Brevets sur les NTG, entre disputes et convoitise : le cas Crispr-Cas 9
Les droits de brevets s’appliquant aux NTG sont vastes et complexes. Ils sont aussi précieux pour quelques multinationales qui veulent contrôler l’économie du secteur. Illustration avec Crispr-Cas.
Les brevets sur les « nouvelles technologies génomiques » (NTG) touchent tous les domaines du vivant, tant sur la recherche fondamentale que ses applications. La propriété de ces brevets est partagée entre les secteurs public et privé. Pour l’industrie, le potentiel de profit des NTG est considérable et les brevets en sont les garants majeurs. Crispr-Cas 9, objet des principaux droits de brevets sur les NTG dans le secteur agricole, en est une claire illustration. Cet outil incontournable pour ce secteuri provoque des batailles juridiques et induit une concentration du secteur semencier au détriment de ses « petits acteurs » et des paysans.
Crispr-Cas 9, des droits en tension…
Des droits de brevets majeurs sur Crispr-Cas 9 sont revendiqués par les universités de Californie et de Vienne, d’un côté, et le Broad Institute (en partenariat avec le MIT et Harvard) de l’autre. Les premiers revendiquent la découverte de Crispr-Cas 9 (Nobel 2020) chez les procaryotes (bactéries), les seconds son application dans les cellules eucaryotes (animaux, plantes, champignons…). Un litige oppose toujours ces entités sur certains de ces droits. D’autres parties sont aussi impliquées dans diverses procédures concernant le système Crispr-Casii. Des procédures ont en effet lieu aux États-Unis pour déterminer le premier inventeur (ancien système étasunien) et d’autres auprès de l’Office européen des brevets.
L’Institut Max Planck explique que le paysage des brevets Crispr-Cas sera, à l’issue de ces litiges, caractérisé par de multiples brevets détenus par plusieurs parties et qui se chevauchentiii. Plusieurs parties ont déposé des demandes de brevets dans un laps de temps très court et, malgré certaines différences, elles sont en grande partie identiques pour l’application de Crispr-Cas 9 dans la modification des cellules eucaryotes.
L’ardeur de cette bataille juridique illustre l’importance de l’enjeu économique lié à Crispr-Cas. Détenu surtout par le secteur académique, cet outil est concédé en licence au secteur privé – notamment des multinationales agrochimiques et pharmaceutiques – pour son exploitation commerciale. L’issue du contentieux affecte potentiellement la validité des brevets concernés et donc ces accords de licences.
… contrôlés par quelques acteurs puissants
L’accès aux droits de licence sur Crispr-Cas 9 peut être très onéreux, a fortiori s’il est exclusif. Ce sont donc des multinationales telles que Corteva, Bayer, BASF et Syngenta qui se partagent les différentes licences disponibles dans le domaine agricoleiv. Cette stratégie permet aussi aux concédants des droits d’être rassurés quant à leur exploitation optimale. L’octroi de tels droits à un petit nombre d’acteurs puissants a une autre conséquence : privilégier le développement de leurs propres innovations et brevets, et accroître ainsi la concentration du capital d’un secteur déjà très concentré. Ceci se fait au détriment de la diversité de l’offre semencière, ainsi réduite aux seules variétés élites génétiquement modifiées de ces quelques acteurs.
Ce modèle économique crée une insécurité juridique pour les autres utilisateurs potentiels de Crispr-Cas 9. Il affecte aussi les droits des paysans et des petits/moyens semenciers, concurrents de ces puissances semencières, ainsi que les consommateurs. Si la traçabilité des nouveaux OGM impliquant la publication des procédés permettant de les détecter et de les identifier venait à être supprimée, les brevets sur Crispr-Cas 9 pourraient en effet couvrir des traits exprimés par des variétés végétales issues de procédés conventionnels de croisement/sélection, des traits natifs d’espèces végétales… L’appropriation de ces caractéristiques via des NTG peut donc contraindre le développement de la biodiversité cultivée, dont celle produisant des aliments. C’est une des pierres d’achoppement dans les discussions autour de la proposition de dérégulation des NTG de la Commission européenne (p.9-10).
iCommission européenne, DataM, « New genomic techniques », avril 2024.
Zheng et al., « The Improvement of CRISPR-Cas9 System With Ubiquitin-Associated Domain Fusion for Efficient Plant Genome Editing », Frontiers in Plant Science, 21 mai 2020.
iiGRUR, « New Genomic Techniques and Intellectual Property Law: Challenges and Solutions for the Plant Breeding Sector ‒ Position Statement of the Max Planck Institute for Innovation and Competition », 8 janvier 2024.
iiiIbid.
ivRéseau canadien d’action sur les biotechnologies, « Le brevetage dans le domaine de l’édition du génome au Canada », mars 2022.