Nouvelles plantes mutées brevetées : des PGM qui cachent leur nom
- Les plantes mutées sont souvent résistantes à un herbicide
Les plantes mutées, développées discrètement depuis les années 60, connaissent un regain d’intérêt chez les semenciers. A cela, plusieurs raisons : de nouvelles techniques (dont les méganucléases et nucléases à doigt de zinc…), moins coûteuses et permettant de cibler précisément le lieu des mutations, permettent d’obtenir, notamment, des plantes mutées tolérantes à des herbicides, comme avec les PGM. Et, comme pour les PGM, de les breveter. Cerise sur le gateau, elles échappent à la législation sur les PGM, levant de fait les obstacles à leur commercialisation, notamment en Europe. Aux Etats-Unis, la Fondation Nationale pour la Science (National Science Foundation) l’a bien compris et subventionne largement ces recherches. Quelques exemples.
A l’Université de Cornell aux Etats-Unis, Thomas Brutnell et son équipe de l’Institut Boyce Thompson travaillent sur le maïs. Ces chercheurs viennent de recevoir une subvention de 2,5 millions de dollars sur trois ans du Programme de la National Science Foundation (NSF) sur le Génome des Plantes [1].
Identifier des gènes utiles : grosses subventions de la NSF
L’objectif des recherches est d’utiliser la caractéristique de certains gènes à sauter d’une position à une autre – on dit que ces gènes se transposent, d’où leur nom de transposons – pour pouvoir retirer partiellement ou éteindre du génome certains gènes. Cette absence partielle ou extinction d’un gène induit que la protéine pour laquelle il code ne sera plus exprimée. En observant les conséquences de l’absence de cette protéine, les chercheurs espèrent pouvoir comprendre le rôle qu’elle joue dans une cellule. Les chercheurs annoncent pouvoir ainsi comprendre comment fonctionne la tolérance à la sécheresse ou au sel (une ritournelle de 20 ans avec les PGM) ou mettre au point des variétés nécessitant moins d’azote. C’est ainsi qu’aujourd’hui, l’Institut dispose de lignées de maïs contenant un transposon appelé Ds (naturellement présent chez le maïs – il fut même le premier transposon découvert) en différentes positions du génome. Ce dernier peut donc être inséré et se retirer de plusieurs positions dans le génome. Lorsqu’il s’insère dans un gène, il en inhibe la fonction. Il l’éteint en quelque sorte. Lorsqu’il ressaute ailleurs, le gène éteint récupère alors sa fonction initiale. Pour 2000 dollars, l’Institut peut maintenant fournir aux autres chercheurs une lignée de maïs dans laquelle le transposon Ds se trouve à un endroit précis.
De son côté, le laboratoire de Susan McCouch a reçu une subvention de 6,9 millions de dollars sur quatre ans afin d’étudier les variations naturelles des variétés de riz sauvages et cultivées. L’objectif est ici clairement plus agricole puisqu’il s’agit d’accélérer les procédures d’améliorations des plantes visant à augmenter leur productivité. Ces procédures d’amélioration reposent sur l’idée qu’il faille, par diverses techniques, introduire dans les variétés de riz cultivées des gènes qui sont « sortis » de ces variétés alors qu’elles n’étaient pas encore améliorées pour être cultivées. Selon S. McCouch, « les ancêtres sauvages contiennent plus de variations que les espèces cultivées et sont sources de plus d’allèles utiles à l’amélioration végétale […] Nous avons démontré que les allèles sauvages peuvent permettre d’augmenter la productivité de 10 à 20% et nous commençons tout juste à explorer ce potentiel » [2]. Les mêmes caractéristiques que celles annoncées avec des PGM sont recherchées : résistance à la sécheresse, au sel, à l’acidité des sols, aux températures extrêmes et aux maladies. Une fois que les gènes responsables de ces caractéristiques auront été identifiés, il restera à les introduire, sous une forme modifiée ou non, dans le génome des variétés cultivées, par une des techniques de biotechnologie. Ce travail confirme donc un constat porté depuis plusieurs années par les défenseurs des semences paysannes, à savoir que les capacités d’adaptation des plantes ont été perdues avec la production industrielle des variétés destinées à l’agriculture intensive. Et que les semences paysannes, qui évitent les inconvénients résultant de l’utilisation des techniques de biotechnologie, sont donc une voie à privilégier pour répondre aux problèmes agricoles que l’agriculture intensive a pu générer.
