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El Salvador : des semences locales, pas du glyphosate…

Par Frédéric PRAT

Publié le 02/06/2015

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Le 4 septembre 2013, l’assemblée législative salvadorienne a interdit l’utilisation de 53 pesticides et engrais contenant des métaux lourds, dont le DDT, l’endosulfan, le paraquat… et le glyphosate (matière active du désherbant de Monsanto le plus vendu au monde, le Roundup). Pour ce dernier, un délai de deux ans maximum est admis, soit une interdiction totale effective à partir du 4 septembre 2015 [1]. La raison principale de ces interdictions est sanitaire : l’insuffisance rénale chronique, causée entre autre par les pesticides, est devenue la deuxième cause de mortalité chez les hommes salvadoriens [2]… En parallèle, depuis février 2011 [3], le Salvador a lancé le « plan agriculture familiale ».

Le « plan agriculture familiale » (Plan Agricultura Familiar) [4], qui consiste entre autre à distribuer gratuitement des semences locales de maïs et de haricots, non transgéniques, ainsi que des engrais [5], aux petits paysans qui pratiquent les cultures de subsistance (400 000 paysans concernés en 2013, c’est-à-dire la quasi totalité des petits paysans [6]. Coût annuel du programme semences : autour de 25 millions de dollars [7], payé par l’argent public.

Quelles semences sont distribuées ?

Le Salvador a ratifié en 2006 le CAFTA, un traité bilatéral de commerce entre l’Amérique centrale et les États-Unis : il doit donc, lors d’achats publics, comme ici pour les semences, lancer des appels d’offres, où les entreprises étasuniennes peuvent concourir. Le cahier des charges de l’appel d’offre (exigence de semences locales notamment), a été traduit dans des décrets provisoires (décrets 198 en 2013 et 603 en 2014), qui ont permis aux entreprises locales de concourir. Car jusqu’à 2011, 70% du marché des semences était approvisionné par l’entreprise Semillas Cristiani Burkard, une filiale de Monsanto [8]. Se sentant lésés, les États-Unis ont menacé le Salvador de retenir une aide du « fonds du Millenium » de 277 millions de dollars en 2014 [9]. Bonne occasion pour les salvadoriens de percevoir la réalité d’un accord bilatéral dénoncé de longue date par certains pans de la société civile… Finalement, les États-Unis ont tout de même versé leur aide, sans toutefois remporter aucun appel d’offre en 2014 (le marché a été octroyé à 91% à des producteurs salvadoriens (et à 9% à des importateurs de semences, dont on n’a pas pu connaître l’origine). Et en 2015, nouvel appel d’offres, et cette fois-ci, 100% des semences ont été fournies par des entreprises salvadoriennes [10].

Cette année, les semences ont été distribuées en avril : le ministre de l’Agriculture, l’ancien guérillero des révolutionnaires du FMLN, Orestes Ortez, a précisé à cette occasion que de nouvelles variétés (dont notamment du riz) améliorées localement, mais non transgéniques, faisaient partie des semences distribuées, avec d’excellentes performances de rendement. Il a rappelé que la reconnaissance de l’agriculture familiale depuis 2011, traduite notamment par un accompagnement technique, avait permis une réduction de la pauvreté et un renforcement de la sécurité et souveraineté alimentaires.

Entre 2009 et 2014, la production nationale de semences certifiées [11] de maïs et haricot a été triplée (passant de 35 000 à 92 000 quintaux), le volume des importations de semences a été diminué de 78% depuis 2011, et la production de maïs est passée de 14 millions de quintaux en 2004 à 20 millions en 2013 [12]. Léger problème toutefois : les semences de maïs sont des hybrides. Dans un colloque organisé fin juillet 2014, la Fondation privée REDES a présenté un rapport [13] où elle approuve globalement le « plan agriculture familiale », mais où elle propose de remplacer progressivement ces semences hybrides [14] par des semences autochtones pour rendre caduques à terme ces distributions de semences, les paysans pouvant alors reproduire leurs propres semences. Rappelons que le Salvador, en tant que pays appartenant au groupe de l’OMC des « petites économies vulnérables » [15], n’est pas encore obligé d’adopter un système de protection des droits industriels sur les semences (et n’est pas membre de l’UPOV) [16]. Le ministère de l’agriculture salvadorien nous confie qu’effectivement, les paysans gardent des semences d’une année sur l’autre, mais, que, faute de suivi par ses services techniques, il ne peut nous fournir de statistiques sur l’ampleur de cette pratique.

