Innocuité des OGM : aucune étude ne permet scientifiquement de conclure
La publication, très médiatisée, de Snell et collaborateurs [1], a été largement présentée comme une preuve définitive de l’innocuité des Plantes Génétiquement Modifiées (PGM) et de l’adéquation des méthodes d’évaluation toxicologique qui leur sont appliquées. D’autres ont fortement critiqué la validité des conclusions des auteurs. Suivant de près le dossier OGM depuis de nombreuses années, la sénatrice Marie-Christine Blandin a voulu qu’un point officiel soit fait sur les conclusions de cette publication, afin d’éclairer le débat public. Elle a donc saisi le HCB, en posant quelques questions très précises. Analyse explosive des réponses.
Le résultat est de portée majeure : non seulement les conclusions principales et médiatisées de l’article sont invalidées, mais de ce fait, il ressort qu’aucune publication dite scientifique à ce jour, prétendant montrer l’innocuité des PGM à travers des études au long terme ou multi-générationnelles n’est conclusive ! On le savait, mais le voir officiellement confirmé change vraiment la figure du débat public.
Le 15 décembre 2011, Agnès Ricroch, d’Agro Paris Tech et de l’académie d’agriculture, déclarait sur Europe 1, en se référant à l’article de Snell dont elle est co-auteur : « le débat sur les OGM sur le plan sanitaire est clos ». Cette affirmation péremptoire et définitive, reprise de nombreuses fois, se basait sur un article qui devait paraître peu de temps après dans une revue scientifique : Food and Chemical Toxicology (FCT), la même revue qui accueillera plus tard la célèbre publication de Gilles-Éric Séralini sur le NK603 et le Roundup [2]. En plus de ce point commun fortuit, ces deux articles sont fortement liés, du fait que lors de la polémique ayant entouré la publication du groupe de Séralini, celui dont Ricroch est co-auteur a été mis en avant comme contre-exemple et, plus ou moins explicitement, comme modèle de bonne tenue scientifique, ceci au point que Gérard Pascal et Agnès Ricroch ont été invités comme « témoins à charge » lors de la fameuse séance de l’OPECST [3] dédiée à l’article de Gilles-Éric Séralini. Le député Le Déaut, vice-président de l’OPECST et organisateur de cette séance, a à cette occasion présenté Agnès Ricroch comme « co-auteur d’une méta-analyse sur le même sujet qui s’est opposée à l’étude de Gilles-Éric Séralini ». Suite à cette dernière publication, une pétition avait été lancée par des membres du CNRS, pour dénoncer le travail de Séralini et qui affirmait : « Rappelons qu’en mars dernier était publiée dans la même revue une synthèse de 24 études concluant toutes à l’innocuité des OGM dans l’alimentation » [4]. Il est donc logique que Marie-Christine Blandin s’interroge sur la validité scientifique des conclusions de cette « méta-analyse » et en conséquence, saisisse le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) [5].
Questions précises, réponses alambiquées
La première question posée par la sénatrice concerne d’ailleurs cette qualification : ce travail est-il une « méta-analyse » ? Cette qualification n’était pas utilisée dans le titre de l’article, mais on le trouve dans le texte et M. Le Déaut, entre autres, comme on vient de le voir, l’utilise, sans être démenti par Mme Ricroch (ni par Gérard Pascal, présent lui aussi). C’est un peu technique, mais c’est important, car une méta-analyse répond à une méthodologie qui donne du poids aux conclusions. Là, le Comité Scientifique (CS) du HCB donne une réponse claire : non, ce n’est pas une méta-analyse.
