n°175 – avril / juin 2024

Des organisations de consommateurs et de transformateurs se mobilisent

Par Denis MESHAKA

Publié le 01/04/2024, modifié le 09/04/2024

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Parmi plusieurs acteurs opposés à la déréglementation des OGM, on trouve l’Organisation des transformateurs de produits biologiques européens (OPTA) et l’association française de consommateurs UFC-Que Choisir. Elles expriment conjointement leurs inquiétudes face à la proposition de suppression de l’encadrement réglementaire des produits végétaux modifiés obtenus par des nouvelles techniques de modification génétique (NTG).

A l’automne 2023, l’OPTA1 et l’UFC-Que Choisir, deux entités représentant respectivement les transformateurs de produits biologiques européens et les consommateurs français, manifestent leurs préoccupations communes concernant la déréglementation des produits issus des nouvelles techniques génomiques (NTG) telle que proposée par la Commission européenne. Cette position partagée est emblématique de la mobilisation croissante des acteurs de la filière alimentaire à l’encontre de dispositions législatives proposant de supprimer l’évaluation, l’étiquetage et la traçabilité de ces nouveaux OGM.

Le consommateur doit savoir pour choisir

Dans une conférence organisée le 26 octobre 2023 au Parlement européen par l’eurodéputé socialiste Christophe Clergeau, Olivier Andrault, de l’UFC-Que Choisir, alerte sur les conséquences profondes d’une possible intégration des OGM « classique» ou des OGM/NTG dans les secteurs agricole et alimentaire en Europe. Pour l’UFC-Que Choisir, la question n’est pas d’être pour ou contre les OGM, mais plutôt de s’assurer qu’un certain nombre de conditions sont respectées, qui découlent de la mise en œuvre du principe de précaution et du respect de la liberté des consommateurs à choisir. Pour l’UFC-Que Choisir, les OGM peuvent être commercialisés à condition :

Cette dernière condition est le fer de lance de l’association de consommateurs française. Olivier Andrault le répète à plusieurs reprises lors de cette conférence : « nous demandons que le consommateur soit dans la position d’avoir un choix libre et informé d’acheter ou de ne pas acheter des produits contenant ou produit à partir des OGM/NTG ».

Suite à l’énumération de ces conditions, le représentant de l’UFC-Que Choisir dresse un bilan rapide et critique de la législation actuelle et des « OGM classiques ». Pour lui, l’évaluation des risques telle qu’elle est établie actuellement par la directive 2001/18 et les règlements afférents est vraiment limitée : elle ne s’intéresse qu’aux impacts à court terme. Ainsi, l’UFC-Que Choisir réclame qu’une surveillance environnementale à long terme des OGM/NTG soit instaurée. O. Andrault ajoute qu’il faut évaluer les éventuels bénéfices qu’apporteraient ces OGM/NGT, comparés aux plantes conventionnelles, à l’ensemble des utilisateurs tout le long de la chaîne alimentaire, et en particulier aux consommateurs finaux. Autre faille dans la législation actuelle : l’étiquetage. Il reconnaît que les produits à destination de l’alimentation humaine doivent être étiquetés, mais regrette que cet étiquetage ne s’applique pas aux produits issus d’animaux nourris aux OGM. Pour l’UFC-Que Choisir, c’est une grande lacune.

Olivier Andrault revient plusieurs fois sur les promesses qui ont été faites il y a 20 ou 30 ans : lutter contre la faim dans le monde, améliorer la qualité nutritive des aliments, utiliser moins de pesticides… Or, la réalité est que les OGM commercialisés depuis les années 90 sont faits pour tolérer des herbicides ou produire un insecticide. Et, par conséquent, la culture de ces OGM a engendré une plus grande quantité de pesticides épandus (notamment du fait des plantes devenues résistantes aux herbicides). Ainsi, Olivier Andrault affirme : « la conclusion « pragmatique » d’UFC-Que Choisir sur les OGM classiques était et reste qu’ils n’apportent aucun bénéfice et qu’il est toujours difficile de faire un choix et donc nous sommes opposés à ces OGM classiques ».

