qui peut être traitée en utilisant les informations spécifiées ». Cette formule quelque peu alambiquée soulève des questions. Qu’est-ce qu’une « hypothèse plausible sur les risques » ? Qui en jugera ? Réponse peut-être dans un acte d’exécution à venir de la Commission et censé préciser les modalités de l’évaluation des risques des OGM de catégorie 2. Un acte qui sera adopté sans l’intervention du Parlement, si sa proposition législative est adoptée.

Pour ces OGM, l’étiquetage est maintenu. L’obligation de fournir une méthode de détection et de traçabilité l’est aussi. Mais l’entreprise pourra y échapper si elle arrive à justifier qu’il n’est pas possible de fournir une méthode qui détecte, détermine et quantifie. Des OGM prétendus non détectables en laboratoire le sont pourtant devenus avec une recherche appropriée [1].

La proposition de règlement de la Commission européenne soulève d’autres interrogations fondamentales. Parmi elles, celle de l’étendue même de son champ d’application. Derrière cette question, il y a inévitablement celle de l’effet qu’aura l’application du futur texte sur l’actuelle réglementation. Des OGM qui devraient être soumis au droit commun seront-ils assimilés à des « NTG » en raison de définitions trop imprécises et de critères trop flous ?

… qui résonne avec les demandes des multinationales

La proposition de la Commission européenne intervient après plusieurs années de lobbying mené auprès des institutions européennes par les multinationales des biotechnologies et les associations qui les représentent, surtout à partir de 2018. Cette influence a marqué la procédure qui a mené à l’adoption du texte, notamment les diverses consultations des États membres et du public organisées par la Commission. Une enquête est d’ailleurs en cours à ce sujet auprès de la Médiatrice européenne [2].

Les principales revendications des multinationales des biotechnologies trouvent des traductions concrètes dans le texte proposé par l’exécutif européen. C’est le cas de la distinction établie entre les OGM transgéniques et les OGM obtenus par des nouvelles techniques de modification génétique. Ces derniers sont trompeusement qualifiés de « produits issus des nouvelles techniques génomiques » car ils ne contiendraient pas d’ADN étranger. Plusieurs études scientifiques ont pourtant démontré le contraire. En 2019, Garlich von Essen, secrétaire général de Euroseeds (organisation représentant, entre autres, les quatre principales multinationales des biotechnologies) et ancien commissaire à l’agriculture de la Commission européenne, affirmait que « nous avons besoin d’un cadre politique favorable et d’un cadre réglementaire conséquent pour récolter les fruits [des] progrès scientifiques. C’est probablement le plus grand défi que nous ayons à relever […]. Plus concrètement, nous devons commencer à sensibiliser le nouveau Parlement européen et la nouvelle Commission européenne, en les familiarisant à cette question importante » [3]. Quatre ans plus tard, à la suite de la publication de la proposition de la Commission européenne, Garlich von Essen, « [salue] la différenciation des NTG de type conventionnel par rapport aux exigences d’approbation des OGM transgéniques, qui sont dépassées et pratiquement inapplicables » [4]. Autre traduction d’une revendication portée par l’industrie des biotechnologies : la catégorie « NGT 1 ». En 2020, Euroseeds affirmait que « les plantes présentant des altérations génétiques, qui pourraient également être le résultat de méthodes de sélection conventionnelles ou de processus naturels, ne devraient pas être réglementées en tant qu’OGM », et donc, non soumis aux obligations de traçabilité et d’étiquetage… [5]

Les discussions sur la proposition de la Commission ont commencé au Conseil de l’UE, qui réunit les ministres des États membres, et s’engageront ensuite au Parlement européen. L’industrie et la présidence espagnole du Conseil souhaitent une adoption rapide, avant les élections du Parlement européen en 2024.

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