n°176 - juillet/septembre 2024

Les droits de propriété intellectuelle sur le vivant contraints d’évoluer

Par Denis MESHAKA

Publié le 01/07/2024

    
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Le principe de droit de propriété intellectuelle (DPI) est majoritairement accepté par la plupart des sociétés occidentales, mais il suscite des débats lorsqu’il touche au vivant. Ce domaine du droit a donc évolué au fil des ans, et encore très récemment, notamment dans le secteur végétal.

Le brevet et le certificat d’obtention végétale (COV) sont les deux principaux DPI touchant le vivant, mais d’autres systèmes suis generis sont possibles. Le brevet, l’outil le plus puissant, concerne des inventions biotechnologiques, des plantes modifiées, leurs cellules, leurs gènes… Le COV couvre les variétés de plantes via leurs caractéristiques phénotypiques (observables), à condition qu’elles soient distinctes, homogènes et stables (critères DHS). Les brevets et les COV couvrent donc deux objets différents. Ils peuvent offrir des protections cumulables, mais leur équilibre est aujourd’hui questionné.

Le brevet bousculé

Jusqu’en juin 2023, la protection par brevet en Europe était possible via les brevets nationaux et le brevet européen de l’Office européen des brevets (OEB)i. Depuis le 1er juin 2023, les déposants peuvent utiliser un troisième système : le brevet européen à effet « unitaire » qui agit sur tout le territoire de l’Union européenne. Ces deux systèmes européens coexistent pour les pays européens qu’ils ont en commun.

L’OEB considère comme brevetable « une matière biologique isolée de son environnement naturel ou produite à l’aide d’un procédé technique, même lorsqu’elle préexistait à l’état naturel »ii. Ses directives ajoutent qu’« un gène dont on découvre qu’il existe à l’état naturel, peut être brevetable si l’on révèle un effet technique, par exemple son utilisation dans la fabrication d’un certain polypeptide ou dans la thérapie génique », c’est-à-dire une donnée associée à un caractère d’utilité industrielle particulier (voir p.14-15). La décision G3/19 de la Grande Chambre de recours de l’OEB a néanmoins exclu de la brevetabilité les procédés « essentiellement biologiques » (PEB)…« s’ils consistent intégralement en des phénomènes naturels tels que le croisement ou la sélection » et les produits obtenus par de tels procédésiii. Cette définition de PEB est aujourd’hui bousculée par certains acteurs qui veulent que la mutagénèse dite « non ciblée » (ou aléatoire) soit aussi considérée comme un phénomène naturel.

En outre, dans le cadre de la proposition de règlement européen sur les OGM/NTG végétaux, le Parlement a voté, le 6 février 2024, une exclusion de la brevetabilité des produits issus des NTG (plantes, matériel végétal, informations génétiques) en laissant toutefois la possibilité de protéger les procédés des NTG (voir p. 9-10). Ce vote n’est pas définitif et doit passer les autres étapes du trilogue incluant le Conseil de l’UE et la Commission européenne, et nécessiterait aussi une modification des actes législatifs en vigueur sur les brevets (voir p.13).

Regain d’intérêt pour le COV

Les catalogues officiels des variétés imposent aussi les critères DHS, ce qui assure un monopole de fait aux variétés pouvant être protégées par un COV. Cette « norme » DHS ne concerne que les semences industrielles et reste incompatible avec les semences paysannes, qui sont par nature diverses génétiquement et non homogènesiv.

Ces dernières années, des petits/moyens semenciers et leurs représentants, adeptes des COV, ont alerté sur une possible hégémonie des brevets sur les NTG et les produits qui en sont issus, pouvant verrouiller l’accès aux ressources génétiques. Certains conseils en brevets proches du milieu industriel affirment aussi que les COV, plutôt que les brevets, devraient servir à protéger des produits issus des NTGv.

L’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) s’est elle ouverte à l’utilisation de critères moléculaires pour les COV utilisant des techniques génétiques pour identifier les caractères de certaines variétés végétales. Concrètement, à l’aide de ces critères génétiques identifiés par des marqueurs moléculaires, les obtenteurs pourraient mieux tracer les variétés et renforcer le contrôle des paysans par les semenciers (voir p. 4-5).

iCe titre doit ensuite être revendiqué dans chaque pays membre de l’OEB où son détenteur veut l’exploiter, ce qui est très coûteux vu le nombre de pays concernés.

iiConvention sur le brevet européen, règle 27.

iiiOffice européen des brevets, décision G03/19 « Procédés essentiellement biologiques », 14 mai 2020.

ivUn règlement européen (CE n°2018/848) entré en vigueur le 1er janvier 2022 a néanmoins créé la notion de matériel hétérogène biologique (MHB) pour autoriser la commercialisation de semences moins homogènes.

vKim, D. Kock, M. et al. « New Genomic Techniques and Intellectual Property Law: Challenges and Solutions for the Plant Breeding Sector ‒ Position Statement of the Max Planck Institute for Innovation and Competition », GRUR, 8 janvier 2024.

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