n°175 – avril / juin 2024

Des États membres en désaccord

Par Eric MEUNIER

Publié le 01/04/2024, modifié le 09/04/2024

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La proposition de déréglementation des OGM proposée en juillet 2023 par la Commission européenne est loin d’avoir obtenu le consensus espéré au sein des États membres. Nombreux sont ceux ayant souligné plusieurs problèmes : les brevets conférant un monopole à quelques multinationales, l’absence d’évaluation des risques, l’absence d’étiquetage, la mise en danger de la filière d’agriculture biologique…

Depuis septembre 2023, les États membres ont à plusieurs reprises partagé leurs points de vue et opinions sur la proposition de déréglementation faite par la Commission européenne et les éventuels ajustements proposés par la présidence de l’Union européenne. Face à cette proposition, les États membres sont partagés et leurs questions ou remarques sont nombreuses.

Des pays en faveur de la déréglementation

Huit pays ont, dès le départ, marqué leur accord assez franc en faveur de cette déréglementation. Pour l’Espagne, ces plantes OGM/NTG seraient parées de toutes les vertus. Elles permettraient d’obtenir des variétés végétales adaptées aux conditions du changement climatique, résistantes aux parasites et aux maladies, utilisant moins de ressources naturelles, moins d’engrais et moins de produits phytosanitaires… Le Portugal, à l’instar du Danemark, a même argumenté que l’Union européenne ne devrait pas interdire les OGM/NTG en agriculture biologique, car « on a une productivité supérieure avec les NTG ».

Sur l’étiquetage, le même Danemark, appuyé par l’Estonie, a déclaré ne pas croire « que cette information soit pertinente pour les consommateurs. Un étiquetage ajouterait par contre une charge inutile aux producteurs et accroîtrait la crise alimentaire ». La République tchèque a également fait part de son opposition à l’information des consommateurs en affirmant que « les méthodes analytiques actuelles ne permettent pas de faire la différence entre les plantes conventionnelles » et les OGM/NTG.

Pour l’Italie et la Finlande, une telle dérèglementation des OGM/NTG serait nécessaire pour permettre à l’Union européenne d’atteindre les objectifs de son « Pacte vert ». La Finlande estime ainsi que cette dérèglementation « aidera à relever beaucoup de défis. Nous devons utiliser les technologies pour promouvoir la durabilité ». L’Italie déclare, elle, que ces nouvelles techniques « sont essentielles […] [pour] protéger l’environnement ». Enfin, l’Irlande affirme considérer que ces « NTG pourront contribuer à un système alimentaire plus durable et résilient ».

Cinq pays partants, sous quelques réserves

La position de la France fut de celles considérées comme ambiguës par plusieurs observateurs. Le 7 février 2024, elle aurait ainsi rappelé souhaiter qu’un texte encadrant réglementairement les produits obtenus par des OGM/NTG soit adopté. Néanmoins, les discussions doivent continuer entre experts nationaux et européens sur les questions sanitaires et les critères proposés par la Commission européenne pour décréter une équivalence entre plantes obtenues par NTG et plantes conventionnelles. Ces critères avaient fait l’objet d’une critique sévère des experts français de l’Anses, qui avaient estimé qu’ils n’avaient pas de « fondement scientifique ». La France aurait également rappelé son souhait que les discussions sur les critères de durabilité continuent. On retiendra également de la prise de parole de la France, début février 2024, l’absence de commentaire sur la question des brevets. Un point pourtant souligné par les semenciers français et que la France avait relayé fin 2023…

Les Pays-Bas étaient dans une position assez similaire : favorables à l’initiative enclenchée mais précisant que « le texte doit toutefois apporter quelques garanties supplémentaires ». La France et les Pays-Bas ont rejoint les pays ayant soulevé le problème du brevet, estimant qu’il s’agit d’un « sujet sur lequel nous devons progresser pour permettre aux PME […] de pouvoir accéder à ces technologies aussi ».

