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UE – Commercialisation des semences : les acteurs réagissent
L’Union européenne souhaite mettre à jour sa législation sur la production et la commercialisation du matériel de reproduction des plantes. Elle a publié une étude en avril 2021 [1], puis une première étude d’impact qu’elle a soumise à consultation du public du 15 juin au 13 juillet 2021 [2]. De nombreuses contributions se montrent réservées, voire hostiles, à ses conclusions.
66 contributions ont été postées sur la page dédiée, de la part d’acteurs aussi divers que des organisations de protection de la biodiversité cultivée (Arche de Noah, Réseau Meuse Rhin Moselle, Peliti, Pro Specie Rara, Rete Semi Rurali…), des organisations paysannes (Via Campesina) ou de l’agriculture biologique ou biodynamique (IFOAM UE, Demeter), des entreprises vendant des semences (Semailles, Kokopelli…), des sélectionneurs conventionnels (Rijk Zwaan) et bio ou encore des organisations professionnelles représentatives des industries de la semence (Semae, UFS, Euroseeds, Plantum…).
L’accueil en demi-teinte des acteurs de la biodiversité cultivée
Du côté des organisations de défense de la biodiversité cultivée et de l’agriculture bio, les positions sont sensiblement concordantes. L’ensemble de ces organisations apprécient les possibilités offertes par l’option 2 [3], en particulier celle de limiter le champ d’application des directives aux seules transactions entre professionnels. Cependant, elles sont également toutes d’accord pour affirmer que cette option n’est qu’une base de travail, et ne va pas assez loin.
Plus spécifiquement, elles saluent la reconnaissance du travail des « réseaux de conservation de semences » (« seed savers networks ») et de leurs spécificités. L’exclusion du champ d’application de la législation de la vente aux jardinier.es amateur.es et, éventuellement, des échanges de semences entre agriculteur.trices, la création de régimes juridiques distincts pour les activités de protection de la biodiversité cultivée et pour l’agriculture conventionnelle, font partie des points forts de cette option ; de même que l’adaptation des critères DHS et VATE [4] pour l’enregistrement des variétés biologiques et le soutien à la création variétale adaptée à l’agriculture biologique. Toutefois, la séparation entre les systèmes bio et conventionnel ne doit pas empêcher les professionnel.le.s de continuer à utiliser ces variétés.
Si la proposition de créer un cadre spécifique pour l’échange de semences entre paysan.nes est aussi soulignée, les différentes contributions insistent sur le fait que cette dernière ne doit pas, comme dans la proposition actuelle, être conditionnée par l’appartenance à une quelconque structure. Cette proposition s’inscrit pour eux dans la droite ligne de l’application du Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa) et de la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (Undrop). L’introduction d’un critère de durabilité, qui porterait sur la résistance des variétés aux nuisibles et aux aléas climatiques, est plutôt bien accueillie. Cependant, le caractère pour l’instant flou de ce terme pose question : il ne doit pas, pour ces organisations, être un frein au développement de systèmes semenciers locaux ni justifier l’utilisation d’OGM (comme les plantes Bt), non durables de par les risques découlant des procédés utilisés pour leur obtention.
Du côté des points négatifs, l’accent mis sur la productivité et la compétitivité du système semencier européen est dénoncé, et ce d’autant plus que le texte le relie à l’appui au développement de ces fameuses « nouvelles techniques de sélection » (NBT) que sont Crispr/Cas9 et autres nouvelles « techniques de modification génétique »… Plusieurs contributeurs (Demeter, Via Campesina…) insistent sur la nécessité de garantir la transparence sur les méthodes de sélection/obtention de toutes les variétés commercialisées, qu’elles soient ou non réglementées comme OGM. De même, les différent.e.s acteur.trices, en particulier ceux et celles qui vendent des semences (Semailles, Kokopelli…), s’inquiètent de l’impact sur les PME de la « modernisation » envisagée, notamment de l’introduction des techniques bio-moléculaires dans l’évaluation DHS et l’intégration au règlement contrôle (c’est-à-dire le passage à un système d’auto-contrôles sous contrôles officiels). ECVC (la coordination européenne de la Via Campesina) rejette l’identification moléculaire des variétés qui n’indiquent rien aux paysan.nes mais ne sont là que pour renforcer les droits de propriété intellectuelle qui ne sont pas l’objet de cette réglementation. Enfin, quelques contributions alertent sur les impacts potentiels de la future législation sur les pays tiers, en particulier les pays en voie de développement, dans la mesure où ces pays se fournissent souvent en semences importées de l’UE.
