Les moratoires des pays européens sur le maïs MON810 sont-ils menacés ?
Fin mars, l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendait ses conclusions dans l’affaire opposant l’entreprise Monsanto au ministre français de l’Agriculture et de la Pêche. En cause : le moratoire français pris sur la culture du maïs MON810. L’avocat général exprime dans ses conclusions un avis négatif sur la légalité de la mesure française, mais c’est la CJUE qui devra trancher cet été.
Au sein de l’UE, deux textes encadrent juridiquement les OGM : la directive 2001/18 et le règlement 1829/2003. Ils proposent tout deux une procédure d’autorisation des OGM et une possibilité aux États membres d’interdire momentanément sur leur territoire, et pour des raisons scientifiques nouvelles, un OGM autorisé au niveau européen. Il s’agit de la clause de sauvegarde (article 23 directive 2001/18) et des mesures d’urgence (article 34 règlement 1829/2003). Ce sont ces deux mesures, appelées communément « moratoire », que la France a prises en 2008 pour interdire la culture du maïs MON810.
Le maïs MON810 a été autorisé à la culture en 1998 sur la base d’un texte aujourd’hui remplacé par la directive 2001/18. L’autorisation étant valable pour 10 ans, Monsanto a demandé un renouvellement d’autorisation sur la base du réglement 1829/2003. Du coup, l’avocat général estime que la France ne pouvait légalement prendre une clause de sauvegarde (art. 23, directive 2001/18) puisque la demande de renouvellement était basée sur le règlement 1829/2003. De même, il estime que la mesure d’urgence française n’a pas suivi la procédure adéquate. En d’autres termes, le moratoire français serait, selon lui, illégal.
La France s’opposera-t-elle à ces conclusions ?
Interrogé par Inf’OGM, le ministère de l’Environnement français n’est évidemment pas d’accord avec les conclusions de l’avocat général. La France estime que sa clause de sauvegarde est légale, car si le MON810 fait bien l’objet d’un renouvellement d’autorisation sous le règlement 1829/2003, ce renouvellement n’a pas encore été accordé. Le ministère a également une lecture différente de celle de l’avocat général quant à la validité de sa mesure d’urgence. L’article 34 du règlement qui encadre les mesures d’urgence, renvoie à deux articles d’un autre règlement, lesquels précisent la procédure à suivre par les États membres. Or, selon le ministère, l’avocat général se trompe en estimant que l’État qui souhaite prendre une mesure d’urgence doit en premier lieu demander à la Commission européenne d’agir, et c’est seulement en l’absence de réaction de sa part que l’État peut prendre ces mesures. La France, au contraire, estime que cette étape devant la Commission européenne n’existe pas : sa mesure d’urgence à l’encontre du MON810 serait donc légale.
Quelles répercutions européennes ?
Retour en arrière : Monsanto avait attaqué le « moratoire » français devant le Conseil d’Etat. Or, ce dernier, pour juger, a posé des questions préjudicielles à la CJUE. La CJUE est en effet seule compétente pour interpréter le droit européen. Ainsi, si cette affaire ne concerne dans les faits que la France, la décision de la CJUE vaut pour l’ensemble de l’Union européenne. Dans l’hypothèse où la CJUE suit les conclusions de l’avocat général, tous les États membres ayant pris une clause de sauvegarde contre le maïs MON810 risquent de se faire attaquer par Monsanto.
Mais, à ce jour, Monsanto n’a attaqué que le moratoire français. Pour Monsanto, sur les sept moratoires contre le maïs MON810, ceux déposés par le Luxembourg, la Grèce, la Bulgarie, l’Autriche ou la Hongrie n’ont que peu d’impact sur son développement commercial et ses profits. Reste donc la France… et l’Allemagne.
Mme Katalin Rodics, du ministère du Développement Rural hongrois, fait preuve de sérénité : interrogée par Inf’OGM, elle dit ne pas craindre de procès. Pas plus d’ailleurs que le responsable des Amis de la Terre Hongrie qui pense que Monsanto « a renoncé en Hongrie ». Au passage, il nous informe que la nouvelle Constitution hongroise, votée en avril 2011, devrait intégrer le statut « sans OGM » du territoire hongrois… « Devrait » car, prudent, il attend de voir le texte publié au Journal officiel pour se réjouir. Autre point qui explique la combativité de cet Etat : la Hongrie, comme l’Autriche, a une politique de soutien à l’agriculture biologique. En Hongrie, l’agriculture biologique est largement exportée. La surface consacrée à ces cultures a été multiplié par six entre 1998 et 2005. En Autriche, près de 14% de la SAU est cultivée de façon biologique.
En revanche, la situation française est bien différente… Tout d’abord, rappelons-le, la France est passée, de 2006 à 2007, de 5500 hectares de maïs MON810, à 22 000 hectares, devenant ainsi, derrière l’Espagne, le second pays européen producteur de maïs transgénique. Une évolution rapide interrompue brusquement par la clause de sauvegarde. Mais, en France, toute la filière avait été organisée dès la fin des années 90 pour « accueillir » ce maïs insecticide contre la pyrale. Ainsi, de nombreux semenciers français – Limagrain, Caussade Semences, RAGT, Maïsdour, etc. – avaient passé des accords de licence et développé des variétés commerciales de maïs MON810, lesquelles avaient été inscrites au catalogue français des semences. On comprend mieux pourquoi ces semenciers sont partis prenantes de la plainte contre le ministère de l’Agriculture…