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États-Unis – Le champignon OGM (Crispr) doit-il être évalué ?
En avril 2016, le gouvernement étasunien déclare qu’un champignon de Paris génétiquement modifié par Crispr/Cas9 ne sera pas soumis à la loi sur les produits issus d’ingénierie génétique (nos OGM européens). Six mois plus tard, des scientifiques coréens contestent la base scientifique ayant permis cette décision. Une controverse qui ne remettra pourtant pas en cause la décision du gouvernement.
Récemment le champignon Agaricus bisporus a été génétiquement modifié pour ne pas brunir au contact de l’air. Un nom latin peu connu sous lequel se cache en fait le « fameux » champignon de Paris. Yinong Yang, de l’Université d’état de Pennsylvannie, a réussi à supprimer certaines paires de bases de la séquence génétique codant pour l’enzyme polyphénol oxydase, en utilisant Crispr/Cas9, une des nouvelles techniques de modification du vivant. Cette suppression a pour effet de diminuer l’activité de cette enzyme de 30% et donc de réduire le brunissement des champignons. Une modification qui, d’après le ministère étasunien de l’agriculture, vise à « améliorer l’apparence et la durée de vie du champignon » et à en « faciliter la récolte mécanique automatique » [1].
Ce champignon GM ne sera pas réglementé aux États-Unis…
Le 30 octobre 2015, le chercheur Yang interpellait le ministère étasunien de l’Agriculture (US Department of Agriculture – USDA) pour savoir si le champignon qu’il avait génétiquement modifié devait faire l’objet d’un encadrement réglementaire ou non [2]. Le 13 avril 2016, le ministère lui répondait [3] que ce champignon pouvait être commercialisé puisque n’étant pas couvert par la réglementation sur les OGM. En effet, l’USDA considère que ce champignon « ne contient pas de matériel génétique introduit » et qu’elle n’a « aucune raison de croire que ce champignon modifié par Crispr/Cas9 est un parasite végétal ». L’USDA précise explicitement que sa décision a été prise en prenant comme base les informations communiquées par Yang dans sa lettre.
Une précision d’importance ? Plutôt, car cette actualité a fait la Une des médias en avril 2016, lisant dans cette décision de l’USDA l’ouverture de la voie commerciale aux organismes modifiés par Crispr/Cas9. Mais la décision du ministère est à lire avec attention : si elle se base sur la notion clef aux États-Unis qu’aucun matériel introduit ne subsiste ensuite dans l’organisme, elle rappelle également que « tout champignon GM issu de cette modification et qui contiendrait encore du matériel génétique inséré serait considéré comme réglementé ».
…mais le doute s’installe
En octobre 2016, deux scientifiques coréens ont contesté le fait qu’aucun matériel génétique inséré ne soit plus présent comme l’affirmait Yang à l’USDA. Dans une lettre à Nature Biotechnology [4], ces deux chercheurs de Séoul (Corée du Sud), de l’Université Nationale et de l’Institut de Sciences Fondamentales, expliquent « être inquiets que le champignon puisse encore contenir de petits fragments d’ADN étranger dans son génome ». Ils rappellent dans leur lettre que Yang a modifié le génome du champignon en introduisant dans une cellule en culture un ADN circulaire (plasmide) codant pour la protéine coupant l’ADN du champignon (nucléase Cas9) et l’ARN guide nécessaire pour « cibler » la séquence génétique où doit avoir lieu la délétion. Yang précisait dans son article que l’absence d’insertion d’ADN étranger dans le génome du champignon avait été vérifiée par PCR [5]. Mais les chercheurs coréens expliquent que seule une analyse du génome entier aurait permis d’être aussi affirmatif car « des petites insertions allant jusqu’à quelques centaines de paires de base ne peuvent pas être détectées par des analyses de PCR ou Southern Blot ». Joignant le geste à la parole, les chercheurs ont introduit expérimentalement dans des cellules d’Arabidopsis un plasmide codant pour Cas9 et un ARN guide puis ont détecté la présence de petites séquences dans le génome de la cellule. Et les chercheurs de préciser que si Yang avait inséré dans la cellule la protéine Cas9 directement, de telles insertions d’ADN n’existeraient pas…
Un « détail » scientifique qui change tout ?
