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OGM : la transparence édulcorée

Par Christophe NOISETTE

Publié le 27/10/2023, modifié le 09/01/2024

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Inf’OGM a étudié plus de 720 dossiers déposés dans l’Union européenne pour des molécules (enzyme, vitamine, additif) produites par des micro-organismes, génétiquement modifiés ou pas. Parmi ces dossiers, trois concernent la production de molécules, tentatives de copies synthétiques de composés chimiques présents nativement dans la stévia. Le but est de produire des édulcorants. Les trois entreprises, Avansya, Amyris et SweeGen, utilisent des levures génétiquement modifiées pour produire ces édulcorants. Comme nous allons le voir, la communication de ces entreprises est trompeuse.

Récemment, l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) a étudié trois demandes d’autorisation pour des édulcorants produits par des levures génétiquement modifiées. Il s’agit plus précisément de la production de molécules, appelées Rebaudioside (ou Reb), de la famille des glycosides de stéviol. Ces molécules se retrouveront dans des additifs alimentaires (E 960) [1]. Les entreprises non seulement ne mentionnent pas que leurs édulcorants sont issus d’OGM mais utilisent un vocabulaire trompeur.

Des molécules synthétiques produites par des micro-organismes GM

L’entreprise Avansya, joint-venture entre DSM et Cargill, fait la promotion sur son site Internet d’un édulcorant « EVERSWEET™ ». Elle écrit que, dans son usine à Blair (Nebraska, États-Unis), est produit « un édulcorant non artificiel à base de stévia, sans calorie » [2]. Elle précise encore que « ces molécules au goût sucré très recherchées, telles que le Reb M et le Reb D [sont] utilisées pour fabriquer EVERSWEET™, et offre aux fabricants d’aliments et de boissons une solution encore plus évolutive, durable et à faible coût d’utilisation que si ces molécules étaient extraites de la feuille de stévia ». Et c’est bien là l’intérêt de cette production industrielle : l’artificiel est moins cher que l’extraction du naturel.
Le site Internet de Cargill apporte des « précisions » : « EverSweet®, l’édulcorant stévia de la prochaine génération. Une douceur sans calories, inspirée par la nature. Notre secret ? La technique ancestrale de la fermentation – avec une touche moderne. Grâce à une levure spécialement conçue, notre édulcorant à base de stévia EverSweet® offre le même goût sucré que la feuille de stévia » [3].

Dans le cas d’EverSweet, ces molécules semblent produites par la levure génétiquement modifiée Yarrowia lipolytica. L’entreprise a déposé une demande d’autorisation (dossier EFSA-Q-2021-00356) en juin 2021 pour la production de plusieurs molécules de Rebaudioside. Par ailleurs, Avansya affirme sur son site Internet avoir reçu l’autorisation des autorités étasuniennes. L’Agence fédérale étasunienne des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) a en effet évalué la production de cet additif à partir de cette levure modifiée génétiquement [4]. La FDA précise : « La plupart des gènes [insérés dans la levure] proviennent de la plante Stevia rebaudiana (mais ils ont été produits synthétiquement et adaptés en ce qui concerne l’utilisation des codons pour une expression optimale dans la levure). […] Les séquences d’ADN introduites sont intégrées dans le génome de l’organisme hôte, en partie dans des loci prédéfinis (intégration ciblée), mais surtout de manière aléatoire. La levure Yarrowia lipolytica n’étant pas connue pour héberger des gènes codant pour des toxines ou d’autres séquences nocives, l’introduction aléatoire ou ciblée de séquences d’ADN n’entraînera pas de risque accru en raison d’effets pléiotropes involontaires ».

Ainsi, parler de « technique ancestrale » (sic) de la fermentation et d’édulcorant non artificiel à base de stévia est délibérément trompeur. En effet, cela frise la biologie de synthèse puisque ces gènes sont « adaptés » pour une expression optimale.

