Actualités

Transgenèse, Crispr/Cas9, ARNi… package total pour deux maïs OGM !

Par Eric MEUNIER

Publié le 29/10/2024, modifié le 31/10/2024

Partager

Le 2 juillet 2024, la Commission européenne autorisait l’importation dans l’Union européenne de deux maïs génétiquement modifiés par Corteva. Destinés à être utilisés dans les filières alimentaires humaine ou animale, ces deux maïs concentrent plusieurs points clés du dossier OGM : protocole technique complexe, utilisation de plusieurs outils comme des transgènes ou Crispr/Cas, production d’un nouveau type de protéine insecticide, d’ARN interférent… Résultat ? Deux maïs aux caractéristiques habituelles : tolérance aux herbicides et production d’insecticides.

En décembre 2019 puis 2020, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) recevait des Pays-Bas des demandes d’autorisation pour l’importation de deux OGM. Ces demandes, déposées par Pioneer Hi-Bred International, dont le siège est aux États-Unis, concernaient les maïs DP915635 et DP023211, tous deux génétiquement modifiés.

Ces demandes sont en elles-même une illustration que les protocoles techniques mis en œuvre avec les nouvelles techniques sont de plus en plus complexes, avec des étapes génératrices d’effets non désirés de plus en plus nombreuses. Surtout, elles montrent que nommer un outil comme Crispr/Cas « nouvelle technique » ne constitue en aucun cas une réponse à la nature des modifications génétiques opérées. A l’instar de ce que la réglementation OGM européenne actuelle impose, seules la méthode de production et les caractéristiques du produit final donnent une idée de la nature OGM d’une plante.

Le maïs DP915635, fruit d’un protocole très complexe

Le 13 décembre 2020, c’est le dossier du maïs DP915635, tolérant les herbicides à base de glufosinate d’ammonium et produisant un insecticide contre la chrysomèle du maïs, qui arrive sur la table de l’AESA. Pour ce maïs de Pioneer, les modifications génétiques revendiquées ont été obtenues après un protocole technique pour le moins complexe. Après avoir isolé et multiplié des cellules de maïs in vitro, les techniciens ont bombardé ces cellules de manière à y faire pénétrer quatre petites molécules d’ADN circulaire appelées plasmides. Un des plasmides codait pour un complexe Crispr/Cas9, dont la mission est de couper le génome des cellules. En théorie, cette coupure permet à une autre séquence bombardée de s’insérer. Elle servira de « zone d’atterrissage » et aura son utilité pour la seconde étape. Les deux autres plasmides bombardés apportent eux les séquences génétiques codant pour des protéines « améliorant la transformation et la régénération des plantes »i. A partir de ces cellules bombardées et génétiquement modifiées, les techniciens ont régénéré une première lignée de maïs.

Dans un deuxième temps, les techniciens ont à nouveau isolé et multiplié des cellules de cette première lignée de maïs. Ces cellules ont cette fois été transformées en utilisant la bactérie Agrobacterium Tumefasciens, qui a introduit dans ces cellules un plasmide contenant plusieurs séquences génétiques. Ces dernières ont remplacé par recombinaison des séquences présentes dans le site d’atterrissage. Parmi les séquences génétiques ainsi insérées se trouvent, à nouveau, celles codant pour des protéines améliorant la transformation et la régénération des plantes. Deux autres séquences génétiques sont également insérées. L’une d’elles code pour une protéine insecticide IPD079Ea, provenant de fougères, létale pour la chrysomèle du maïs. L’autre séquence code pour une protéine PAT conférant à la plante une capacité à tolérer les herbicides à base de glufosinate d’ammonium. De ces cellules modifiées génétiquement une énième fois, les techniciens ont développé la lignée de maïs DP915635.

Pour rendre son avisii sur ce maïs, l’AESA semble avoir bataillé dur pour obtenir toutes les informations. Entre la réception du dossier, le 15 décembre 2020, et la publication de son avis final, le 17 janvier 2024, ce ne sont pas moins de sept demandes d’informations complémentaires que l’AESA a dû formuler. En vrac, les experts européens ont dû demander un travail bibliographique complémentaire, des références manquantes d’articles scientifiques, une évaluation de la sécurité de protéines, une étude de toxicité sur rats durant 28 jours, une étude d’exposition alimentaire humaine, un test d’allergénicité, des informations complémentaires sur le matériel de référence fourni pour tester la fiabilité de la méthode de traçabilité de ce maïs, des données de toxicologie et, enfin, les données sur les quantités de nouvelles protéines produites.

