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UE – L’AESA mobilisée sur la mutagénèse aléatoire in vitro
Alors que la France s’apprête à officialiser légalement que la mutagénèse aléatoire in vitro donne des OGM réglementés, la Commission européenne a saisi les experts de l’Agence européenne de sécurité des aliments pour éclairer les différences entre mutagénèse aléatoire in vitro et in vivo. Sauf changement de calendrier, cette expertise ne lui permettra pas de répondre au projet de décret français. La stratégie de la Commission serait-elle de gagner du temps ou prépare-t-elle un futur débat ?
Décrite de manière simplifiée, certaines techniques de mutagénèse peuvent être mises en œuvre directement sur plantes entières ou sur des parties de plantes capables de se régénérer naturellement (in vivo) ou bien sur des cellules isolées, multipliées sur un milieu artificiel (in vitro). Le 6 mai 2020, la France notifiait justement à la Commission européenne un projet de décret officialisant que les OGM obtenus par une des techniques de mutagénèse, celle qui consiste à soumettre des cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physiques, sont des OGM réglementés. Avec cette notification, la France a forcé la Commission européenne à agir après dix années d’ignorance volontaire de ce sujet. Le 20 mai 2020, la Commission européenne sollicitait donc l’expertise de l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (AESA) sur cette famille de techniques de mutagénèse, la mutagénèse aléatoire in vitro.
Une saisine, quatre questions non innocentes
Dans sa saisine de l’AESA [1] [2], la Commission européenne argue d’abord que jusqu’à présent « les États membres n’ont jamais opéré de distinction entre in vivo et in vitro » dans quelque législation que ce soit. Ensuite, elle explique avoir maintenant besoin d’une « compréhension scientifique robuste des techniques de mutagénèse aléatoire et d’une analyse scientifique robuste quant à savoir si la distinction entre in vivo et in vitro est scientifiquement justifiée ». La Commission précise dans le mandat adressé à l’AESA qu’aussi bien la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) que l’AESA elle-même n’ont pas opéré une telle distinction. Elle pose donc à l’AESA quatre questions [3] dont l’objectif affiché est de savoir s’il existe des différences biologiques entre une mutagénèse aléatoire in vitro et une mutagénèse aléatoire in vivo.
Malgré la précision des questions et l’actualité française et donc européenne, la Commission européenne ne semble pas pressée de connaître les réponses de l’AESA puisque le délai donné court jusque septembre 2021.
La Commission prépare l’avenir
Dans le contexte immédiat, le mandat donné à l’AESA est étonnant. La Commission sait en effet depuis presque deux ans que la Cour de Justice avait précisé que la directive « ne devrait pas s’appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » (c. 17). Dès lors, la Commission européenne est dans l’obligation de déterminer les techniques exemptées et les autres, et donc de déterminer une chronologie précise de l’utilisation des techniques de mutagénèse aléatoire in vivo et in vitro. Ce travail, le Conseil d’État français l’a fait et cela l’a amené à conclure que les techniques de mutagénèse dirigée et de mutagénèse aléatoire in vitro consistant à soumettre des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques donnent des OGM réglementés. Sur cette base, le gouvernement français a publié deux arrêtés qui listent 103 variétés végétales obtenues par mutagénèse aléatoire in vitro présentes dans le catalogue européen malgré l’absence d’autorisation selon la procédure « OGM » [4].
En demandant à l’AESA de déterminer la différence entre in vivo et in vitro d’ici septembre 2021, la Commission européenne ne compte pas sur sa réponse pour répondre sur la légalité du projet de décret français dans le délai de trois mois de consultation prévu par la procédure ni pour mettre rapidement en œuvre la décision de la CJUE. Par contre, elle peut prolonger ce délai et préparer un éventuel débat auquel elle pourra alors verser un avis de l’AESA. Dans ce domaine, la dernière question posée à l’AESA est particulièrement frappante puisque la Commission lui demande « d’évaluer si les techniques de mutagénèse aléatoire in vitro nécessitent d’être considérées comme des techniques différentes comparées aux techniques de mutagénèse aléatoire in vivo ou si, au contraire, elles doivent être considérées comme un continuum ».
[1]
[2]
[3] Dans le mandat adressé à l’AESA, la Commission lui demande :
de lui fournir une description détaillée des techniques de mutagénèse aléatoire mises en œuvre in vivo et in vitro,
d’évaluer si les différentes modifications génétiques obtenues par des techniques de mutagénèse aléatoire sont différentes selon que la technique est mise en œuvre in vivo ou in vitro,
d’évaluer si les mécanismes moléculaires sous-tendant les techniques de mutagénèse aléatoire sont différents selon que les techniques sont mises en œuvre in vivo ou in vitro,
d’évaluer si les techniques de mutagénèse aléatoire in vitro nécessitent d’être considérées comme des techniques différentes comparées aux techniques de mutagénèse aléatoire in vivo ou si, au contraire, elles doivent être considérées comme un continuum.
[4] , « France – Des OGM autorisés… bientôt interdits », Inf’OGM, 26 mai 2020