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Zambie : des paysans dénoncent un « hold-up sur les semences »

Par Denis MESHAKA

Publié le 24/10/2024

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En Zambie, un collectif de militants et de paysans, l’Alliance zambienne pour l’agroécologie et la biodiversité (Zaab), dénonce un projet de loi en cours de discussion qui, adopté, mettrait un terme à la liberté de conserver et échanger ses semences. La Zaab affirme que ce « hold-up sur les semences » est soutenu par des acteurs extérieurs, notamment la fondation Gates, dans l’intérêt des multinationales.

Alors qu’elle affronte une période de sécheresse majeurei, la Zambie est l’objet de pressions externes pour réformer sa législation sur les semences. Pour l’Alliance zambienne pour l’agroécologie et la biodiversité (Zambia Alliance for Agroecology and Biodiversity, Zaab), le projet de loi présenté par le gouvernement zambien en avril 2024, et prévoyant de modifier la loi actuelle datant de 2007ii, résulte en effet d’une stratégie internationale d’acteurs, dont la fondation Gates. Cette stratégie pousse les pays africains à adhérer à l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales de 1991iii (Upov). La Zaab sonne aujourd’hui le tocsin en pointant l’inadaptation et les dangers de cette évolution législative envisagée par son gouvernement.

Rapprochement de l’Upov

Depuis 2010, la Zaab suit l’évolution de la législation nationale zambienne sur les semences et les variétés végétales. Dans un communiqué de presse du 18 juillet 2024iv, ce collectif de militants et paysans reprend les principales étapes qui ont précédé cette proposition de loi, ultime phase avant l’adhésion de la Zambie à l’Upov (un premier communiqué de presse avait été émis par le collectif le 19 avril 2024v). La Zaab rappelle que deux lois essentielles touchant le sujet des semences et des obtentions végétales ont déjà été révisées en 2020.

D’une part, la loi sur les variétés végétales et les semences de 1995 a été amendée pour se conformer aux règlements d’harmonisation du commerce des semences du Comesa (Marché commun de l’Afrique orientale et australe). D’autre part, la même année, des modifications ont été apportées à la loi de 2007 sur les droits des obtenteurs de plantes pour préparer le cadre législatif pour une éventuelle adhésion à l’Upov.

En avril 2024, c’est l’intégration des articles 14 et 15 de l’Upov qui est prévue par le projet de loi afin d’aboutir à une conformité pleine avec la législation de cette union basée à Genève. Ces deux articles viendraient en remplacement des articles 7 et 8, qui sont leurs équivalents dans la loi zambiennevi.

Menace sur l’autonomie des paysans

L’article 14 de l’Upov liste les droits exclusifs de l’obtenteur sur la variété protégée, y compris celui sur la récolte issue de cette variété. Ce droit s’applique si cette récolte est obtenue par l’utilisation non autorisée de la variété. Cependant, la portée exacte de ce droit peut varier en fonction des législations nationales des États membres de l’Upov, qui peuvent décider de l’accorder ou non aux obtenteurs. Autrement dit, les lois nationales peuvent prendre en compte leurs propres régulations et contextes agricoles. Ainsi, l’article 7 de la loi zambienne ne spécifie pas aussi explicitement que l’Upov les droits de l’obtenteur sur la récolte obtenue à partir d’une utilisation non autorisée de la variété. Cela peut signifier qu’elle autorise une plus grande flexibilité pour les utilisateurs de variétés protégées en ce qui concerne l’utilisation de la récolte obtenue.

L’article 15 de l’Upov prévoit des exceptions aux droits de l’obtenteur pour permettre certains usages sans autorisation de ce dernier, tels que l’usage privé et non commercial, l’usage à des fins expérimentales et la sélection de nouvelles variétés. L’Upov donne aussi aux États membres la possibilité de permettre aux agriculteurs de conserver et de replanter les semences issues de leur récolte pour leurs propres exploitations. Cependant, cette exception n’est pas obligatoire et peut être limitée par les États, en termes de cultures autorisées et de types d’agriculteurs (les petits agriculteurs par exemple). Pour sa part, l’article 8 de la loi zambienne introduit des exceptions qui sont spécifiquement adaptées au contexte agricole et socioéconomique de la Zambie. La principale différence avec l’article 15 de l’Upov est une plus grande latitude donnée actuellement aux agriculteurs zambiens pour conserver et replanter les semences issues de variétés protégées. En outre, la loi zambienne actuelle restreint les droits de l’obtenteur en autorisant l’utilisation de nouvelles variétés pour la sécurité alimentaire, la santé, la biodiversité et le développement agricole local, ce qui signifie que les agriculteurs peuvent avoir plus de liberté dans l’utilisation des récoltes.

En conséquence, intégrer les articles 14 et 15 de l’Upov à la loi zambienne sur le droits des obtentions végétales ferait peser sur les petits agriculteurs des contraintes plus fortes que celles applicables à ce jour.