Sur base des réponses reçues au fur et à mesure des demandes de la part de Pioneer, les experts européens ont finalement conclu, le 17 janvier 2024, que ce maïs est « aussi sûr que sa contrepartie conventionnelle et les variétés de maïs non OGM testées eu égard à de potentiels effets sur la santé humaine et animale et sur l’environnement ».

Protéine et ARN interférent pour le maïs DP023211

Une année avant cette première demande d’autorisation, les Pays-Bas adressaient à l’AESA, le 13 décembre 2019, une demande formulée par Corteva d’autoriser l’importation à destination de l’alimentation humaine ou animale de son maïs génétiquement modifié DP023211. Ce maïs a été modifié selon un protocole technique similaire à celui du maïs DP915635, à une différence près : la nucléase (enzyme) utilisée n’est pas un complexe Crispr/Cas9 mais une nucléase médiatiquement moins connue, I-Cre (ou Cre-lox). En termes de caractéristiques, il s’agit également de rendre le maïs tolérant aux herbicides à base de glufosinate d’ammonium. Concernant l’insecticide contre la chrysomèle du maïs, il s’agit d’une protéine transgénique, la protéine ipd072Aa issue d’une bactérie du sol, Pseudomonas chlororaphis. Mais ce n’est pas la seule molécule insecticide produite par ce maïs et là se trouve une différence majeure.

Le maïs DP023211 a en effet été génétiquement modifié pour exprimer un ARN interférent (ARNi) dont le rôle est d’être insecticide sur la chrysomèle du maïs. Les ARN sont des molécules différentes de l’ADN ou des protéines. Il s’agit de petites molécules impliquées dans nombre de processus d’une cellule, qu’il s’agisse de la production de protéines ou de la régulation de voies métaboliques. On parle d’ARN interférent quand l’ARN interfère avec un autre ARN et bloque ainsi le rôle remplit par ce dernier, notamment avec l’ARN messager, ce qui bloque la production de protéines. Dans le cas présent, l’ARNi produit par le maïs est nommé DvSSJ1 et « interfère avec la production de la protéine DvSSJ1 dans la muqueuse intestinale de la [chrysomèle] et entraîne la mort des larves »iii.

Pour les experts européens qui ont rendu leur avis le 18 janvier 2024iv, ce maïs DP023211 est « aussi sûr que sa contrepartie conventionnelle et les variétés de maïs non OGM testées eu égard à de potentiels effets sur la santé humaine et animale et sur l’environnement ». Cet avis fut pourtant difficile à rendre, Corteva n’ayant pas spontanément fourni toutes les informations nécessaires aux experts de l’AESA. Ces derniers ont dû, entre le 13 décembre 2019 et le 18 janvier 2024, adresser onze demandes d’informations supplémentaires non présentes dans le dossier de demande d’autorisation déposé. Ces demandes concernaient des informations sur la gestion des sites d’essais en champs, sur la qualité des séquençages d’ADN, sur la caractérisation des protéines nouvellement exprimées, sur des données de toxicologie de la plante entière ou des protéines exprimées, des données sur l’exposition alimentaire humaine et animale, des informations complémentaires pour évaluer la fiabilité de la méthode de traçabilité fournie, des données permettant de caractériser correctement les modifications génétiques, ou encore des références bibliographiques manquantes.

Des États membres sans opinion

En termes de calendrier de réponse aux deux demandes d’autorisation déposées par Corteva, la Commission européenne a été très rapide après la publication des avis de l’AESA mi-janvier 2024. Dès le 28 février, les États membres étaient invités à poser leurs questions à l’AESA lors d’une réunion du Comité permanent sur les plantes, animaux, l’alimentation humaine et animale. Ce jour là, aucune questionv n’était posée malgré la complexité technique des dossiers déposés.

