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OGM : un arrêt qui n’arrête pas les débats

Par Christophe NOISETTE

Publié le 09/02/2023

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Le 7 février 2023, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un nouvel arrêt qui concerne les OGM. Ce deuxième jugement de la justice européenne n’est qu’une nouvelle étape dans le long feuilleton qui a commencé en 2015, quand plusieurs organisations de la société civile française ont cherché à comprendre, entres autres, quels OGM étaient concernés par la directive européenne 2001/18.

Dans l’Union européenne, la directive 2001/18 concerne les OGM, c’est-à-dire les « organismes, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Définition large, qui ne se limite donc pas aux OGM transgéniques. Cette directive liste de façon exhaustive et fermée, d’une part, les techniques qui ne sont pas considérées comme entraînant une modification génétique et, d’autre part, les techniques qui donnent des OGM mais ne sont pas soumis aux requis de la législation (évaluation et étiquetage, notamment).

Dans cette seconde liste, figure la mutagenèse.

Mais de quelle mutagenèse parle-t-on ?

C’est l’enjeu actuel. Un enjeu important, fondamental, pour le droit des citoyens, des consommateurs et des paysans.

En 2018, la CJUE avait constaté « qu’il ressort de la directive sur les OGM que celle-ci ne s’applique pas aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de mutagenèse, à savoir celles qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » [1]. Et de préciser que cette exemption ne s’applique pas aux techniques de mutagénèse « qui sont apparues ou se sont développées principalement depuis l’adoption de ladite directive ».

Le Conseil d’État français (à qui la CJUE répondait) jugeait alors, en février 2020, que, sur la base des « pièces du dossier », « tant les techniques ou méthodes dites « dirigées » ou « d’édition du génome » que les techniques de mutagénèse aléatoire in vitro soumettant des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques […] sont apparues postérieurement à la date d’adoption de la directive 2001/18/CE ou se sont principalement développées depuis cette date ».

Concrètement, donc, il enjoignait le gouvernement français de retirer du catalogue et du marché les variétés portant un trait OGM obtenu par de telles techniques et qu’il y aurait inscrites sans avoir préalablement exigé une autorisation européenne en tant qu’OGM. 

On ne peut pas être plus clair.

Mais c’était sans compter sur le lobbying des industries semencières qui voyaient ces deux jugements d’un mauvais œil. La Commission européenne a, rapidement, commenté ces décisions. Quelques mois après l’avis du Conseil d’État, elle se permettait d’intervenir dans le débat et d’affirmer, dans un avis circonstancié adressé au gouvernement français, « que la distinction opérée par le Conseil d’État entre la mutagénèse in vivo et la mutagénèse in vitro n’est étayée ni par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 25 juillet 2018, ni par la législation de l’Union européenne, ni par les avancées scientifiques de ces techniques ».

Cette intervention de la Commission européenne a donc « européanisé » le débat et a incité le Conseil d’État à la prudence. Au lieu de s’en tenir à sa première interprétation et condamner tout simplement le gouvernement français pour non-exécution de sa décision, il s’en est remis à nouveau à la CJUE…. Le but de ses nouvelles questions était, officiellement, de clarifier l’étendue de la réglementation OGM et préciser ceux qui ne pouvaient bénéficier de l’exemption prévue par la directive 2001/18. Pourtant ce qui avait été jugé préalablement répondait déjà, de façon claire et précise, à ces questions… La CJUE s’est engouffrée dans cette brèche et, le 7 février, dans un arrêt alambiqué, jugeait que la mutagenèse aléatoire in vitro (sans trop la définir…) était une technique qui, comme la mutagenèse aléatoire in vivo, donnait des OGM exemptés des requis de la directive… dans certains cas !

Comment arrive-t-elle à cette conclusion ?

Premièrement, elle rappelle un principe général, directement issu de son arrêt de 2018 : une technique de mutagénèse ayant un historique d’utilisation sans risque avéré donne des OGM exemptés des obligations de la directive. Mais, quand cette même technique est mise en œuvre en y ajoutant d’autres techniques de modification génétique ne bénéficiant pas du même historique d’utilisation sans risque, les OGM obtenus sont cette fois soumis aux obligations de la directive.

Elle continue, en toute logique, et admet que « la culture in vitro impliquerait des variations génétiques et épigénétiques, désignées sous le nom de « variations somaclonales », dont la fréquence est supérieure à celle des mutations spontanées ».

Cependant, malgré cette assertion scientifiquement exacte, elle conclut que « toutefois, les effets inhérents aux cultures in vitro ne justifient pas, en tant que tels, que soient exclus de cette exemption [NDLR : de mutagénèse] les organismes obtenus par l’application in vitro d’une technique/méthode de mutagenèse qui a été traditionnellement utilisée pour diverses applications in vivo et dont la sécurité est avérée depuis longtemps au regard de ces applications ». En d’autres termes, la CJUE estime que la culture in vitro, sans trop la définir donc, est une caractéristique supplémentaire pouvant induire des modifications génétiques nouvelles, mais que cette technique ne confère pas le statut d’OGM réglementé.

Dans une première approche de cet arrêt, la CJUE semble donc permettre à de nombreux OGM déjà cultivés sur le territoire français, comme les colza Clearfield ou certaines endives, de n’avoir plus à être évalués, ni étiquetés. Cependant, cette saga juridico-scientifique n’est pas encore prête de s’arrêter. D’une part, le Conseil d’État va analyser cet arrêt et rendre son propre avis, et, d’autre part, la société civile continuera de tout mettre en œuvre pour faire la lumière sur les techniques de modification génétique.

Une pétition européenne signée par 420 000 personnes a été remise, le 3 février, à la Première Ministre française et, le 7 février, jour de la publication de l’arrêt, à deux responsables de la Commission européenne [2]. Cette pétition exige que les autorités françaises et européennes encadrent tous les OGM, anciens, nouveaux, transgéniques, issus d’une mutagenèse, etc… et qu’ils soient évalués et étiquetés.

Inf’OGM publiera prochainement une analyse plus en profondeur de cet arrêt et de ses conséquences.

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