A l’instar de la Lettonie et du Luxembourg, la Suède est également apparue mitigée. Ce pays s’est ainsi déclaré « ravi de cette proposition [et qu’il faut] que la procédure soit assez rapide afin que nous puissions avancer ». Pour elle, « l’adoption de ces NTG nous permettra d’être plus compétitif ». Elle considère qu’un étiquetage n’est pas nécessaire. Mais cette adoption doit se faire « de manière à ce que cela soit sûr pour la santé humaine, animale et pour l’environnement [et que les NTG] puissent cohabiter avec l’agriculture conventionnelle ».

Un bloc de pays plus que dubitatifs

Mais face à ces huit pays, treize autres pays faisaient part, en 2023, de problèmes ou interrogations soulevés par la proposition de déréglementation des OGM/NTG. Chacun leur tour, Croatie, Slovénie, Autriche, Lituanie, Allemagne, Malte, Roumanie, Chypre, Hongrie, Slovaquie, Bulgarie, Grèce ou encore Pologne ont donc détaillé leurs positions réservées, voire opposées.

Un préalable de forme mais d’importance fut souligné, celui du temps accordé par l’Espagne, qui était présidente de l’Union européenne jusqu’au 31 décembre 2023, aux discussions. Si l’Autriche et l’Allemagne soulignaient que « la qualité [des discussions] doit primer sur la vitesse », la Slovénie estimait même qu’une « approche commune au prochain Conseil des ministres semble prématurée ». De son côté, la Croatie a souhaité avoir « davantage de temps afin de consolider les possibilités scientifiques et technologiques, les méthodes d’identification, les analyses, la traçabilité des modifications génétiques ».

Sur le fond, de nombreux pays, à l’instar de la Croatie, estiment que la déréglementation des OGM/NTG ferait peser des risques en termes de « coexistence avec l’agriculture biologique et l’agriculture traditionnelle ». La Slovénie a également souligné la nécessité de respecter « le principe de précaution et se pencher tant sur les bénéfices que sur les risques liés à ces nouvelles techniques ». Défendant un étiquetage obligatoire pour permettre le choix éclairé des consommateurs (tout comme l’Autriche, la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie…), la Slovénie souhaite que le problème des brevets posé par cette déréglementation soit travaillé avant d’adopter quelque texte que ce soit.

Rejoignant la Slovénie, l’Autriche, la Lituanie ou la Bulgarie estiment que « le brevetage des plantes NTG ne peut pas être approuvé car on risque une concentration de marché qui pourrait même déboucher sur un monopole et qui pourrait poser des problèmes de disponibilités » en termes de semences. La Grèce n’est pas « favorable à la pérennité des brevets de production avec les nouvelles techniques. Cela engendrerait des monopoles ou oligopoles ce qui n’est pas favorable sur le marché et notamment pour les PME et les petits agriculteurs ». Même les Pays-Bas, pays réputé pour son soutien à la déréglementation, considèrent que « sur les brevets, les NTG doivent être accessibles à tout utilisateur, surtout les PME ».

Autre point discuté, le droit des États membres à interdire les OGM/NTG sur leur territoire. Pour la Croatie, il s’agit de « respecter le principe de subsidiarité ». Pour Chypre, il s’agit de pouvoir « préserver les plantes endémiques ». Une position que la Grèce et Malte ont mis en lumière dans le cas des zones insulaires. Pour la Grèce, il s’agit simplement de reconnaître « la spécificité de chaque EM [État membre] et notamment des États insulaires (Crête ou petites îles de la mer Egée) ». Malte, « un écosystème isolé, avec une flore endémique fragile », souhaite « réfléchir à l’impact que cela pourrait avoir sur l’agriculture. Nous sommes une île et dans notre situation, nous devons davantage réfléchir à cela ainsi qu’aux brevets et s’il est possible que l’agriculture biologique cohabite avec ces NTG ».

Des désaccords confirmés en 2024

Le 1er janvier 2024, la Belgique a pris le relais de l’Espagne à la présidence de l’Union européenne. Des déclarations du ministre de l’Agriculture belge ont ponctuellement confirmé que la Belgique œuvrait à obtenir une majorité qualifiée au sein du Conseil de l’Europe. L’objectif était de pouvoir démarrer le trilogue avec la Commission européenne et le Parlement, qui a, de son côté, adopté se position le 7 février 2024. Mais aucune réunion ne fut finalement organisée pour voter sur un texte de compromis, les États membres maintenant tous leur position.

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