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Modes d’obtention des variétés végétales : toujours pas de transparence
Des produits alimentaires OGM, réglementés ou non, sont déjà présents sur nos marchés, sans évaluation préalable ni étiquetage. La campagne de lobbying de l’industrie pour déréglementer d’autres OGM renforce encore l’inquiétude des consommateurs, qui veulent savoir ce qu’ils mangent, et des paysans, qui veulent savoir ce qu’ils sèment… La transparence sur les modes d’obtention des variétés est l’une des premières conditions pour informer tous les acteurs : a-t-elle progressé ? Pas vraiment ! Explications.
Telle variété est-elle un OGM ? Il fut un temps où l’on croyait pouvoir répondre facilement [1] à cette question, puisque la majorité des OGM commercialisés étaient des plantes transgéniques [2] identifiées comme OGM au moment de leur inscription au catalogue officiel [3] et étiquetées au moment de la commercialisation de leur récolte. Les autres OGM issus de techniques traditionnelles de mutagénèse [4] ou de fusion cellulaire sont exemptés de la réglementation OGM. Mais certains obtenteurs, profitant de ce qu’ils considéraient comme un flou juridique, cautionné par le gouvernement français et la Commission européenne, avaient même commercialisé des OGM sans les étiqueter alors qu’ils auraient dû l’être [5].
Des variétés OGM, oui, mais… exemptées ou pas ?
Selon les modes d’obtention des variétés OGM, l’étiquetage des aliments issus d’OGM sera ou non obligatoire. Les variétés issues de mutagénèse in vivo, en raison d’un long historique d’utilisation sans risque, peuvent être légalement commercialisées sans évaluation ni étiquetage OGM. Ces plantes sont obtenues, depuis les années 50, par irradiation ou contact avec des produits chimiques de plantes entières ou de leurs organes de reproduction (bourgeons, graines…), procédés qui provoquent des mutations dites in vivo. Les semenciers sélectionnent ensuite celles où sont apparues des caractéristiques intéressantes qu’ils réintègrent dans leurs variétés élites par croisement.
Depuis, de nouvelles techniques ont émergé. Pour certaines espèces ou variétés, on a appris à régénérer des plantes à partir de cellules isolées puis multipliées in vitro (dans une boîte de Pétri remplie d’un substrat nutritif). On peut donc appliquer sur ces cellules isolées de nouvelles techniques de modification génétique, avant d’essayer de les régénérer en de nouvelles plantes. Mais ces techniques sont donc récentes et, dès lors, ne bénéficient pas d’un « long historique d’utilisation sans risque« . Dès lors, et puisqu’elles ont un « matériel génétique [qui] a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » [6], ces plantes issues de mutagénèse appliquée sur des cultures cellulaires in vitro sont des OGM soumis aux requis de la directive 2001/18 (évaluation des risques avant mise sur le marché, autorisation, signalement du statut OGM dans le Catalogue officiel des variétés, étiquetage, surveillance post-commercialisation).
Cerise sur la gâteau, la culture elle-même de cellules isolées in vitro, en dehors de l’application de toute autre méthode, provoque des mutations : ce procédé technique a été, depuis peu, utilisé par les obtenteurs de variétés comme une méthode à part entière pour générer des mutations (on l’appelle la « variation somaclonale »). Les produits obtenus par ce type de culture in vitro donnent donc également des OGM réglementés.
Et ces modes d’obtention, on peut les connaître ?
On comprend dès lors l’importance de connaître en détail les modes d’obtention des nouvelles variétés, afin de savoir dans quelle catégorie les placer (OGM ou pas, réglementées ou pas), et donc connaître in fine la manière légale de les mettre sur le marché (évaluées… ou pas, étiquetées… ou pas).
Le plan « Semences et plants pour une agriculture durable (SPAD) » du ministère de l’Agriculture, adopté en 2016 par le CTPS, et en cours de révision, prévoit notamment d’« informer sur les modes d’obtention des variétés (…) pour permettre à l’utilisateur de la variété, qu’il soit agriculteur, transformateur ou consommateur, de connaître les méthodes et techniques de sélection auxquelles l’obtenteur a recouru pour créer celle-ci » [7]. Une typologie des modes d’obtention, selon les espèces, a été élaborée au sein du Comité Technique Permanent de la Sélection des plantes cultivées (CTPS) et est entrée en application en 2019. Interrogé il y a un an par Inf’OGM, Christian Huyghe, président du comité scientifique du CTPS, nous informait que « les particularités de chaque variété, c’est-à-dire les modes d’obtention, ont vocation à être rendues publiques » [8].
Sur le site du CTPS, en effet, de nouveaux formulaires d’inscription des variétés permettent aux obtenteurs de renseigner les modes d’obtention de façon très précise mais non obligatoire [9]. Prenons par exemple le questionnaire technique du colza (formulaire N°2). Outre les dénominations et autres informations générales, l’obtenteur est invité (et il est bien noté, voir encadré ci-dessous, le mot « facultatif ») à renseigner les « sources de variabilité utilisées dans le processus de création variétale ».
