La réforme de la réglementation européenne reste lacunaire
La possible réforme de la règlementation européenne est en débat quant à ses enjeux et son déroulement (cf. Encadrement des PGM en Europe : quelle évolution prévue ?). Mais elle l’est aussi quant au bien-fondé des sujets qui seront officiellement abordés par les groupes de travail. Yves Bertheau [1] nous rappelle les conditions d’un bon travail de révision et les points importants qui semblent rester sur la touche….
Inf’OGM : Que vous inspirent la mise en place et les objectifs de travail annoncés pour les groupes dits ad hoc et de sherpas ?
Yves Bertheau – Je pense qu’on met la charrue avant les bœufs et que les actions en cours manquent de transparence. Des décisions politiques risquent d’être prises alors que des travaux de recherche importants (cf. le programme Co-Extra) ne sont pas finalisés. On risque d’aboutir encore à des incongruités qui ne faciliteront pas la coexistence des filières (dont celle aux champs n’est qu’une partie) et les laboratoires devront courir après une règlementation inapplicable.
Inf’OGM : Vous avez des exemples plus concrets ?
YB – Un bon exemple est l’absence de considération dans la règlementation européenne actuelle de la détection des OGM non autorisés. Des méthodes de détection de ces OGM existent mais le laboratoire communautaire n’a pas de mandat pour les valider. L’UE devrait être plus « pro-active » et prévoir ces débordements : nous ne vivons pas dans un monde idéal où les OGM seraient totalement contrôlés, comme nous avons déjà pu le constater.
Sur l’harmonisation [des procédures d’autorisation] avec les pays tiers, il faudrait commencer par harmoniser au sein de l’Europe : sur la base de résultats scientifiques soi-disant identiques, les Etats-membres édictent des distances d’isolement différentes. De plus, celles-ci ne prennent pas en compte les seuils pratiqués dans les filières (de 0,1 à 0,01%) mais celui de 0,9% qui correspond à l’étiquetage au sortir du champ, sans doute par crainte de constater que la coexistence au champ est impossible sans zones spécialisées. Et on s’aperçoit alors que manquent les outils juridiques permettant la mise en place de bassins de production spécialisés, non-OGM par exemple.
Il faudrait également harmoniser les procédures sur les méthodes de détection entre les pays étiquetant les OGM (Russie, Japon, Corée, etc.) et les Etats-Unis, le Canada ou les nouveaux pays producteurs d’OGM (Inde et Chine). Par exemple, l’Europe n’a toujours pas la méthode officielle chinoise et le matériel de référence pour détecter le riz Bt63 et n’a aucune idée des mesures adoptées aux Etats-Unis pour éviter qu’il n’arrive chez nous via ce pays.
L’UE a bien fait de renoncer à un nouveau seuil pour les OGM non autorisés. Un tel seuil, ou prévoir une « solution technique » comme l’envisageait la Commission européenne, risquait d’ouvrir une boite de Pandore.
Inf’OGM – Et pour ce qui est de la coexistence des filières que vous étudiez dans le cadre de CoExtra ?
YB – Les résultats montrent que les sociétés appliquent un principe de précaution classique avec des seuils classiques de 0,1% et 0,01% en raison des diverses incertitudes de mesure. L’incertitude globale est d’un facteur 2 à 3, qui est ensuite multipliée par un facteur 3 pour distinguer le signal du bruit de fond. De 0,1% de présence fortuite d’OGM, nous arrivons donc à 0,9% en appliquant ces marges de précaution, d’où le seuil règlementaire européen de 0,9%. Cette variabilité des mesures oblige à définir un seuil de présence d’OGM dans les semences très bas (maximum de 0,1%) sinon, nous aurions au sortir du champ des produits non gérables par les filières agro-alimentaires et supprimerions de facto toute coexistence des filières dans l’UE, donc toute liberté de production et de consommation non-OGM.
Inf’OGM – D’autres points vous semblent importants ou oubliés ?
YB – Sans doute les régimes de responsabilité et réparation : il faudrait un système européen pour éviter les dérives. Je déduis des scénarii produits par SIGMEA (programme visant à établir les conditions d’introduction des PGM en Europe) et Co-Extra qu’il paraît préférable de disposer d’un fond d’indemnisation abondé par les utilisateurs d’OGM, et sans avoir à démontrer l’origine de la contamination.
Il faut un outil juridique européen permettant de définir des zones de production, « sans OGM » puisque le programme SIGMEA montre que le seuil de 0,1% ou 0,01%, utilisé par les opérateurs, n’est possible qu’avec de très grandes distances d’isolement ou des zones de production spécialisées.
Les méthodes de confinement des OGM (stérilité mâle cytoplasmique, cléistogamie…), si elles sont mises sur le marché, devraient être utilisées pour les nouveaux OGM comme ceux à plusieurs transgènes ou à utilisation non alimentaire (pharmaceutique, à usages industriels…). De notre capacité à gérer les OGM actuels à destination alimentaire dépendra notre capacité future à gérer les OGM non destinés à l’alimentation.
Plus globalement, je me pose la question de l’intérêt de l’adoption des OGM. Je crains que ce ne soit une vue à court terme : le modèle économique des matières premières versus une production basée sur des signes de qualité paraît peu adapté à l’UE, alors qu’une production basée sur des signes de qualité serait bien plus utile. Les producteurs européens ne peuvent demander à la fois à bénéficier des nouvelles technologies pour être compétitifs vis-à-vis des pays tiers et demander également la protection des marchés car ils ne peuvent atteindre les prix de production des pays tiers, avec ou sans subventions à l’exportation.
Sur l’éventuel seuil pour les OGM non autorisés, il n’y avait pas d’analyse coût-bénéfices de l’intérêt ou non de créer un tel seuil. Il n’y a pas d’analyse de l’intérêt pour les agriculteurs européens de produire des aliments pour animaux alors que les jachères obligatoires devraient diminuer ou disparaître. Le modèle économique utilisé par la DG Agriculture de la Commission pour démontrer l’effet du manque de soja était vraiment très limité [2].
Enfin, l’irréversibilité de l’adoption des OGM vue en Argentine incite à la prudence. Une situation de monopole s’est constituée sur les semences OGM et personne ne semble plus en mesure de continuer l’amélioration des variétés non-OGM. Qui se chargerait de ce travail d’amélioration en Europe ?
Je dirais que la règlementation européenne possède encore des failles à combler. Mais modifier cette règlementation nécessiterait qu’une analyse rétrospective soit déjà faite : ainsi, quelle est l’efficacité des plans de surveillance après mise sur le marché ?
[1] Yves Bertheau est directeur de recherche à l’Inra de Versailles, et coordinateur du programme européen Co-Extra http://www.coextra.eu
[2] cf. Inf’OGM Actu n°5, La filière viande européenne en crise ?