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UE – Pomme de terre OGM : BASF jette l’éponge

Par Eric MEUNIER

Publié le 04/05/2013

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Le 29 janvier 2013, BASF Plant Science a annoncé retirer les trois demandes d’autorisation déposées dans l’Union européenne pour les pommes de terre génétiquement modifiées « Modena », « Amadea » et « Fortuna » [1]. Dans son communiqué, l’entreprise explique très succinctement opérer ce retrait car elle considère que « des investissements continus ne sauraient se justifier du fait de l’incertitude législative existante et des menaces de destructions de champs ». Une référence directe à l’action des faucheurs volontaires belges qui ont, en 2009, fauché un champ expérimental de pomme de terre cisgénique en Belgique, action pour laquelle un procès est en cours [2]. Pour l’entreprise, la faute incombe donc à l’Union européenne et aux opposants aux OGM. Pourtant, d’autres éléments ont très certainement eu une place prépondérante dans cette décision. Cette décision a été officialisée le 28 février 2013, par trois courriers de BASF à l’Agence européenne de sécurité alimentaire (AESA).

Les experts français soulèvent de nombreux problèmes

La pomme de terre Fortuna est une pomme de terre cisgénique [3], modifiée pour résister au mildiou de la pomme de terre. La demande d’autorisation pour la culture, l’importation et l’alimentation (humaine et animale) avait été déposée en 2011 et n’avait encore reçu aucun avis de comité d’experts, nationaux ou européen de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA, en anglais EFSA) [4].

La pomme de terre Modena a été modifiée génétiquement pour avoir un taux d’amylose réduit. La demande d’autorisation pour la culture et l’alimentation (humaine et animale) avait été déposée en 2009 et n’avait pas encore reçu d’avis de l’AESA. Elle avait par contre fait l’objet d’évaluations en France par le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) et l’Anses, en avril 2011, deux comités qui avaient soulevé plusieurs problèmes. Le comité scientifique du HCB soulignait, dans une évaluation à destination de l’AESA, que « les usages envisagés pour la pomme de terre AV43-6-G7 sont confus et parfois contradictoires », « l’équivalence compositionnelle n’a pas été démontrée », « seules des études de comparaison sont effectuées pour déterminer si des différences sont statistiquement significatives : aucune étude de puissance n’est proposée, aucun test d’équivalence n’est réalisé, la multiplicité des tests n’est pas prise en compte » contrairement aux recommandations de l’AESA, et enfin « de nombreuses phrases du dossier sont difficilement compréhensibles, des mots manquent, les structures grammaticales sont illogiques. En conséquence, le sens de certaines phrases devient confus, ce qui est inacceptable dans un tel dossier de demande d’autorisation ».

De son côté, l’Anses indiquait ne pouvoir se prononcer sur l’innocuité sanitaire de cette pomme de terre, le dossier ne contenant pas « d’étude d’alimentarité chez une espèce cible » [5]. Autant dire que, depuis avril 2011, BASF savait qu’il serait difficile pour son dossier d’aboutir.

La pomme de terre Amadea a également été modifiée pour avoir un taux d’amylose réduit. La demande d’autorisation pour la culture, l’importation et l’alimentation (humaine et animale) avait été déposée en 2010 et avait, comme Modena, fait l’objet d’un avis du HCB et de l’Anses, en juillet 2011. Le HCB soulignait, dans un avis à destination de l’AESA, que « l’analyse statistique qui permettrait de conclure à l’équivalence en substance de la lignée de pomme de terre AM04-1020 avec ses comparateurs non génétiquement modifiés est incomplète » et que « le dossier contient peu d’informations relatives à Kuras, la variété réceptrice du transgène, ce qui limite la qualité de l’analyse de risque de la pomme de terre AM04-1020 ». L’Anses aurait, elle, aimé disposer de « données complémentaires […]. Il aurait été également préférable de discuter des conséquences de la différence observée sur les taux de nitrates, de conduire jusqu’à son terme l’approche d’équivalence dans l’analyse comparée de composition et de mettre en œuvre des effectifs plus importants dans l’étude de toxicité subchronique de 90 jours » [6]. Ce dossier, à l’image de la pomme de terre Modena, avait également, on le voit, peu de chance d’aboutir.

Ces avis des experts français sur deux des trois pommes de terre que BASF vient de retirer des procédures d’autorisation pourrait constituer à eux seuls une bonne explication à ce retrait. Des avis que BASF ne mentionne pas dans son communiqué.

Des interdictions juridiques du fait de contamination

C’est fin 2010 que Greenpeace annonce que la pomme de terre Amadea a été illégalement cultivée en champs en Suède [7]. La pomme de terre Amadea avait été retrouvée par BASF Plant Science elle-même dans des champs ensemencés en juin 2010 avec des pommes de terre Amflora autorisées à la culture en mars 2010 [8]. Les autorités suédoises avaient alors ordonné la destruction des plants d’Amadea présents dans les champs. Elles avaient également demandé à BASF Plant Science de vérifier ses champs de cultures en Allemagne et République tchèque. En Allemagne justement, la région de Mecklenburg-West Pomerania avait interdit, en septembre 2010, que ces pommes de terre soient distribuées pour mise en culture, du fait de la contamination en Suède [9]. Selon BASF Plant Science [10], cette contamination était due à des productions de tubercules d’Amadea et d’Amflora trop rapprochées au sein des locaux de l’entreprise. Ces tubercules étant destinées à la vente, ceux de pommes de terre Amadea se sont donc retrouvés dans des champs commerciaux. L’entreprise s’était alors engagée à mettre en place une séparation complète de ses systèmes de production, entraînant donc d’autres frais supplémentaires imprévus…

Un échec commercial ?

La pomme de terre Amflora de BASF Plant Science est la seule pomme de terre autorisée à la culture en Europe depuis mars 2010. Comme Inf’OGM l’a rapporté [11], 281 hectares furent cultivés en 2010, dans trois pays (Allemagne, Suède et République tchèque). En 2011, la République tchèque n’avait déjà plus de culture de cette pomme de terre et les autres pays réduisaient leur surface à presque rien. En 2012, elle n’était plus du tout cultivée. BASF avait pourtant mis toute la pression pour obtenir l’autorisation de cette pomme de terre, initiant une plainte en justice, organisant une campagne publicitaire pour Amflora et menaçant de délocaliser ses activités de recherche hors d’Europe [12].

Même si BASF ne l’évoque pas dans son communiqué de presse, l’échec commercial de la pomme de terre Amflora, les difficultés de BASF à produire des tubercules non contaminés et les avis sévères des experts français sont autant d’explications possibles à la décision de l’entreprise de retirer ses demandes d’autorisations.

[3La cisgenèse utilise la même technique d’insertion de gènes que la transgenèse. La différence est que le gène inséré est issu de la plante elle-même, souvent d’une variété différente.

[5Inf’OGM, « Pomme de Terre AV43-6-G7 (Modena) », Inf’OGM, 3 avril 2013

[8pour le suivi de cette autorisation, Inf’OGM, « Pomme de terre EH92-527-1 (Amflora) », Inf’OGM, 2 mars 2010

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