4.4 Sources de variabilité utilisées dans le processus de création variétale (Facultatif)
On considère les 2 dernières introductions de variabilité
□ utilisation de variation naturelle
□ variation somaclonale
□ mutagénèse
□ Hybridation somatique (fusion de protoplastes)
□ insertion d’ADN
Il n’aura pas échappé au lecteur attentif deux choses : i) la précision et confusion (volontaire ?) des détails prévus, notamment en ce qui concerne les distinctions in vitro / in vivo [10], au niveau cellulaire ou non, variation naturelle ou mutagénèse… ; et ii) le caractère facultatif de ces déclarations. Dernière observation : outre la création de mutation, seule l’insertion d’ADN est envisagée alors que des modifications génétiques peuvent viser à retirer du génome des séquences natives (on parle de délétions) afin d’obtenir le caractère recherché.
L’accès aux données dépendra de l’évolution législative européenne
Un an après avoir annoncé l’entrée en vigueur de cette typologie, Inf’OGM a de nouveau interrogé Virginie Bertoux, secrétaire générale du CTPS. Celle-ci nous confirme que, pour toutes les espèces, la partie du formulaire technique sur les sources de variabilité est bien facultative. Dès lors, le caractère obligatoire ou non de divulgation de cette partie perd de son intérêt puisqu’elle pourrait simplement ne pas être renseignée par les obtenteurs ! Nous avons tout de même posé la question de la transparence de ces modes d’obtention à Virginie Bertoux : « Le sujet de l’accès aux données générées dans le cadre de l’évaluation des variétés en vue de leur inscription au catalogue officiel français est une action du plan SPAD révisé en cours de publication par le Ministère. C’est d’ailleurs en réponse à une action du précédent plan SPAD que nous avions initié cette initiative, encore timide, autour des modes d’obtention des variétés. Cela démontre bien i) l’intérêt d’inscrire un tel sujet dans un plan ministériel, ii) l’importance de le faire vivre et de le réitérer dans la version révisée du plan. De nombreux cadres, réglementaires ou partenariaux, nationaux ou européens, se superposent pour avancer sur le sujet d’accès aux données. En conclusion, sujet complexe, toujours d’actualité, que l’on espère faire progresser au cours de la mandature actuelle du CTPS ». Traduction ? Sujet intéressant, qui n’avance guère, mais le CTPS ne le laisse pas tomber. « La France est-elle seule sur ce sujet ? », a continué à interroger Inf’OGM. « Si les représentants français, officiels ou organisation professionnelle semencière, ont effectivement porté cette initiative à la connaissance de leurs homologues, il ne me semble pas, à ma connaissance, qu’elle ait été étendue à d’autres pays », nous a rétorqué la secrétaire générale.
Encore faudrait-il que cette éventuelle future transparence ne se heurte pas au Règlement (UE) 2019/1381 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif à la transparence. En effet, ce règlement, loin d’augmenter, comme son titre l’indique, la transparence de l’information, renforce plutôt les « informations confidentielles », comme pourrait l’être « le processus de fabrication et de production, y compris la méthode et les aspects novateurs de ce processus » [11].
Enfin, la législation européenne sur sur la commercialisation des semences est en pleine évolution [12]. Nous avons cherché à connaître la position que la France compte prendre dans cette réforme au niveau européen et les éventuelles retombées sur les critères d’inscription au Catalogue officiel. Réponse de Virginie Bertoux : « Compte-tenu de l’enjeu pour l’agriculture et l’alimentation française et européenne comme pour la filière semences et plants française, les autorités françaises ont été, sont et seront bien évidemment mobilisées. Peu de détails transparaissent actuellement des scénarios proposés par la Commission : difficile donc de savoir actuellement si l’option in fine retenue aura des impacts sur les critères d’inscription ».
Dans l’impossibilité d’appliquer la loi
Que conclure de ces réponses ? Plusieurs défis légaux attendent le gouvernement depuis l’arrêt du Conseil d’État sur le statut OGM de certaines variétés issues de techniques de mutagénèse réglementées OGM, et notamment en dresser la liste et les exclure du catalogue tant qu’elles ne sont pas autorisées en conformité avec la réglementation OGM [13]. Récemment, l’Anamso, structure qui assure la représentation des agriculteurs multiplicateurs de semences oléagineuses, a rappelé que « les variétés concernées par la loi sur la mutagenèse (sic !) maintenant considérées comme des OGM ont été retirées du marché et sont interdites à la commercialisation » [14]. Étonnante affirmation puisqu’en l’absence de l’obligation de déclarer ces modes d’obtention, y compris de façon rétroactive pour les variétés déjà sur le marché, il paraît difficile de dresser cette liste. On connaît certes les 96 variétés de colza identifiées dans les projets d’arrêtés du gouvernement [15], mais quid d’autres variétés potentiellement concernées ? Les obtenteurs connaissent ces modes d’obtention, bien entendu, mais quelle crédibilité accorder à une telle affirmation ? Sollicitée à plusieurs reprises pour avoir des précisions, l’Anamso ne nous a pas répondu. Également sollicitée, la Fédération des Producteurs d’Oléagineux et Protéagineux (FOP) nous informe que « l’Anamso est une structure indépendante et qui agit dans le domaine qui lui est propre. (…) [Elle] ne peut donc répondre en lieu et place de l’Anamso« .