Certains vont même jusqu’à demander l’étude d’une proposition plus radicale : la fin de l’interdiction de commercialiser des variétés non inscrites , c’est-à-dire la fin du Catalogue officiel, comme proposé par l’avocate générale Kokott lors du procès de la CJUE « Association Kokopelli vs Graines Baumaux SAS » en 2012. ECVC, quant à elle, demande plutôt la mise en place de deux systèmes juridiques totalement distincts, l’un pour le « système semencier industriel », l’autre pour les « systèmes semenciers paysans », y compris les « professionnels » qui y participent.
La défiance du secteur conventionnel
En ce qui concerne les acteur.trices de l’agriculture conventionnelle, les positions sont plus contrastées.
Pour Semae, les deux piliers de la réglementation actuelle, à savoir l’enregistrement des variétés commercialisables avec les critères DHS et les procédures de contrôle officiel et de certification des semences, doivent être préservés. Cependant, l’interprofession ne soutient aucune des options proposées dans l’étude d’impact. Pour elle, « [i]l n’est pas opportun, ni possible, d’établir selon les modèles agricoles (biologique, local, traditionnel, conventionnel…) des réglementations différenciées en matière d’accès aux variétés. En outre, il n’est pas possible non plus d’assurer une segmentation effective des circuits de production et de distribution entre les marchés « amateur » et « professionnel ». »
Sans surprise, la position de l’Union française des semenciers (UFS) rejoint celle de Semae. Elle souligne elle aussi l’importance de l’inscription des variétés et le contrôle et la certification des semences et ne soutient, elle non plus, aucune des propositions de cette option 2. Elle estime que ces dernières présentent une « segmentation exacerbée […] des modèles agricoles et [que] l’opposition retranscrite de l’agriculture biologique vs l’agriculture conventionnelle, du marché des amateurs vs celui des professionnels […] ne correspond nullement à la réalité des pratiques et [que] les échanges entre ces divers modes sont bien plus importants qu’indiqués ». Elle désapprouve aussi la possibilité d’ouvrir les échanges entre agriculteur.trices, y voyant « le risque d’une réglementation à deux vitesses loin d’aller dans le sens de la simplification et de la proportionnalité annoncée ».
Pour l’organisation interprofessionnelle européenne Euroseeds, la législation actuelle a été et reste très efficace pour assurer la compétitivité de l’agriculture européenne et sa durabilité. Par conséquent, ses principales caractéristiques (DHS, certification des semences, exigences phytosanitaires) doivent être préservées. L’organisation est, bien entendu, pour une « amélioration » du cadre juridique, pour prendre en compte « les derniers développements technologiques » (c’est-à-dire les nouveaux OGM, qu’ils appellent de façon trompeuse NBT), accélérer les processus et réduire les coûts. Elle se prononce donc aussi pour l’introduction des techniques bio-moléculaires dans l’identification des variétés et le passage à un système d’auto-contrôles sous contrôle officiel.
La posture de la Copa-Cogeca (rassemblement des organisations et coopératives agricoles européennes) est plus originale. Dans l’ensemble, elle trouve que la réglementation actuelle est efficace et doit être maintenue dans ses grandes lignes. Si elle estime que l’identification par outils bio-moléculaires peut être un outil supplémentaire pour accélérer la sélection, elle ne peut remplacer les observations phénotypiques, seules observables au champ. Elle insiste aussi sur la nécessité d’une accessibilité pour les agriculteur.rices et consommateur.rices aux informations sur l’utilisation des nouveaux OGM, dans le respect toutefois du droit des obtenteurs à conserver des informations confidentielles. Elle soutient aussi la simplification de l’enregistrement des variétés amateures et de conservation, mais estime que les échanges en nature doivent être encadrés (afin notamment de ne pas échapper aux règles phytosanitaires) et que l’échange de semences de ferme entre agriculteur.rices (c’est-à-dire de semences de variétés protégées par un COV) doit être en principe interdit. Concernant le matériel hétérogène, cette possibilité doit rester restreinte au seul secteur de l’agriculture biologique et amateure. Enfin, si elle approuve le principe des contrôles basés sur le risque et la nécessité de réduire la charge administrative des contrôles, elle souligne que le secteur privé doit être impliqué dans la définition de tous les aspects liés à la mise en œuvre des contrôles officiels et se prononce contre l’intégration au règlement sur les contrôles officiels.
