n°173 - octobre / décembre 2023

Aux États-Unis, une décennie de promesses sans commercialisation

Par Eric MEUNIER

Publié le 24/10/2023, modifié le 09/01/2024

Partager

Aux États-Unis, en 2012, les autorités décidaient pour la première fois d’exempter un OGM des requis réglementaires. Il s’agissait d’une vigne génétiquement modifiée par cisgénèse, une des nouvelles techniques de modification génétique. Depuis, près d’une centaine de « nouveaux » OGM ont fait l’objet d’une décision similaire. Paradoxalement, une décennie après cette première décision, seuls six d’entre eux ont été commercialisés.

La Commission européenne ou les multinationales se plaisent à faire croire que les plantes modifiées génétiquement à l’aide de nouvelles techniques sont présentes partout sauf dans l’Union européenne. Elles accusent une législation européenne qui serait trop contraignante. Dans cet article, Inf’OGM fait le point sur la réelle commercialisation de ces plantes aux États-Unis. Ce pays dispose d’une législation particulièrement perméable aux OGM végétaux et devrait donc être le lieu de cette commercialisation massive [1].

Rares sont les nouveaux OGM qui arrivent effectivement sur le marché

Depuis 2012, 95 feux verts pour des plantes modifiées par des combinaisons de nouvelles techniques ont été accordés [2]. Mais très peu de ces nouvelles plantes GM ont été commercialisées aux États-Unis. On notera d’ailleurs qu’en termes d’espèces végétales, si le nombre de 95 peut paraître important dans l’absolu, il cache une énorme disparité. Près de la moitié des dossiers concernent seulement cinq plantes, déjà majoritairement modifiées par la seule transgénèse (cf. tableau 1). Le dossier « transgénique » avait déjà cette même tendance, avec plus de 80 espèces testées expérimentalement dans les champs européens en 30 ans pour seulement quatre qui ont dominé le marché commercial (soja, colza, maïs et coton).

Tableau 1
Plante Nombre de demandes Plante Nombre de demandes
Soja 15 Tabac 4
Pomme de terre 10 Cameline 3
Maïs 9 Moutarde 3
Canola 8 Blé 3
Tomate 7 Avocat 2
Tabouret des champs 7 Panic érigé 2
Riz 6 Champignon 2
Pomme, Orge, Citron, Lin, Raisin, Pâturin des prés, Laitue, Luzerne, Petit pois, Pétunia, Sétaire verte, Gazon de buffle, Fraise, Tef 1

Inf’OGM a interrogé les entreprises ou quelques laboratoires ayant obtenu une « autorisation » (en fait une exemption) pour connaître le bilan ou leur perspective de commercialisation. Seulement onze entreprises ou universités (sur 23 interrogées) nous ont répondu quant à la commercialisation d’un produit aux États-Unis. Ces réponses, ainsi que la connaissance de commercialisation les années précédentes, permettent d’établir que seulement six plantes modifiées par de « nouvelles techniques » sont ou ont été commercialisées, onze ans après la première décision de ne pas soumettre de telles plantes à législation étasunienne. Six plantes… qui sont :

- une moutarde au « piquant » réduit, par Pairwise (commercialisée en 2023) ;

- un soja à la composition en acide gras modifié, par Calyxt (la commercialisation, démarrée en 2019 fut finalement réduite progressivement face à des rendements moindres que ceux annoncés) ;

- un canola tolérant des herbicides modifiés, par Cibus ;

- deux pommes de terre à brunissement retardé et induisant moins d’acrylamide à la friture, par Simplot ;

- un colza Clearfield tolérant des herbicides, par BASF (commercialisé en France notamment).

En revanche, plusieurs réponses font part de promesses d’un développement commercial qui aurait lieu dans un avenir proche. Bioheuris annonce ainsi un riz GM en 2026 et un soja entre 2027 et 2029. Yield 10 répond de son côté, à propos d’une cameline (famille des brassicacées) de printemps, être « en position de la proposer aux cultivateurs sous contrat dès 2024 ». Sur son site Internet, l’entreprise Cibus annonce des blés, riz, sojas et maïs modifiés génétiquement pour les années à venir, voire dès 2023 pour certains.

De son côté, Corteva, qui a interrogé l’USDA pour des maïs, soja et canola modifiés génétiquement, n’annonce aucune date mais précise être actuellement « dans des activités pré-commercialisation ». Enfin, Toolgen n’a « aucun plan de commercialisation de semences de Toolgen aux États-Unis pour le moment », l’entreprise devant encore passer par plusieurs « phases d’amélioration pour pouvoir planter dans les champs en tant que variété élite ».

On notera que l’entreprise Syngenta n’a que deux dossiers pour des riz et maïs alors que Bayer ou BASF n’apparaissent pas sur le site de l’USDA pour de telles plantes. Ces entreprises sont pourtant un des fers de lance de leur dérèglementation en Europe. Leur présence peut néanmoins être indirecte, comme c’est le cas pour Bayer qui investit dans CoverCress ou a développé un partenariat avec Pairwise.

D’autres entreprises parmi celles qui ne nous ont pas répondu ont peut-être d’ores et déjà commercialisé une ou des plantes génétiquement modifiées par de nouvelles techniques aux États-Unis. Mais, si tel était le cas, le constat global que les États-Unis ne vivent pas une commercialisation débridée n’en resterait pas moins inchangé. Finalement, les États-Unis sont la preuve que, malgré une réglementation perméable, les OGM obtenus par de nouvelles techniques sont très, très peu commercialisés.

