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Soja : le Cese condamne la déforestation importée

Par Christophe NOISETTE

Publié le 25/06/2020

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Le 27 mai 2020, le Comité économique, social et environnemental (Cese) a adopté, à une très importante majorité, un avis contre la déforestation importée. Cet avis préconise aussi de réduire fortement nos importations de soja et d’huile de palme.

Le Comité économique, social et environnemental (Cese, voir encadré 1) a adopté un avis [1] consacré au « rôle de l’Union européenne dans la lutte contre la déforestation importée » [2]. La déforestation importée est la déforestation induite directement ou indirectement, à l’étranger, par la production de matières premières ou transformées importées. L’Union européenne est « responsable de 39% de la déforestation importée mondiale » et notamment de l’Amazonie et du Cerrado au Brésil par le biais de ses importations de soja (voir encadré 2).

encadré 1 : Le Cese : une assemblée consultative


Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) est une assemblée consultative qui conseille le Gouvernement et le Parlement sur l’élaboration des lois et les orientations des politiques publiques.

« Représentant les principales activités du pays, le Conseil favorise leur collaboration et assure leur participation à la politique économique, sociale et environnementale de la Nation. Il examine les évolutions en matière économique, sociale ou environnementale et suggère les adaptations qui lui paraissent nécessaires » [3].

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a étendu le champ des domaines notamment aux questions environnementales et aux lois de programmation fixant les orientations pluriannuelles des finances publiques.

Le Parlement comme le Gouvernement peut, en application de l’article 70 de la Constitution, saisir le Conseil pour avis de tout problème de caractère économique, social et environnemental.

Ses membres sont désignés par les syndicats de salariés, de chefs d’entreprise, d’agriculteurs, d’artisans… par des représentants de l’économie solidaire, des associations mutualistes, familiales, étudiantes, environnementales, humanitaires.

Au-delà de son rôle de conseil, le CESE permet de favoriser le dialogue entre toutes les catégories socioprofessionnelles, pour qu’elles aillent dans le sens de l’intérêt général.

Dans cet avis, les auteurs soulignent que l’épisode récent du Covid-19 confirme « le constat d’urgence (…) au-delà de ce qui aurait pu être imaginé il y a encore quelques mois (…) parce que cette crise met en exergue les liens qui existent entre déséquilibres écologiques et déforestation en particulier, d’une part, et émergence de menaces sanitaires nouvelles, d’autre part [et] (…) révèle notre vulnérabilité face à des chaînes de production mondialisées et un commerce international en flux tendu, qui nous empêchent de disposer en cas de choc des biens nécessaires et stratégiques et ne visent qu’à privilégier le profit sur la nature ».

encadré 2 : Brésil et Argentine : fer de lance du soja GM


Au Brésil, le soja a pris la place de la forêt primaire, riche en biodiversité. Dans ce pays, mais aussi en Argentine, le soja est très largement génétiquement modifié pour tolérer des pulvérisations d’herbicides (dont le Roundup), souvent par avion, afin de simplifier le travail cultural aux agri-managers sur d’immenses surfaces agricoles mécanisées [4].

L’avis du Cese établit 16 préconisations structurées autour de trois axes : « renforcer la cohérence des politiques de l’Union européenne contribuant à la lutte contre la déforestation importée ; réformer des filières économiques qui contribuent fortement à la déforestation ; et renforcer la coopération avec les États tiers producteurs et les acteurs locaux dans la lutte contre la déforestation, en accompagnant la mise en place d’alternatives économiques ».

L’une de ces propositions intéresse plus particulièrement Inf’OGM : « le Cese propose de diminuer les aides à l’élevage recourant au soja importé » qui, on le sait, est principalement génétiquement modifié. Plus précisément, le Cese propose de conditionner « les aides aux investissements des filières animales à la non-utilisation de soja importé », afin de réformer ces filières « qui contribuent fortement à la déforestation ». Conscient de l’importance de ces protéines végétales pour les élevages français (voir encadré 3), le Cese précise donc qu’ « il ne s’agit pas d’interdire du jour au lendemain l’importation de soja pour nourrir les animaux, mais de ne plus subventionner des équipements dans des fermes qui contribuent à ces importations ». Il faut donc mettre en place un plan de transition, « un plan protéines européen en 2022, dans le cadre de la révision de la Pac ». Et revoilà l’idée d’un plan protéines. Cette idée n’est pas nouvelle : le plan protéine trouve son origine dans le premier article de la loi sur les OGM adoptée en 2008. Mais ces plans nationaux n’ont pas encore permis de sortir de la dépendance au soja d’outre-Atlantique.

L’avis précise que « en France, les protéines issues des prairies et des cultures fourragères représentent selon l’Inrae neuf millions de tonnes par an, alors que le soja en représente 1,5 million environ. Or, précise l’avis, les prairies stockent du carbone (…), de façon certes moindre que les forêts quoique significative [et] (…) en outre, si la majorité des plantes assimile l’azote sous forme d’azote organique ou minéral, la famille des légumineuses fait exception par sa capacité à utiliser directement l’azote atmosphérique pour en faire des protéines, avec un coût énergétique assuré par la photosynthèse (quand la synthèse chimique a recours au gaz naturel pour faire le même travail) ». Ainsi, l’avis préconise de « soutenir fortement les cultures de légumineuses fourragères (trèfle, luzerne, sainfoin, etc.) et de graines destinées à l’alimentation tant humaine (pois, haricots, lentilles, fèves, pois chiches, etc.) qu’animale (féverole, pois, soja, lupin, etc.) » et de « verser aux agriculteurs et aux agricultrices des « paiements pour services environnementaux » pour les surfaces en prairies ou légumineuses fourragères ».