De son côté, l’entreprise de biologie synthétique Amyris a déposé un dossier pour la production de ces molécules en utilisant une autre levure génétiquement modifiée, Saccharomyces cerevisiae (dossier EFSA-Q-2021-00357). Leur site Internet précise : « RealSweet™ Reb M : Un édulcorant naturel, sans calorie – pur, durable, adapté aux diabétiques et exceptionnellement sucré, dérivé durablement de la canne à sucre et sans OGM » [5]. Ou encore : « La clé de notre production est la fermentation à grande échelle. Nous avons programmé nos levures pour qu’elles produisent du Reb-M, et nos fermenteurs reproduisent les mêmes étapes enzymatiques que la plante au cours du processus de croissance naturel ». Si les levures sont « programmées », elles sont OGM. Sur son site, l’entreprise embrouille le consommateur : elle évoque une canne à sucre qui n’est pas OGM (utilisée comme aliment pour ces levures OGM) et elle précise que l’édulcorant final est « non OGM » [6]. Or, le produit final n’étant pas un organisme vivant, il ne peut en toute logique pas être génétiquement modifié. Et, comme Avansya, Amyris évoque des procédés traditionnels de fermentation. Elle écrit sur son site : « Le processus de fabrication du Reb-M est similaire à celui du kombucha ou de la bière. Nous faisons fermenter notre canne à sucre avec des levures spéciales, ce qui produit Reb-M, un nouvel édulcorant ».

Une autre voie : la conversion enzymatique

Enfin, une troisième entreprise, SweeGen, a également déposé un dossier à l’AESA (EFSA-Q-2020-005208). Elle aussi mentionne sur son site Internet que son édulcorant, nommé Signature Stevia, « est sans OGM, a un goût pur, est d’origine naturelle et est facile à étiqueter » [7]. Or, pour produire les différentes molécules de Rébaudioside présentes dans son édulcorant, cette entreprise utilise, elle aussi, une levure génétiquement modifiée, K. phaffii. Le procédé est cependant un peu différent. En effet, les levures génétiquement modifiées produisent des enzymes, lesquelles vont agir sur un extrait purifié des feuilles de stévia. L’AESA souligne que « sur la base des données disponibles, le groupe scientifique ne peut exclure la possibilité qu’une quantité résiduelle d’ADN codant pour le gène de résistance à la kanamycine reste dans le produit final. Si ce gène se propageait dans le microbiote en raison de la présence d’ADN recombinant dans le produit final, cela serait préoccupant. Par conséquent, le groupe scientifique a conclu que la sécurité du Rébaudioside D produit par cette bioconversion enzymatique n’était pas suffisamment démontrée par les données disponibles, étant donné que l’absence d’ADN recombinant n’a pas été démontrée » [8].

Bio-économie de la promesse et communication trompeuse

Les micro-organismes pour produire des molécules sont présentés comme une solution écologique, ne nécessitant pas de terres agricoles… Cela oblitère le fait que ces « usines » ont besoin d’énergie, d’eau et de sucre pour fonctionner. Le sucre nécessaire à ces micro-organismes a plusieurs origines, dont le maïs, la betterave ou encore la canne à sucre. Dans tous les cas, ce sont des terres agricoles qui sont détournées de leur vocation première. Et la canne à sucre est une culture problématique, tant d’un point de vue environnemental que social : déforestation, utilisation importante de pesticide, conflit foncier, travail précaire, etc. En 2019, Christian Berdot écrivait dans nos colonnes : « Si cette nouvelle bio-économie se développait à grande échelle – agrocarburants, chimie  » verte « , aliments, etc. – l’explosion des besoins mondiaux en sucre menacerait donc de nombreux écosystèmes précieux de la planète et les populations qui y vivent » [9].

Par ailleurs, les entreprises insistent sur le fait que les molécules de glycosides de stéviol issues de la plante entière, ou produites par des micro-organismes, sont identiques. La question de la différence entre molécule naturelle ou synthétique est vaste. Certains affirment une différence notamment du fait de l’effet totum : les molécules naturelles non isolées agissent en lien avec les autres molécules qui les entourent. Elles n’agiraient donc pas de la même manière qu’une molécule isolée. Cette notion a été largement défendue par les praticiens de la phytothérapie. Dans le Vidal, un article donne un exemple de cet effet totum avec le saule blanc : « lorsqu’il est pris pour soulager les douleurs lombaires, la dose de salicine (transformée en acide salicylique dans le corps) à ingérer est bien inférieure à la dose efficace de l’aspirine (acide acétylsalicylique). Pourtant, le saule blanc a démontré son efficacité dans cette indication, ce qui suggère que d’autres substances présentes jouent un rôle dans la réduction des symptômes douloureux » [10].

Nous sommes dans le même cas avec la stévia : les glycosides de stéviol issus des feuilles de stévia comportent de très nombreuses molécules, lesquelles interagissent entre elles et avec les autres molécules de la stévia. Ce qui est bien différent des molécules isolées (Reb) produites industriellement par des organismes génétiquement modifiés ; ou encore de la Reb-M qui n’est pas présente dans la stévia et est produite par voie enzymatique… Toutes ces molécules ne sont donc pas naturelles et leur production n’est pas durable.

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