Discordance avec les instruments internationaux

Entre 2021 et 2023, dans son opposition à l’alignement de la législation zambienne sur l’Upov, la Zaab a souligné l’importance de protéger les droits des agriculteurs. Elle a notamment invoqué le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa) et la déclaration des Nations unies sur les droits des paysans (Undrop) pour démontrer que cet alignement favoriserait les intérêts des multinationales au détriment des agriculteurs locaux et de la biodiversité agricole. Les droits des agriculteurs à conserver, utiliser, échanger et vendre leurs semences sont en effet protégés par le Tirpaa, pour les seules espèces concernées, et l’Undrop. Un alignement sur l’Upov pourrait remettre en cause ces droits en les subordonnant aux droits de propriété des multinationales.

Transparence législative et débat national

Lors d’une consultation publique qu’elle a lancée le 18 avril 2024vii, la Zaab regrette le manque de temps accordé pour analyser le projet de loi. Elle déplore aussi le défaut de transparence dans le processus législatif et l’absence de documentation comparative entre la législation en vigueur et les modifications proposées, rendant difficile une évaluation éclairée. Par ailleurs, malgré plusieurs réunions avec la SCCI, l’Institut de contrôle et de certification des semences zambien, la Zaab estime que les intérêts des agriculteurs et la préservation de la biodiversité n’ont pas été considérés de manière adéquate dans les discussions.

Face à ces préoccupations, la Zaab émet des recommandations à l’intention du gouvernement zambien concernant notamment l’alignement sur l’Upov : « La loi actuelle sur les droits d’obtenteur est déjà conforme à l’accord sur les Adpic [de l’Organisation Mondiale du Commerce] et protège de manière adéquate les droits des obtenteurs ; il n’y a donc pas lieu de procéder à de nouvelles révisions dans le sens de l’Upov ». La Zaab demande, par ailleurs, à ce qu’un débat national transparent sur les droits des agriculteurs soit engagé. Selon l’organisation, cela pourrait permettre la création d’un cadre juridique plus cohérent, respectueux des obligations internationales et adapté aux spécificités locales. Le collectif précise que ceci « doit être entrepris avant toute modification de la législation sur les semences afin d’élaborer de nouveaux principes directeurs globaux pour les systèmes semenciers zambiens ».

Une vague de pression externe

La Zaab estime qu’une pression s’exerce depuis quelques années sur la Zambie pour qu’elle devienne membre de l’Upov. Dans un rapport du 27 août 2024viii, l’Afsa (Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique) explique comment une autre structure, l’Agra (Alliance pour une révolution verte en Afrique), soutenue par la fondation Gates, utilise des financements et un lobbying stratégique (notamment via des consultants) pour aligner les lois semencières avec l’Upov. L’Afsa affirme que cet alignement renforcerait le contrôle des multinationales sur le marché des semences en limitant les droits des petits agriculteurs à conserver et échanger leurs semences locales, et nuirait à l’agroécologie.

Selon l’Afsa, ce mode d’influence externe est déjà à l’œuvre sur le continent, par exemple dans le comté de Vihiga (Kenya), où une organisation liée à l’Agra a détourné un projet agroécologique local. Ferdinand Wafula, fondateur de Bio Gardening Innovations, qui a été impliquée dans ce processus, explique comment les responsables de Folu, ladite organisation, « ont été absents des réunions, mais soudainement sont inclus dans les textes politiques, avec des termes tels que «  intelligents face au climat » et « systèmes agroalimentaires » ». Selon Wafula, « il est clair qu’ils [Folu] tirent les ficelles en coulisses ». Il ajoute en suite : « nous ne pouvons pas faire confiance à l’Agra, l’agent de l’agriculture industrielle, pour conduire l’agenda de l’agroécologie ». L’Afsa observe également que les effets néfastes de ce modèle sont déjà visibles en Zambie, avec une baisse drastique de la production de maïs et une dégradation des sols due à l’utilisation intensive d’intrants chimiques. Aussi, selon l’Afsa, l’Agra jouerait un rôle significatif dans les politiques agricoles de l’Union africaine, finançant des réunions cruciales où les voix des agriculteurs africains sont souvent marginalisées.

Sur le plan continental, la Zaab souligne la nécessité de prendre en compte les spécificités de chaque pays africain en matière de systèmes agricoles. Les leaders religieux africains ont de leur côté critiqué l’Agra pour son impact sur la biodiversité et la sécurité alimentaire, en demandant des réparations à la fondation Gates. Ces leaders appellent à un changement vers des pratiques agroécologiques respectueuses de l’environnement et basées sur les besoins locaux.

i « Zambie : la sécheresse déclarée « urgence nationale » », Africanews, 13 août 2024.

ii OMPI, « Loi sur la protection des obtentions végétales, 2007 (loi n° 18 de 2007), Zambie », 2007.

iii Upov, « Convention internationale pour la protection des obtentions végétales », 19 mars 1991.

iv Zambia Alliance for Agroecology and Biodiversity, « Plant Breeders’ Rights Bill – Where are we? », 18 juillet 2024.

v Zambia Alliance for Agroecology and Biodiversity, « New draft Bill serve corporate interests – Curtails farmers’ rights », 19 avril 2024.

vi OMPI, « Loi sur la protection des obtentions végétales, 2007 (loi n° 18 de 2007), Zambie », 2007.

vii NO ! to UPOV, « Zambia says NO! to UPOV », 18 Avril 2024.

viii Alliance for food sovereignty in Africa, « Pulling back the veil: Agra’s influence on Africa’s agricultural policies », 27 août 2024.

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