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FRANCE – Arrêté sur la coexistence : bientôt du « non OGM » avec (un peu) d’OGM ?

Par Christophe NOISETTE, Pauline VERRIERE

Publié le 30/01/2012

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Le gouvernement français vient de notifier à la Commission européenne son projet d’arrêté concernant la coexistence des filières OGM et non OGM [1]. Cet arrêté, signé Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture, fait suite à l’avis du Haut conseil des biotechnologies (HCB), présenté début janvier, mais ne suit pas l’esprit de cet avis.

Le Comité scientifique (CS), dans son avis du 15 décembre 2011, avait proposé des solutions techniques pour permettre la coexistence des filières GM et non GM dans deux cas : celui du respect du seuil européen sur l’étiquetage des produits contenant des OGM (>0,9%) et celui du respect du seuil proposé par le HCB pour définir le « sans OGM » (<0,1%). Ces propositions ont été transcrites dans un projet de décret qui devrait être publié au Journal officiel dans les jours à venir… Or, le projet d’arrêté sur la coexistence ne prévoit que le cas de respect du seuil de 0,9%, rendant alors très difficile l’application pratique du futur décret sur l’étiquetage des produits « sans OGM ». En effet, sans l’expliciter précisément, le projet d’arrêté reprend, notamment pour la culture de maïs génétiquement modifié, les distances préconisées par le comité scientifique du HCB dans le cas du respect du 0,9% de présence fortuite de plantes génétiquement modifiées (PGM) dans un lot non GM : soit 50 mètres entre une parcelle GM et une parcelle d’une culture non GM interféconde ; soit « l’implantation, sur chaque bord concerné de la parcelle de maïs génétiquement modifié, d’une bordure d’une largeur minimale de 9 m constituée d’une variété de maïs non génétiquement modifié de classe de précocité identique à celle de la variété de maïs génétiquement modifié ». Mais le CS proposait des conditions plus complexes, intégrant notamment le décalage des semis [2]. Et surtout le CS avouait dans son avis que le respect du 0,1% serait «  extrêmement contraignant pour tous les opérateurs », obligeant quasiment à déterminer des zones de production GM et non GM. 

Cependant le président du CS a évoqué lors d’une conférence de presse qu’il souhaitait que les arrêtés n’établissent pas de distance pour le maïs mais que cela se fasse par le biais d’utilisation d’un logiciel car «  la dispersion pollinique est particulièrement sensible aux conditions environnementales ». Les conditions imposées par cet arrêté sont donc celles que l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM) avait déjà proposées et qui avaient été adoptées par le gouvernement lors des précédentes cultures de maïs Mon810 (notamment en 2007) [3].

L’arrêté oblige aussi le nettoyage complet de tout matériel, notamment les moissonneuses, si des végétaux « non GM » sont traités après des PGM. Ce nettoyage risque d’être bien compliqué et très coûteux.

Arrêté versus décret

On cherche en vain l’objectif de seuil dans ce projet d’arrêté, car seul est défini un moyen (distance). La seule référence à un seuil se trouve dans le préambule qui évoque l’article L663-2 du Code rural et de la pêche maritime, selon lequel les règles de coexistence doivent « permettre que la présence accidentelle d’organismes génétiquement modifiés dans d’autres productions soit inférieure au seuil établi par la réglementation communautaire ». Or, rappelons-le, la réglementation communautaire actuelle n’a fixé aucun seuil de présence d’OGM, celui de 0,9% étant un seuil d’étiquetage. En se basant sur ce dernier et uniquement sur lui, le Ministre de l’agriculture transforme ce seuil d’étiquetage en seuil de présence, dans un texte qui n’a pas à le faire, ce qui est d’autant plus dommageable que les textes règlementaires prévus par la loi doivent intervenir en principe afin d’en préciser les contenus techniques. Et ce, bien que le gouvernement français ait travaillé sur un projet de décret en Conseil d’Etat sur la définition du « sans OGM », décret notifié à la Commission européenne qui n’a rien trouvé à redire et qui est donc sur le point d’être publié au JO. Or, en cas de conflit entre deux textes, c’est le décret qui l’emporte sur l’arrêté. En l’absence de précision sur un objectif d’un seuil dans cet arrêté, ce serait donc les seuils du décret qui pourraient s’appliquer. Mais concrètement, en cas de cultures de maïs GM en France, les agriculteurs qui cultiveront cette PGM seront soumis à des conditions de mise en culture définies par cet arrêté qui ne leur permettront pas de garantir le respect du décret sur le « sans OGM ». La justice devra alors trancher, mais l’objectif de la coexistence, qui est d’assurer la bonne entente entre voisins, semble d’ores et déjà perdu. Le comité éthique, économique et social (CEES) et le comité scientifique (CS), les deux composante du HCB, avaient évoqué l’importance de mettre en place une concertation et des négociations entre agriculteurs. Or cet arrêté ne parle pas de cet outil pertinent pour éviter les conflits et donc pour gérer la coexistence.

Contaminations : futurs litiges sur les responsabilités ?

Autre paradoxe : dans les considérants, le projet d’arrêté mentionne exclusivement l’avis du CS du HCB et non la recommandation du CEES… Certes, d’un point de vue strictement formel, d’après le Code rural, le gouvernement n’était tenu de consulter que le CS. Mais le CEES s’était aussi auto-saisi de cette question, considérant que la coexistence n’était pas seulement une affaire scientifique de distances mais engendrait, de fait, des questions d’organisation du territoire, de définition des responsabilités et de partage des coûts. Ces aspects ont donc été mis de côté par le gouvernement qui s’est contenté de reprendre les avis du CS sur les cultures de maïs, betterave, pomme de terre et soja pour ce qui concerne les distances en vue d’un seuil de contamination inférieur à 0,9%. De nouveaux arrêtés devront être pris si d’autres plantes génétiquement modifiées venaient à être autorisées à la culture sur le territoire européen ou si des PGM avec empilements de transgènes étaient autorisées. On notera qu’à l’heure actuelle, aucune betterave ni aucun soja ne sont autorisés à la culture en Europe…

Par ailleurs, et de façon surprenante, à l’heure où le monde de l’apiculture est en émoi à propos des OGM, le ministre ne daigne même pas évoquer ce sujet, laissant les apiculteurs pratiquement sans protection contre des contaminations très lourdes de conséquences pour eux et donc pour les végétaux, sauvages ou cultivés, pollinisés par les abeilles.

[1La Commission européenne a un délai de trois mois pour invalider cet arrêté. Passer ce délai, il sera considéré comme compatible avec le droit européen

[2Le CEES préconise en effet que dans le cadre de parcelle OGM et non OGM de même taille, pour garantir 0,1%, il faut « 100 m ou 50 m et 2 jours de décalage ou 20 m et zone tampon de 12 m et 2 jours de décalage ». Et dans le cadre de parcelle OGM plus grande qu’une parcelle conventionnelle, pour atteindre 0,9%, il propose une zone tampon de 12 mètres…

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