La seconde question mérite d’être citée in extenso : « Mme Ricroch affirme : « 17 études sur les 24 sont de bonne qualité, c’est à dire qu’elles ont une puissance statistique bonne » (rapport de l’OPECST p.36). Ma seconde question sera la suivante : sur ces 17 études, combien fournissent le calcul de la puissance statistique, dans quel intervalle ces valeurs se situent-elles et peut-on – et sur quels critères – les qualifier de bonnes ? ». La question est bien plus gênante que la première et la langue de bois, déjà présente dans l’introduction de l’avis, ressurgit. Nous allons y revenir, mais en deux mots, un résultat négatif (on ne trouve pas d’effet toxique, par exemple) n’a d’intérêt que si la puissance statistique est suffisante pour prouver qu’on est bien dans les conditions qui permettent de voir un effet s’il existe [6]. Si on n’est pas en état de voir ce qu’on cherche, affirmer qu’on ne voit rien n’a aucun intérêt. Disons tout de suite que c’est le cas de ces fameuses 17 études, qualifiées de « bonnes », d’où l’embarras des experts du CS, qui préfèrent botter en touche sur cette qualification en disant qu’il ne fait pas partie des missions du CS de commenter des propos tenus dans une réunion publique (propos tenus quand même par une des auteurs de l’article et dans un cadre parlementaire, rappelons-le). Quant à la question de la puissance statistique, il est difficile de ne pas répondre. Toute personne ayant accès aux publications scientifiques peut aller vérifier qu’aucune de celles citées ne fournit de calcul de puissance, contrairement à ce qu’a affirmé publiquement Ricroch. C’est donc ce que répond le CS, mais, et c’est là que le bât blesse, en tentant de minimiser la portée de cette information : « Pour les études qui se fixaient un objectif de mise en évidence d’un effet ou d’une absence d’effet, des analyses statistiques étaient nécessaires. Après examen, le CS du HCB considère que 5 études parmi les 24 auraient pu bénéficier de calculs de puissance ou de tests d’équivalence pour justifier les conclusions avancées par ces études ». Aurait pu bénéficier !
Cette façon volontairement trompeuse de s’exprimer, en réponse à des questions d’une élue de la République, contraste singulièrement avec celle utilisée par le statisticien expert du CS du HCB dans son blog personnel [7], pour qualifier cette même publication de Snell et al. lors de sa parution et en se référant au titre du Figaro : « Cette « une » se base elle aussi sur une publication scientifique de Snell et al. (publiée… toujours dans la même revue Food and Chemical Toxicology). Cet article passe en revue 24 études sur le sujet et conclut : « Les publications étudiées apportent la preuve de l’équivalence nutritionnelle entre les PGM et leurs homologues non génétiquement modifiées et elles peuvent être utilisées sans risque sanitaire pour l’alimentation humaine et animale » [8].
Mais là encore, la conclusion telle qu’elle est formulée par les auteurs de l’article va bien au-delà de ce que les études permettent de dire. Rappelons en effet que beaucoup d’études portent sur des groupes de seulement dix animaux (parfois même cinq ou trois). On peut faire aux auteurs les mêmes reproches qu’à Séralini : conclure systématiquement de façon aussi définitive sur la base d’informations aussi limitées n’a pas de sens ! D’autre part, les tests mis en œuvre dans ces études sont des tests statistiques de comparaison qui n’autorisent en rien à conclure sur l’absence totale de risque ou sur la notion d’équivalence biologique. L’outil de statistique inférentielle théoriquement adapté à cette question est le test statistique d’équivalence ».
Un peu plus loin dans ce même blog, le statisticien précise :« Une différence biologiquement significative peut ne pas être statistiquement significative si les données disponibles sont insuffisantes. Une analyse de puissance est donc indispensable pour évaluer quelle taille d’effet peut être détectée avec une taille d’échantillon donnée ».
Il s’agit bien du même expert qui a validé la conclusion de l’avis du HCB : « parmi les études répertoriées par Snell et collaborateurs, aucune ne comporte de calcul de puissance, comme cela est indiqué dans leur revue bibliographique. Néanmoins, selon la question posée dans chaque article, le CS du HCB souligne que ces calculs ne sont pas systématiquement nécessaires ».
L’expert SOULIGNE donc que ce qui est indispensable n’est pas systématiquement nécessaire. Il a raison de le souligner, c’est une évidence qui aurait pu nous échapper.