Plantum, l’organisation professionnelle néerlandaise du secteur de la semence trouve que la réglementation actuelle est adaptée et qu’elle a permis « l’émergence d’un système semencier divers et compétitif ». Pour elle, les directives sur le matériel de reproduction ne sont pas un outil pour atteindre les objectifs de la stratégie De la ferme à la fourchette ni ceux sur la biodiversité. L’introduction de critères de durabilité obligatoires (résistance aux nuisibles, aux aléas climatiques…) dans l’évaluation des variétés pourrait diminuer les possibilités d’introduire de nouvelles variétés sur le marché. L’association souligne que les exigences doivent rester différenciées selon les espèces. L’accès au marché pour les « nouvelles » cultures et les produits destinés à des marchés de niche doit être facilité, avec une définition fine de ce qu’est un « marché de niche ». Plantum n’est pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle les variétés pour la culture biologique « doivent être caractérisées par un niveau élevé de diversité génétique et phénotypique entre les unités individuelles ». Pour elle, des variétés uniformes bien sélectionnées peuvent être cultivées d’excellente manière dans des conditions biologiques et la diversité ne conduit pas automatiquement à une plus grande résilience dans la culture. Enfin, si l’organisation soutient l’objectif de limiter les coûts pour les autorités et les utilisateur.rices (opérateurs) et de poursuivre la cohérence de la mise en œuvre des règles au sein de l’UE, elle ne pense pas que l’application du règlement sur les contrôles officiels y contribuera nécessairement. Cette dernière pourrait au contraire entraver les objectifs de flexibilité, les directives actuelles offrant une certaine flexibilité pour être interprétées en fonction des besoins régionaux, du climat, etc. ; ce que ne permet pas le règlement sur les contrôles officiels.
D’autres sélectionneurs pour le statu quo
La Bundesverband Deutscher Pflanzenzüchter (BDP – association des sélectionneurs allemands) est, quant à elle, très favorable à l’établissement de ces principes (notamment l’enregistrement des variétés avec critères DHS + certification des semences) sous la forme d’une réglementation juridique uniformément contraignante et directement applicable à tous les États membres de l’UE. La certification des variétés (par le Catalogue) et celle des semences doivent rester obligatoires et assurées par l’État. L’association remet en cause la pertinence de l’introduction d’un critère de durabilité : pour elle, ce dernier est déjà pris en compte dans les examens actuels, en particulier pour ce qui est de la VATE, où les variétés sont testées pour leur résistance aux changements climatiques, aux facteurs de stress biotiques et abiotiques, la sécurité des rendements … La législation actuelle garantit également selon elle l’égalité des chances pour tous les concurrents sur le marché : seule l’innovation et la qualité des variétés d’un acteur.rice déterminent son succès, d’où l’importance de préserver ces examens officiels.
Pour les anciennes variétés, les exigences minimales qui s’appliquent déjà à l’enregistrement ne doivent pas être encore simplifiées ou adoucies par la révision du droit européen des semences. Enfin, les derniers développements numériques en matière de sélection végétale doivent être encouragés. Pour conclure, « BDP appelle à rester fidèle aux principes éprouvés du droit des semences ».
Pour le semencier conventionnel néerlandais Rijk Zwann, la réglementation actuelle est satisfaisante et les deux piliers que sont l’identité et la qualité doivent rester les bases de la législation. Le semencier est favorable à de meilleures définitions des termes (en particulier celui de « commercialisation »), pour garantir une application uniforme du droit dans l’ensemble de l’UE, seule à même d’assurer une « concurrence loyale » entre les opérateurs d’une même culture. De même, il s’oppose à une réglementation différente pour les semences ou variétés destinées à l’agriculture biologique.
S’il y a cependant bien un point sur lequel toutes et tous se retrouvent, c’est la nécessité de garder un texte séparé pour le matériel de reproduction forestier [5].
[1] , « UE – Réglementation semences : quatre options pour une réforme », Inf’OGM, 27 mai 2021
[2] , « Droit européen sur les semences : une première consultation publique », Inf’OGM, 8 juillet 2021
[3] « Flexibilité pour s’adapter aux évolutions technologiques pour améliorer l’accès aux ressources génétiques et pour répondre de manière cohérente aux objectifs de durabilité »
[4] DHS : distinction, homogénéité et stabilité et VATE : Valeur agronomique technologique et environnementale.
[5] Retrouver l’ensemble des contributions : https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/13083-Plant-and-forest-reproductive-material-revised-rules-_en. Pour aller plus loin, retrouver la réaction du Conseil de l’UE dans la fiche juridique du Réseau semences paysannes n° 3442 : http://ressources.semencespaysannes.org/veille/fiche-veille-3442.html