Plantes mutées pour tolérer les herbicides… et fuir la législation
Dans l’Etat du Dakota Nord, l’entreprise Cibus expérimente actuellement en champs du canola (variété de colza à faible teneur en acide érucique) modifié par mutagenèse dirigée afin de résister à des herbicides à base de sulfonylurée. Moins connue que les entreprises Monsanto, Syngenta et autres, Cibus est pourtant tout aussi active dans le domaine des biotechnologies ou, plus précisément, dans une technique qu’est la mutagenèse dirigée par oligonucléotides. L’idée de cette technique est d’introduire dans la cellule dont on veut modifier un gène cible, quelques copies modifiées – ou mutées – de ce gène. Cette introduction se fait en utilisant un mécanisme universel de réparation de l’ADN qui permet à une cellule de réparer un chromosome cassé en copiant l’information détruite par la cassure sur une autre molécule d’ADN identique, naturellement présente, qu’est la chromatide sœur. Ainsi, en introduisant dans une cellule une molécule d’ADN synthétique (dite oligonucléotide et dont les éléments de base n’existent pas dans la nature) dont la séquence est exactement celle d’une séquence présente dans le génome à l’exception d’un ou quelques nucléotides, la cellule utilisera cet oligonucléotide pour introduire la mutation dans le génome. Si le résultat final est tel qu’attendu, il est à souligner que les scientifiques ne savent pas précisément comment les choses se passent ! [3] Cette technique de mutagenèse, tout comme les techniques utilisant les méganucléases, nucléases à doigt de zinc… [4], connaissent un vrai boom dans les laboratoires. Les avantages de ces techniques ? « Elles permettent de générer des modifications précises du génome des plantes, de manière pratique et non coûteuse en temps » selon Vipula Shukla de l’entreprise Dow Agrosciences [5]. Elles permettent surtout d’échapper, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, à la législation sur les OGM. En Europe, car si la mutagenèse conduit bien à des OGM, elle est spécifiquement exclue du champ d’application de la législation sur les OGM ; et aux Etats-Unis, car le ministère états-unien à l’Agriculture a, en ce sens, rédigé une lettre en 2004 dans laquelle il estime « ne pas avoir les compétences pour réguler les techniques de mutagenèse comme celle de Cibus » [6]… Toujours est-il que la technologie de Cibus intéresse d’autres entreprises. Pour preuve, l’accord signé en juillet 2010 entre BASF et Cibus afin d’introduire dans des variétés de colza et de canola de BASF, une propriété de tolérance d’herbicides de BASF par la technique de Cibus [7]. A noter que la résistance aux herbicides ainsi obtenue ne résout pas un des problèmes majeurs générés par les PGM résistantes aux herbicides : leur invasion dans l’environnement [8]. Bien au contraire, en augmentant le nombre de ces plantes résistantes, PGM ou mutées, les chercheurs vont le renforcer.
Méganucléases : encore d’autres brevets
Si le débat quant à la nature GM des plantes modifiées n’est pas encore tranché – en Europe, la réflexion est en cours [9] – du côté des entreprises, le dépôt des brevets a, lui, bel et bien commencé. Le 1er novembre 2010, l’entreprise BASF Plant Science a annoncé la signature d’un accord de partenariat avec l’entreprise Precision BioSciences Inc. [10]. Cet accord va conduire les deux entreprises à mettre au point des plantes mutées selon une technique apportée par Precision BioSciences Inc., utilisant des méganucléases. Ces dernières, en coupant le génome d’une plante à un endroit très précis, permettent d’y introduire une mutation ou un gène spécifique, voire de retirer un gène entier. Cet accord de coopération entre deux entreprises, l’une, BASF, apportant l’accès au marché et les ressources végétales qu’elle possède, et l’autre, Precision BioSciences, apportant sa technique brevetée, débouchera sur des variétés de plantes que les entreprises auront bien évidemment protégées par des droits de propriété industrielle.
[1] http://www.seedquest.com/news.php?t…, 22 novembre 2010
[2] cf. note 1
[3] « Chimeric RNA/DNA Oligonucleotide-Based Site-Specific Modification of the Tobacco Acetolactate Syntase Gene », Kochevenko A. et al., Plant Physiol, 2003, Vol. 132, pp. 174-184 et « A tool for functional plant genomics : Chimeric RNA/DNA oligonucleotides cause in vivo gene-specific mutations », Beetham P.R. Et al., PNAS, July 20, 1999 vol. 96 no. 15 8774-8778
[4] Inf’OGM publiera prochainement une brochure sur ces nouvelles techniques. Elle visera à fournir une vision précise de chaque technique mais surtout, une approche épistémologique questionnant la pertinence même de modifier le génome des organismes vivants et plus particulièrement, celui des plantes.
[5] cf. note 2
[6] cf. note 2