Cette saisine de Mme Blandin, d’une importance considérable, conduit à des conclusions majeures :
1- les publications sur lesquelles s’appuient Snell et collaborateurs et donc les scientifiques militants pro-OGM bien connus que sont Agnès Ricroch, Gérard Pascal et Marcel Kuntz, sont non conclusives ;
2- cette revue de la littérature étant en principe exhaustive, cela veut dire qu’il n’existe aucune publication dans la littérature scientifique sur des études de toxicologie au long terme ou de reprotoxicité qui soit recevable ;
3- la conclusion, conforme aux souhaits de l’industrie productrice d’OGM, selon laquelle il n’est pas nécessaire d’alourdir les protocoles de toxicologie, est sans fondement ;
4- il est clair, lorsqu’on compare les traitements affectés aux publications visant à montrer une toxicité liée à un OGM avec ceux affectés aux publications visant à montrer l’innocuité des OGM, qu’il y a deux poids deux mesures. Ceci dans le domaine médiatique (qui a entendu hurler le journaliste Sylvestre Huet, à propos de la publication de Snell et de sa valorisation dans les médias ?), dans le domaine de l’édition scientifique (Food and Chemical Toxicology, qui a retiré l’article de G.-E. Séralini, l’a-t-il fait pour celui de Snell ? A noter qu’il ne l’a pas fait non plus, malgré les demandes formulées par le GIET, pour l’article de Zhu et al. [9], pourtant manifestement non conclusif et comportant des affirmations scientifiquement infondées [10], dans le domaine de l’expertise officielle (il n’est qu’à comparer l’avis du CS du HCB sur l’article de G.-E. Séralini et celui sur l’article de Snell…).
La saisine de Mme Blandin a permis une considérable clarification du débat sur les OGM.
L’AESA répond clairement à deux questions décisives
Interrogé par Frédéric Jacquemart, le panel OGM de l’Autorité européenne de Sécurité des Aliments (AESA) n’a pas, lui, usé de la la langue de bois ! Qu’on en juge :
a – lors d’un test de comparaison de moyennes (test de différence), un résultat négatif (pas de différence significative) ne peut être pris en considération que s’il est accompagné d’un calcul de puissance montrant que cette dernière est au moins supérieure à 80% et que la taille minimale de l’effet à détecter, s’il existe, est spécifié et justifié.
L’AESA est elle d’accord avec cette proposition ? – Réponse : OUI
b – une conclusion d’équivalence entre deux échantillons (par exemple : maïs OGM versus maïs conventionnel) ne peut être portée que si un test d’équivalence a été pratiqué (hypothèse nulle : les échantillons sont différents). Dans ces cas, l’équivalence démontrée ne concerne que les paramètres testés et ne peut être généralisée au-delà.
L’AESA est-elle d’accord avec cette proposition ? – Réponse : OUI
Ceci veut dire notamment deux choses :
1) du fait que, comme en l’atteste le Comité scientifique du HCB, aucune des publications utilisées par Snell et al. ne produit de calcul de puissance statistique et qu’aucune ne comporte de test d’équivalence, les affirmations de Snell et al. concernant l’innocuité des OGM sont infondées et irrecevables ;
2) du fait qu’aucun dossier de demande d’autorisation d’OGM ne produit de calcul de puissance statistique et qu’aucun de ces dossiers ne comporte de test d’équivalence alors même que les conclusions sont basées sur des affirmations d’équivalences (équivalence en substance, équivalence des lots d’animaux traités et témoins, équivalence d’alimentarité…), alors, il est clair, de l’avis même de l’instance qui les a pourtant validés, qu’aucun dossier de demande d’autorisation d’OGM produit jusqu’ici n’est scientifiquement acceptable.
[1] Snell, C., « Assessment of the health impact of GM plant diets in long-term and multigenerational animal feeding trials : a litterature review » Food and Chemical Toxicology 50 (2012) 1134-1148. Cet article est signé Chelsea Snell, Aude Bernheim, Jean-Baptiste Bergé, Marcel Kuntz, Gérard Pascal, Alain Paris et Agnès Ricroch
[2] Séralini, G.-E. et al. « Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize » Food and Chemical Toxicology 50 (2011) 4221-4231 – retiré de la publication
[3] Office Parlementaire des Choix Scientifiques et Technologiques, « Quelles leçons tirer de l’étude sur le maïs transgénique NK603 ? », in Compte rendu de l’audition publique du 19 novembre 2012 et de la présentation des conclusions le 18 décembre 2012, 27 février 2013
[5]
[6] , « Expertise des OGM : l’évaluation tourne le dos à la science », Inf’OGM, 9 octobre 2012
[8] The studies reviewed present evidence to show that GM plants are nutritionally equivalent to their non-GM counterparts and can be safely used in food and feed.
[9] A 90-day feeding study of glyphosate-tolerant maize with the G2-aroA gene in Sprague-Dawley rats », Zhu et al., Food and Chemical Toxicology 51 (2013) 280–287
[10] , « Innocuité sanitaire des OGM – Séralini et Zhu : deux poids, deux mesures ! », Inf’OGM, 27 janvier 2014