n°176 - juillet/septembre 2024

2024, année de remise en cause politique des brevets sur le vivant ?

Par Eric Meunier et Denis Meshaka

Publié le 01/07/2024, modifié le 17/09/2024

    
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Jamais le droit des brevets dans le domaine végétal n’avait autant été questionné depuis l’adoption de la législation européenne l’encadrant en 1998. En effet, au cours des débats sur la proposition de déréglementation des OGM par la Commission européenne, la remise en cause de la brevetabilité du vivant a surgit. Le Parlement, mais aussi plusieurs États membres, ont exprimé une volonté politique d’interdiction des brevets. La formulation écrite de cette volonté reste toutefois lacunaire…

Le 20 mars 2024, la Coordination européenne Via Campesina (ECVC) célébrait une victoirei : l’échec de la Commission européenne à faire aboutir son projet de déréglementer les OGM/NTG, notamment car la question des brevets a bloqué les discussions entre gouvernements. La Commission justifiait – et justifie toujours – sa proposition de déréglementation en affirmant que les OGM/NTG ne seraient pas différenciables de plantes conventionnelles. Pour le syndicat, la Commission « se trouve aujourd’hui prise à son propre piège : cette question essentielle qu’elle n’a pas voulu prendre en considération bloque tout accord au sein du Conseil ». Car, en niant une possible traçabilité, la Commission a ouvert la porte à une opposition à « la brevetabilité de ces plantes non différenciables ». Fin mai 2024, le Conseil européen n’avait toujours pas trouvé d’accord sur cette question des brevets.

Une remise en cause historique

Lorsque la Commission européenne, le 5 juillet 2023, présente sa proposition de déréglementation des OGM/ NTG, elle sait que les brevets vont être discutés. Elle note dans son introductionii que « la question des brevets pour les NTG a été soulevée par de nombreuses parties prenantes. Les organisations d’obtenteurs et d’agriculteurs ont exprimé leur inquiétude quant à la nécessité de garantir l’accès des obtenteurs au matériel génétique breveté et l’accès des agriculteurs aux matériels de reproduction de végétaux NTG ». Mais la Commission choisit de différer ce débat et annonce, pour 2026, une étude d’impact des brevets sur les droits des obtenteurs, l’accès aux semences par les agriculteurs et la compétitivité européenneiii.

De leur côté, les États membres réunis au sein du Conseil de l’Union européenne (UE) n’ont cessé de constater leurs désaccords, notamment sur la brevetabilité des plantes OGM/NTG. Fin décembre 2023, une réunion résumait bien les cinq mois de négociations qu’ils venaient de vivre. Plusieurs pays, dont l’Autriche, la Pologne, la France et même les Pays-Bas, ont souhaité que la question des brevets soit abordée et résolue. Pour l’Autriche, avec le brevetage des plantes NTG, il y a « un risque de concentration de marché qui pourrait même déboucher sur un monopole et qui pourrait poser des problèmes de disponibilités ». La France et les Pays-Bas estiment que les brevets sont un sujet sur lequel il faut « progresser pour permettre aux PME […] de pouvoir accéder à ces technologies ». Le 26 mars 2024, alors que le Parlement européen a voté un texte amendé, une réunion des États membres montrait que les positions n’avaient que peu changé sur le sujet. Le 23 mai, la Belgique a proposé un texte abordant la non brevetabilité des plantes OGM/NTG, mais sans convaincre. Fin mai, les brevets appliqués à des plantes OGM/NTG potentiellement déréglementées étaient donc toujours un objet de dissensus.

Le Parlement intègre les brevets à sa proposition

Au Parlement européen, le sujet des brevets a avancé contre l’opinion des eurodéputés coordonnant les travaux sur la déréglementation des OGM/NTG. Dès octobre 2023, l’eurodéputé Jessica Polfjärd (Suède), qui préside aux travaux de la Commission environnement du Parlement sur ce texte, écrivait sobrement dans une proposition de rapport « prendre acte des préoccupations soulevées par les obtenteurs et les agriculteurs à propos des brevets sur les NTG » (voir p.11-12). Elle ajoutait être cependant « favorable à l’approche de la Commission, qui consiste à évaluer régulièrement la situation et à présenter un rapport sur la façon de réglementer cet aspect après avoir appliqué le texte en pratique afin d’évaluer si une technique peut être brevetée »v. Quatre mois plus tard, le Parlement européen finira par se montrer plus concret en contestant ouvertement certains pans du droit des brevets dans le domaine végétal.