Le Cese propose également d’« organiser la sortie progressive des agrocarburants de première génération pour leur disparition au plus tard en 2030 ».

L’avis a été adopté à une forte majorité. Les oppositions viennent principalement du groupe du Cese en charge de l’agriculture [5], qui a voté à l’unanimité (19 voix) contre le texte. Ce groupe considère que la conditionnalité des aides à la non utilisation du soja est « difficilement entendable ». Dans un texte publié sur le site du Cese, il précise que « les conditions ne sont aujourd’hui pas réunies pour supprimer l’importation de soja. En le faisant, on mettrait en danger les filières animales, mais on augmenterait également le prix des produits pour les consommateurs ». Ce texte souligne que la France a montré une réelle volonté de sortir de ces importations : « Avec une baisse de 40 % en 10 ans, la multiplication par huit des surfaces françaises et un cap de 250 000 ha de soja en 2025, la filière démontre l’énergie engagée pour approvisionner le marché français ». Ce groupe regrette aussi « que le Cese préconise la disparition des biocarburants dits de « première génération ». Aujourd’hui, l’économie des biocarburants existe, elle fournit des emplois et contribue à décarboner notre pays. C’est un exemple vertueux d’économie circulaire ! (…) Nous souhaitons au contraire que les efforts soient poursuivis pour les développer et pour améliorer leur efficacité ».

encadré 3 : Du soja importé pour le bétail européen


L’UE importe 33 millions de tonnes de soja annuellement dont 37% en provenance du Brésil [6] et près de sept millions de tonnes d’huile de palme en provenance d’Asie du Sud-Est. Les importations européennes de soja sont utilisées à 87% pour la nourriture des animaux d’élevage.

Ce sont les élevages de volailles et de porcs qui consomment le plus de soja importé (respectivement 50% et 24%). L’alimentation protéique des ovins et bovins européens est fournie pour plus de la moitié par les prairies et pour un quart par des céréales produites sur le continent.

À l’opposé, les Amis de la Terre se sont abstenus au moment du vote considérant que cet avis n’allait pas assez loin. Leur position, qu’ils ont détaillés dans un texte qu’Inf’OGM s’est procuré, ne concerne pas la partie « soja » en tant que tel. Sur ce chapitre, les Amis de la terre valident la volonté de réduire nos importations de soja. Les points mis en exergue concernent notamment la politique de la compensation carbone. Ils écrivent à ce propos : «  l’avis manque d’un regard critique sur les mécanismes de compensation carbone (notamment REDD [7]) qui sont basés sur le principe qu’il est possible de compenser les excès de consommation par des projets, qui en pratique, conduisent à une restriction des droits fondamentaux des plus modestes. (…) De même, l’avis préconise « de réformer le système international d’échange de crédits d’émission afin d’en améliorer l’efficacité » alors que nous demandons son abandon ou encore appelle « à réformer son propre mécanisme d’échange de quotas d’émission en révisant la directive 2003/87/CE, de manière à l’étendre à l’ensemble des secteurs impliqués dans la déforestation importée » ce qui, là aussi, nous paraît extrêmement dangereux ». Pour cette ONG, il n’est pas possible de compenser la « déforestation » par des projets de « reforestation ».

L’association Les Amis de la Terre dénonce aussi un flou quant aux peuples autochtones. Ils écrivent à ce propos : « La bataille pour [les droits des peuples autochtones] structure pourtant le débat sur les forêts et explique, là aussi, un certain nombre de controverses non discutées dans l’avis comme la création d’aires protégées qui fait l’objet de contestations régulières et justifiées de la part de nombreux peuples autochtones ».

[1Cet avis, adopté par 118 voix pour et 21 contre (6 abstentions) en plénière le 27 mai 2020 était présenté par Jean-Luc Bennahmias et Jacques Pasquier, rapporteurs au nom de la section des Affaires européennes et internationales.

[2Le rôle de l’Union européenne dans la lutte contre la déforestation importée, Le CESE a adopté son avis, 27/05/2020.

[3article 1er de l’ordonnance organique n° 58-1360 du 29 décembre 1958.

[5L’orateur de ce groupe est Daniel Roguet, désigné au Cese par l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) et il est actuellement Président de la chambre d’agriculture de la Somme. Il est présidé par Marie Thérèse Bonneau, vice-présidente de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) et regroupe l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), les Jeunes agriculteurs (JA) et la Fédération nationale de la mutualité agricole (FNMA) – Mutualité Sociale Agricole (MSA), voir : https://www.lecese.fr/groupe/groupe-de-lagriculture. La Confédération paysanne est représentée par Jacques Pasquier, nommé dans le groupe des personnes qualifiées. Il est aussi l’un des rapporteurs de cet avis.

[7Pour la description critique de ce mécanisme, voir aussi Des OGM adaptés au changement climatique ?

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