Vers la fin mondiale du glyphosate ?

On l’a donc vu, la consolidation de la sécurité alimentaire au Salvador, grâce à l’augmentation de la production des produits de base (maïs, haricot, riz), n’est bien sûr pas directement liée à l’interdiction de certains produits phytosanitaires. Elle est plutôt le résultat d’une approche globale de ce « plan agriculture familiale », soutenu par la FAO, qui redonne un rôle accru aux paysans. Mais l’approche globale est aussi interministérielle, et le ministère de la Santé, appuyé par certaines associations rurales échaudées par un nombre élevé de maladies récurrentes, a réussi à bannir les produits les plus nocifs. Le glyphosate semble être aussi l’un de ceux-là, puisqu’il vient d’être reconnu comme cancérigène probable par une agence de l’OMS. Le conseil national des stupéfiants en Colombie vient d’ailleurs également de suspendre l’usage du glyphosate, le 15 mai ; le ministère de la Santé au Brésil [17] et plus de 30 000 médecins en Argentine [18] le demandent aussi ; et l’ONG Feed the World, aux États-Unis, vient de lancer une grande campagne pour détecter les résidus de glyphosate dans la population… Les jours du glyphosate, donc du Roundup, seraient-ils comptés ? S’il en vient à être interdit, les plantes transgéniques qui le tolèrent (80% de toutes les plantes transgéniques mondiales) pourraient bien devenir totalement inutiles…

En attendant que les effets sur la santé se fassent sentir au Salvador, gageons que les paysans, dans un tel contexte politique favorable, vont rapidement trouver le chemin de la vraie agro-écologie paysanne [19] [20]

[4Pour une évaluation intégrale de ce programme, voir : http://www.fao.org/docrep/019/as175s/as175s.pdf

[510 kg de semences et 45 kg de fertilisant à chaque paysan, voir http://asso-inti.org/index.php?post/2014/11/17/Les-OGM-en-Amerique-Centrale

[6Le nombre total d’agriculteurs était estimé en 2003 à 600 000, cf. http://www.fao.org/docrep/007/ad929s/ad929s01.htm#fn14

[9Ibid

[10Réponse du ministère de l’agriculture à Inf’OGM, en date du 13 juin 2015

[11Selon la loi semences du Salvador (de 2001, modifiée en 2012, voir : http://www.asamblea.gob.sv/eparlamento/indice-legislativo/buscador-de-documentos-legislativos/ley-de-semillas), une semence certifiée est celle qui est « produite à partir issue d’une semence de base ou d’une semence enregistrée  ». Le texte se mord un peu la queue, car la semence « enregistrée » est « la semence certifiée qui provient de la semence de base », et la « semence de base » est « produite à partir d’une semence qui conserve son identité et sa pureté variétale » (chap. I, article 2, paragraphes f, g et h). Retenons donc qu’il s’agit de semences d’une variété identifiée

[14Comme celle du maïs H59 mis au point par le CENTA (centre national de la technologie agricole et forestière), voir http://www.bioalaune.com/fr/actualite-bio/24916/salvador-bannit-roundup-de-monsanto-connait-des-recoltes-records

[19Pour sa définition, cf. le manifeste de l’agroécologie paysanne : http://www.legrandsoir.info/communique-pour-une-agroecologie-paysanne.html

[20A ne pas confondre avec l’agro-écologie piratée actuellement par les pouvoirs publics, cf. Eric MEUNIER, « Agriculture – Innovation 2025 : des OGM dans l’agro-écologie ? », Inf’OGM, 16 novembre 2015

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