Ainsi, le 7 février 2024, le Parlement adoptait sa propre version d’une moindre déréglementation des OGM/NTG. Dans ce texte, il estime que « la possibilité de breveter les nouvelles techniques génomiques et leurs résultats risque de renforcer la domination des multinationales semencières sur l’accès des agriculteurs aux semences […] une telle situation priverait les agriculteurs de toute liberté d’action en les rendant dépendants des entreprises privées. Pour cette raison, il est impératif d’interdire les brevets sur ces produits »vi. Son intention est donc que l’UE ne délivre pas de brevets couvrant des plantes obtenues par des NTG. Pour cela, le Parlement estime que « les végétaux NTG ne devraient pas être soumis à la législation en matière de brevets, mais uniquement, pour ce qui est de la protection de la propriété intellectuelle, au régime de protection communautaire des obtentions végétales » et que « les végétaux NTG, leurs semences dérivées, leur matériel végétal, le matériel génétique associé tel que les gènes et les séquences de gènes, et les traits végétaux devraient donc être exclus de la brevetabilité ». Si la rédaction n’est pas suffisamment solide, ces écrits du Parlement européen témoignent d’une volonté politique encore jamais vue de s’opposer aux brevets sur les OGM potentiellement déréglementés.

Une solution insuffisante

Mais la rédaction proposée par le Parlement ne reflète donc pas concrètement cette volonté. D’une part, il propose des articles focalisant sur les brevets dits « de produits ». Pour ce qui est des brevets de procédés, la rédaction adoptée n’apparaît pas limpide. Le Parlement envisage certes que « la protection conférée par un brevet à un procédé technique permettant la production d’un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique ne s’étend pas au matériel végétal dans lequel le produit est incorporé et dans lequel l’information génétique est contenue et exerce sa fonction, mais qu’il est impossible de distinguer d’un matériel végétal obtenu ou pouvant être obtenu par un procédé essentiellement biologique ». Mais il n’a pas écrit, comme le proposait ECVC, que « la protection conférée par un brevet relatif à un procédé permettant de produire une matière biologique dotée, du fait de l’invention, de propriétés déterminées ne s’étend pas aux matières végétales dans lesquelles cette matière biologique est incorporée et qui ne se distinguent pas de matières végétales obtenues ou pouvant être obtenues par un procédé essentiellement biologique ». Il reste ainsi la possibilité aux détenteurs de brevets d’affirmer que leur brevet ne porte pas sur une information génétique mais sur de la matière biologique. Un simple changement de sémantique qui pourrait avoir des conséquences importantes s’il devait laisser la porte ouverte à des brevets délivrés sur les procédés qui, par extension, peuvent s’étendre aux végétaux contenant une matière biologique (et non une séquence génétique ou une information génétique) identique à celle qui est couverte par le brevet, sans que les paysans ou les petits semenciers ne puissent prouver qu’ils ne sont pas issus de l’invention brevetée.

En effet, selon le droit des brevets, il peut revenir à un contrefacteur présumé de prouver qu’il n’a pas utilisé un procédé breveté. Il serait donc dans l’obligation de conduire des analyses montrant que ces semences ne proviennent pas d’un procédé breveté. Des analyses qui sont pourtant impossibles à faire aujourd’hui, car la Commission européenne et le Parlement n’ont pas prévu d’imposer aux producteurs d’OGM/NTG de fournir une méthode d’identification qui lui serait propre…

Dernier frein, la procédure légale n’est pas la bonne. Dans l’UE, le droit des brevets est la directive 98/44 (voir p.13). Modifier la brevetabilité des plantes OGM/NTG comme le propose le Parlement affecterait donc cette directive. Or, la Commission est seule à pouvoir proposer de le faire. Acceptera-t-elle d’entendre le vœu du Parlement dès le trilogue ? Ou bien s’en tiendra-t-elle à son annonce d’un rapport ultérieur sur cette question ? Dans ce cas, il y aurait un risque de bloquer toute adoption d’une nouvelle réglementation des NTG avant qu’elle ne propose non seulement un rapport, mais aussi une solution législative.

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