Le « non » des transformateurs « bio » européens

L’OPTA prend également position, en septembre 2023, contre la proposition de la Commission européenne de déréglementer les OGM/NTG, tout en posant des conditions à leur éventuelle adoption. L’organisation affirme que les OGM/NTG sont incompatibles avec les principes de l’agriculture biologique et la perception que les consommateurs ont des produits biologiques. Elle considère que l’autorisation non encadrée menace les entreprises biologiques de l’UE.

En effet, la « bio » se fonde sur des concepts forts, dont le respect des écosystèmes et le refus des OGM. Elle impose également des normes strictes et des certifications biologiques. Les OGM/NTG étant issus de modifications génétiques, les défenseurs de l’agriculture biologique estiment que ceux-ci ne sont pas compatibles avec ses fondements.

L’industrie semencière adopte une vision différente et développe même un discours, avec la novlangue associée, louant les vertus « agroécologiques » des OGM/NTG. Selon cette industrie, les OGM/NTG permettent de produire des organismes comme le ferait la nature, de réduire les intrants chimiques et de la consommation d’eau… Autant de promesses déjà faites mais non tenues avec les OGM transgéniques. Cette forme d’intrusion sémantique, voire idéologique, de l’agro-industrie dans les concepts d’agriculture biologique vise clairement l’admission des OGM/NTG au mépris des principes fondamentaux de cette filière.

Pour contrer cette stratégie et le risque qui pèse sur la chaîne d’approvisionnement biologique, l’OPTA appelle à la vigilance et à l’action. Concrètement, elle demande l’application de règles strictes pour assurer la traçabilité, l’étiquetage et la protection des opérateurs biologiques pour tous les OGM/NTG. Ceci constituerait une garantie que les produits biologiques restent exempts de produits issus des NTG et que les consommateurs aient une visibilité claire sur l’origine des produits. Elle plaide également pour la mise en place de règles de coexistence entre les différentes agricultures. Ainsi, l’OPTA demande que soit mis en place « un mécanisme qui fasse supporter aux fabricants d’OGM/NTG les coûts supplémentaires liés à la prévention et la surveillance de la chaîne d’approvisionnement biologique ». Dans la même logique, l’association demande une compensation pour les opérateurs biologiques en cas de dommage causé par la présence de matériel OGM/NTG. La proposition, rappelons-le, ne prévoit plus aucune règle de coexistence ou de réparation des dommages en cas de contamination.

Les interventions de l’UFC-Que Choisir et de l’OPTA convergent donc vers une critique de la proposition de la Commission européenne visant à assouplir la régulation des OGM/NTG, mettant en exergue les risques de contamination, les insuffisances en termes d’étiquetage et de traçabilité, et les impacts potentiels sur la diversité biologique et les pratiques agroécologiques. Les deux organisations appellent à une révision approfondie du cadre législatif encadrant les biotechnologies, insistant sur l’importance de protéger les droits des consommateurs, de préserver l’intégrité de l’agriculture biologique, et de promouvoir une innovation responsable et éthique.

Cette méfiance à l’égard des promesses des biotechnologies est également partagée par plusieurs autres structures qui se sont fortement mobilisées contre cette proposition réglementaire. On peut citer Objectif Zéro OGM, Pollinis, les Amis de la Terre, la Confédération paysanne, IFOAM Europe… Ce mouvement de fond veut notamment rappeler l’urgence à adopter des politiques préventives face aux risques potentiels liés à ces technologies et refuse que ces produits soient désormais commercialisés de manière masquée, non-évaluée et avec la cohorte de brevets associés.

1. Cette « organisation des entreprises européennes de transformation et de vente des produits biologiques » compte une trentaine de membres officiels issus de onze pays de l’Union européenne, dont la France, ainsi que la Suisse, le Royaume-Uni et les États-Unis.
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