Quelques problèmes sur le chemin de la commercialisation

Certaines réponses reçues laissent apparaître les raisons pour lesquelles aucune commercialisation n’a encore eu lieu, voire n’aura jamais lieu. La plus emblématique concerne ce fameux champignon modifié génétiquement pour un brunissement retardé et dont, il fut un temps, la Commission européenne s’est beaucoup servi pour promouvoir sa politique. C’est en 2016 que l’USDA donnait son feu vert à la commercialisation de ce champignon sans aucun encadrement réglementaire. Sept années plus tard, aucune trace de ce champignon dans les étals étasuniens. Et pour cause, l’Université d’État de Penn nous a expliqué que le chercheur à l’origine de ce champignon, le Pr. Yinong Yang, n’avait pas « poursuivi vers une commercialisation du fait d’une perception négative des OGM par les consommateurs et les entreprises du champignon (qui sont habituellement plus intéressées par promouvoir les champignons bios ». Mais, selon le Pr. Yinong Yang, d’autres raisons expliquent cette non-commercialisation puisque « de nombreux problèmes comme les droits de propriété intellectuelle sur Crispr/Cas9, […] et les financements » ont jalonné leur route. De son côté, l’entreprise Toolgen vient de subir un revers en justice en Australie en échouant à faire confirmer une demande de brevet sur l’utilisation de Crispr [3].

Ces blocages liés aux droits de propriété intellectuelle sur Crispr/Cas9 sont une illustration concrète des positions défendues en France par les semenciers RAGT et Florimond Desprez, qui ont dénoncé le coût des royalties liés aux brevets sur ces nouvelles techniques.

Beaucoup de demandes de commercialisation libre

Aux États-Unis, le ministère de l’Agriculture peut être sollicité pour savoir si une plante génétiquement modifiée devra faire l’objet ou non d’une autorisation formelle avec évaluation des risques à conduire préalablement. En termes plus juridiques, il s’agit de déterminer si une plante devra être réglementée ou pas [4]. Pour cela, deux approches ont cours. La première vise à établir si une plante modifiée peut devenir un « parasite » selon la nature de la plante à modifier, l’origine de l’ADN éventuellement inséré ou la nature de la plante finalement modifiée [5]. La seconde, formalisée en 2020, consiste elle à simplement établir si la méthode de modification a déjà été exemptée ou si la plante modifiée aurait pu être obtenue par des « méthodes d’amélioration conventionnelle » [6]. Chacune de ces deux procédures, assez légères au demeurant, implique donc l’envoi d’une demande et la réception d’une réponse mise en ligne sur sur le site de l’USDA [7]. Dans tous les cas, une réponse confirmant un statut de produit non réglementé ouvre de fait la voie à une commercialisation plus rapide pour les entreprises.

Tableau 2
Entreprises ou laboratoires d’université
Agriculture and Agri-Food Canada (AAFC) Mustard 21 Canada Inc.
Agrivida, Inc. Nexgen Plants Pty Ltd
Altria Client Services LLC North Carolina State University
Arista Cereal Technology Okanagan
Benson Hill, Inc. Oregon State Univ
Bioheuris Pairwise
Calyxt Inc. Penn State University
Cellectis Plant Sciences Pioneer Hi-Bred Canada Company
Cibus US LLC RiceTec, Inc.
Cold Spring Harbor Lab Sanatech Seed Co., Ltd.
Corteva Agriscience Scotts Miracle-Gro Company
CoverCress Inc. Soilcea
Donald Danforth Plant Science Center Texas A&M University
DuPont Pioneer ToolGen, Inc.
Evogene, Ltd. Tropic Biosciences
Green Venus LLC University of Florida
Hartwick College University of Georgia
Illinois State University University of Kentucky
Inari Agriculture, Inc. University of Minnesota
Intrexon Corporation University of Missouri
Iowa State University Wageningen UR, Plant Research International
J. R. Simplot Plant Sciences Weizmann Institute of Science
Max Planck Institute for Chemical Ecology Yield10 Bioscience
Michigan State University

Les dossiers déposés depuis 2011 auprès du ministère étasunien de l’Agriculture font part de 28 espèces végétales ayant fait l’objet de modification génétique en utilisant des combinaisons de différentes techniques. Sur base de ces dossiers assez succincts, le ministère a généralement validé le caractère non réglementé des plantes obtenues en se focalisant donc sur le seul produit final. Car, comme nous l’avons vu dans un précédent article, les protocoles de modification génétique suivis pour obtenir ces plantes sont très complexes, faisant intervenir plusieurs techniques mal maîtrisées [8].

Entre 2011 et 2023, ce sont donc 47 entreprises ou universités (cf. tableau 2) qui, depuis onze années, ont obtenu le feu vert de l’administration étasunienne pour commercialiser sans encadrement spécifique un total de 95 plantes différentes, modifiées par de nouvelles techniques (cf. tableau 1). Sur ce total, six plantes modifiées par de nouvelles techniques de modification génétique sont aujourd’hui commercialisées. On est très loin des promesses de raz-de-marée de nouveaux produits faites par la Commission européenne si l’Europe dérèglementait ces OGM…

Actualités
Faq
A lire également