Les États-Unis n’ont pas décidé d’une manière générale que la technique Crispr ne donne pas d’OGM comme on peut l’entendre ou le lire. Mais l’USDA a estimé que dans ce cas précis et selon les informations fournies par Yang, ce champignon ne nécessitait pas d’évaluation des risques avant commercialisation. Ce même raisonnement a été appliqué à la même époque par l’USDA à un maïs modifié par Crispr/Cas9 par l’entreprise DuPont (cf. encadré ci-dessous).
Mais la controverse scientifique amenée par les chercheurs coréens permet de mettre le doigt sur un point fondamental : si une décision politique se base sur des critères scientifiques, il est alors impératif de garantir la justesse des données scientifiques analysées. L’USDA le précise d’ailleurs dans sa réponse en indiquant au Pr. Yang que s’il « est au courant de quelques informations qui pourraient affecter la décision de l’Agence, il doit lui notifier immédiatement ». Pourtant, interrogé par Inf’OGM, l’USDA « ne voit aucune raison de changer sa décision » sur ce champignon puisqu’aucun parasite végétal ne rentre dans le procédé [6].
De son côté, le Pr. Yang n’envisageait de toute façon pas d’alerter l’USDA sur cette publication comme il l’a indiqué à Inf’OGM, considérant que si « la PCR […] ne permet pas de détecter efficacement des petits fragments qui se seraient insérés […] il appartient au législateur de déterminer si le séquençage génétique complet doit être une norme pour toutes cultures alimentaires »
Cette actualité nous renvoie aux affirmations que ces nouvelles techniques sont maîtrisées, précises, pas chères… Bien sûr, les chercheurs coréens relaient à leur tour qu’une solution serait de « croiser les lignées afin de se débarrasser de toutes insertions non désirées ». Une référence aux rétro-croisements dont Inf’OGM a déjà parlé [7] et qui ne sont pas non plus une assurance tout risque…
DuPont modifie un maïs par Crispr et échappe à tout encadrement également
Six mois après Yang, c’est l’entreprise DuPont qui obtenait de l’USDA un feu vert pour commercialiser un maïs modifié génétiquement par Crispr sans passer par la case « évaluation des risques » [8]. La modification génétique consiste à supprimer une paire de bases dans le génome du maïs afin d’inactiver une enzyme impliquée dans la production d’amylose. Le maïs ainsi génétiquement modifié ne contient plus que de l’amylopectine, molécule utilisée par l’industrie du papier et alimentaire.
Le point commun des dossiers de DuPont et Yang ? Le maïs de DuPont, comme le champignon de Yang, a été modifié en insérant dans des cellules en culture in vitro des plasmides codant une protéine Cas9 et un ARN guide.
La différence ? DuPont a effectué ce que les chercheurs coréens recommandent et que Yang n’a pas fait : croiser les lignées afin de se débarrasser de toutes insertions non désirées. D’après DuPont, le maïs obtenu « contient les délétions désirées dans la séquence du gène Wx mais ne contient aucun ADN inséré en provenance des six plasmides ». Comment l’ont-ils vérifié ? Ce n’est pas dit dans le dossier. Mais cela semble avoir convaincu l’USDA…
[3] cf. note 1
[4] « Bypassing GMO regulations with CRISPR gene editing », Jungeun Kim et Jin-Soo Kim, Nature Biotechnology, 2016, Vol34 n°10, Octobre, pp1014-1015
[5] La PCR consiste à multiplier une séquence d’ADN pour mieux la détecter ensuite. Pour cela, deux amorces sont fournies ainsi qu’une enzyme qui va copier en masse la séquence contenue entre les deux amorces. Un peu comme on ferait de nombreuses copies d’une portion de route comprises entre deux bornes kilométriques.
[6] Contrairement à ce que l’USDA écrit dans sa réponse au Pr. Yang où il est dit que « des séquences de parasites végétales ont été utilisées »
[7] , « Modifier génétiquement une plante est loin d’être anodin (suite) », Inf’OGM, 1er juin 2017