Deux mois plus tard, lors d’une réunion du même comité, les États membres n’atteignaient pas de majorité qualifiée pour une décision de rejet ou d’approbationvi. Le dossier était alors renvoyé au comité d’appel qui fit, le 29 mai 2024, le même constat d’absence de majoritévii. Pour expliquer les votes de rejet de la part de certains États membres, il est fait état dans les compte-rendus de ces réunions de plusieurs raisons, dont le détail n’est pas fourni. Ainsi, l’absence de position nationale, l’opinion négative du public, le non respect du principe de précaution ou encore des raisons scientifiques ou politiques ont conduit certains États à s’exprimer contre ces autorisations.

En l’absence de majorité au sein des États membres, la décision revenait donc à la Commission européenne qui a choisi, le 2 juillet 2024, de délivrer des autorisations de commercialisation pour ces deux maïs pour une durée de 10 ansviii. Une décision que la Commission prend pour l’instant seule puisque, outre l’indécision des États membres, le Parlement européen pourrait s’opposer à ces deux autorisations. Le 21 octobre 2024, sa Commission sur l’environnement, la sécurité alimentaire et la santé publique (ENVI)ix a en effet voté de telles oppositions, qui restent suspendues à validation en séance plénière. Mais ce vote, à la symbolique politique, ne remettrait a priori pas en cause les autorisations délivrées le 2 juillet dernier.

Comme le souligne l’association OGM Dangers dans un communiqué du 2 août 2024x, « les premières plantes issues de NTG autorisées [à l’importation] en Europe sont comme les OGM transgéniques, des plantes à herbicide et insecticides ». Il est en effet paradoxal de constater que si les nouvelles techniques sont promues par la Commission européenne (et des entreprises multinationales) comme étant une prétendue solution au changement climatique ou à la faim dans le monde, ce sont bien toujours les mêmes plantes OGM produisant des insecticides et tolérant des herbicides qui sont présentées par ces multinationales…

i Gouvernement du Canada, « Information sur les aliments nouveaux : Maïs résistant aux insectes et aux herbicides DP-915635 », 16 juin 2022.

ii Le dossier résumé et les échanges entre l’AESA et Pioneer sont disponibles sur cette page :
https://open.efsa.europa.eu/questions/EFSA-Q-2020-00834?search=915635

L’avis final est disponible ici :
EFSA GMO Panel (EFSA Panel on Genetically Modified Organisms), Mullins, E. et al., « Assessment of genetically modified maize DP915635 for food and feed uses, under regulation (EC) No 1829/2003 (application EFSA-GMO-NL-2020-172) », EFSA Journal, 22(1), e8490, 17 janvier 2024.

iii Gouvernement du Canada, « Information sur les aliments nouveaux : Maïs résistant aux insectes et tolérant aux herbicides DP-023211-2 », 15 mars 2022.

iv EFSA GMO Panel (EFSA Panel on Genetically Modified Organisms), Mullins, E. et al., « Assessment of genetically modified maize DP23211 for food and feed uses, under Regulation (EC) No 1829/2003 (application EFSA-GMO-NL-2019-163) », EFSA Journal, 22(1), e8483, 18 janvier 2024.

v Commission européenne, « Standing Committee on Plants, Animals, Food and Feed Section Genetically Modified Food and Feed », 28 février 2024.

vi Commission européenne, « Commission européenne, « Standing Committee on Plants, Animals, Food and Feed Section Genetically Modified Food and Feed », 26 avril 2024.

vii Commission européenne, DIRECTORATE-GENERAL FOR HEALTH AND FOOD SAFETY, « SUMMARY RECORD OF THE APPEAL COMMITTEE – Genetically Modified Food and Feed », 29 mai 2024.

viii Commission européenne, « DÉCISION D’EXÉCUTION DE LA COMMISSION autorisant la mise sur le marché de produits contenant du maïs génétiquement modifié DP915635, consistant en ce maïs ou produits à partir de celui-ci, conformément au règlement (CE) nº 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil », 2 juillet 2024.
Commission européenne, « DÉCISION D’EXÉCUTION DE LA COMMISSION autorisant la mise sur le marché de produits contenant du maïs génétiquement modifié DP23211, consistant en ce maïs ou produits à partir de celui-ci, conformément au règlement (CE) nº 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil », 2 juillet 2024.

ix Committee on Environment, Food Safety and Public Health, « Result of roll-call votes », 21 octobre 2024.

x OGM Dangers, « Les nouveaux OGM arrivent mais … », 2 août 2024.

Actualités
Faq
A lire également