Pire, le colza DK Imagine CL, tout premier colza mentionné dans l’arrêté qui prévoyait sa radiation du catalogue, vient de faire l’objet d’un changement officiel de « responsable du maintien de la variété en sélection conservatrice », qui est devenu Bayer Seeds SAS (FR) [16] : il est donc toujours bien présent au catalogue. Cependant, l’entreprise Bayer nous confirme qu’elle « ne commercialise pas de variétés Clearfield sur le marché Français. [Mais qu’en] Angleterre, en Bulgarie et en Roumanie, pour répondre à des problématiques locales de flores adventices complexes (exemple de l’orobanche), ou de rotation entre colza érucique et colza classique, Bayer commercialise du colza Dekalb Clearfield« .
De même, l’entreprise KWS Momont a gardé sur le catalogue de son site le colza Himona Cl, tolérant l’herbicide Clearfield [17], variété pourtant listée comme devant être radiée du catalogue dans un des projets d’arrêtés du gouvernement.
Dans le rapport de ses services, la Commission vient de rappeler que la directive 2001/18 et l’arrêt de la CJUE s’appliquent effectivement aux OGM issus des nouvelles techniques de mutagenèse [18]. De nombreuses variétés, notamment parmi celles rendues tolérantes aux herbicides, sont des OGM réglementés. C’est le cas notamment du colza Clearfield de BASF et, d’après un rapport de l’Anses curieusement rectifié sur ce point après l’arrêt du Conseil d’État, des tournesols Clearfield Plus. Là encore, l’absence d’information claire des semenciers nuit à la bonne application de la législation pour faire apparaître cette information dans le catalogue.
Au nom de la liberté de choix, mais aussi de la possibilité d’appliquer les lois, n’est-il pas temps d’imposer enfin l’obligation de déclaration des modes d’obtention, de sélection et de multiplication et leur divulgation publique, et ce, au niveau de toute l’Union européenne ?
[1] Relativement facilement seulement, car certaines plantes reconnues OGM ont échappé dès le début à l’application de la directive OGM, dont notamment les plantes issues de mutagénèse in vivo, en raison d’un historique d’utilisation sans risque.
[3] , « Inscrire une variété végétale au catalogue : la galère ! », Inf’OGM, 18 octobre 2017
[4] Sur plante entière ou organe de plante, donc in vivo.
[5] , « France – Des OGM autorisés… bientôt interdits », Inf’OGM, 26 mai 2020
[6] Dans l’Union européenne, un OGM est défini dans la directive 2001/18 comme « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ».
[7] , « France : un catalogue des variétés plus « transparent » ? », Inf’OGM, 15 mai 2020
[8] Ibid.
[9] Voir le site du Geves qui héberge le CTPS. Mais tous n’auront pas accès aux formulaires car « pour des raisons techniques temporaires, cette page n’est utilisable qu’avec les navigateurs Edge, Internet Explorer, Chrome »… le temporaire durant depuis déjà au moins un an ! Début juillet 2021, une nouvelle phrase est apparue sur le site : « si vous ne parvenez pas à télécharger les documents suite à des problèmes de navigateur, contacter Céline Delarue par mail : celine.delarue@geves.fr ou au 02.41.22.86.00 – les documents vous seront alors envoyés par email ».
[10] Dans le cadre du débat juridique actuel sur in vivo / in vitro, il est (volontairement ?) maladroit de placer l’alternative in vivo / in vitro dans la catégorie « croisement » qui renvoie, pour le colza, aussi bien aux croisements naturels in vivo qu’à la fécondation in vitro, deux techniques qui ne produisent pas d’OGM selon la directive 2001/18, alors que le débat juridique porte sur les seules cultures in vitro de cellules végétales isolées considérées par le Conseil d’État comme produisant des OGM réglementés.
[11] Voir considérant 32 du Règlement (UE) 2019/1381 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif à la transparence.
[12] , « UE – Moins d’essais en champs, mais avec des nouveaux OGM », Inf’OGM, 2 juin 2020
[13] , « Inscrire un « nouvel OGM » au catalogue des variétés », Inf’OGM, 20 juillet 2020
[15] , « France – Des OGM autorisés… bientôt interdits », Inf’OGM, 26 mai 2020
[16] Voir l’article 8 de l’Arrêté du 24 décembre 2020 modifiant le Catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France (semences de colza et autres crucifères). Le temps nous manque malheureusement pour vérifier chacune des variétés mentionnées dans les projets d’arrêtés de radiation.
[18] ,
, « OGM – La Commission européenne envisage de changer la législation », Inf’OGM, 29 avril 2021