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Autorisations d’OGM : la lenteur de la Commission européenne à nouveau dénoncée

Par Eric MEUNIER

Publié le 11/12/2014

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Le 17 octobre 2014, le groupe de lobby des entreprises de biotechnologies EuropaBio et d’autres ont déposé une plainte auprès d’Emily O’Reilly, la médiatrice européenne (Ombudsman), pour dénoncer les délais de traitement de vingt demandes d’autorisation d’OGM. Cette plainte intervient alors que les instances européennes sont proches de trouver un accord sur les interdictions nationales, accord censé débloquer le dossier OGM, et notamment les procédures d’autorisation.

Le site du médiateur européen mentionne cette plainte sans en détailler le contenu [1]. Est seulement précisé que la plainte est traitée dans le cadre d’une suspicion de mauvaise gestion des demandes d’autorisation par la Commission européenne, cette dernière étant accusée de violer ses « obligations liées à [un délai] raisonnable dans la prise de décision ». Les services du médiateur européen ont précisé à Inf’OGM [2] que les plaignants sont EuropaBio, la Fédération européenne des fabricants d’aliments pour animaux (Fefac) et le Comité du Commerce des céréales, aliments du bétail, oléagineux, huile d’olive, huiles et graisses et agrofournitures (Coceral).

Ces trois plaignants considèrent que la Commission européenne a administrativement mal géré le traitement de vingt demandes d’autorisations d’OGM pour l’importation et l’alimentation, en imposant des délais « illégaux et non raisonnables » au vu du règlement 1829/2003 (cf. Comment sont autorisés les OGM dans l’Union européenne ?). Ils demandent que « la Commission européenne mette au vote dans les comités dédiés et/ou adopte, une décision formelle sur vingt demandes d’autorisations en cours de traitement et qu’elle s’abstienne de causer de tels délais dans les futures traitements de demandes d’autorisation ».

Les services du médiateur européen nous ont indiqué n’avoir publié qu’une information minimale car le dossier est actuellement en cours de traitement. Ils nous ont cependant précisé « avoir étudié les documents  » et être maintenant en attente de « la position de la Commission européenne sur ces accusations, position qui devrait être adressée avant la fin de janvier 2015 ». A l’heure de publication de cet article, Inf’OGM est toujours en attente des commentaires de Fefac, Coceral et EuropaBio.

Une nouvelle plainte pour une demande ancienne

Une première plainte avait été déposée par BASF en 2008 pour dénoncer le retard pris par la Commission européenne sur la demande d’autorisation de sa pomme de terre Amflora [3]. Cette plainte n’avait pas débouché car l’autorisation a finalement été délivrée le 2 mars 2010 [4]. A noter que cette autorisation a finalement été annulée, en décembre 2013, par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) qui considérait alors que la Commission avait violé la règlementation sur les OGM en ne consultant pas les États membres [5].

Une seconde plainte a été déposée par Pioneer en avril 2010 : elle concernait les délais de traitement de sa demande d’autorisation du maïs génétiquement modifié TC1507. La CJUE avait jugé que la Commission européenne était fautive, mais elle ne l’avait pas sanctionnée. Suite à ce jugement, la Commission soumettait deux mois plus tard une proposition d’autorisation de ce maïs aux États membres [6].

En juin 2014, EuropaBio écrivait sur son site Internet que les demandes d’autorisation de 21 OGM étaient « illégalement reportées (…) pour un total de 44 ans (sic)  » [7] [8]. La récente plainte au médiateur concerne vraisemblablement vingt de ces vingt-et-un OGM [9]. Il faut ici noter que trois des demandes listées sont des demandes de renouvellement d’autorisation, mais ces trois OGM (dont le maïs MON810 pour la culture) sont toujours autorisés dans l’attente de la réponse.

Enfin, le 17 octobre 2014, jour du dépôt de la plainte, plusieurs organisations représentant les entreprises (dont deux des signataires de la plainte), dans un communiqué de presse conjoint, indiquaient avoir «  exhorté la Commission européenne à ne pas retarder le traitement de huit demandes d’autorisation » [10], sans mentionner pour autant qu’une plainte avait été déposée…

Suite à la décision de la CJUE dans l’affaire Pioneer, Inf’OGM écrivait qu’il était à craindre que, fortes de cette décision de justice, les entreprises « se mobilisent pour presser la Commission comme ce fut déjà le cas en 2011 avec le rapport d’EuropaBio », rapport qui dénonçait «  les délais de l’évaluation scientifique des dossiers et des procédures de votes » et demandait que le « système soit amélioré » [11]. Moins d’un an après la décision de la CJUE, c’est donc le médiateur qui est cette fois saisi.

Le calendrier d’une telle plainte interpelle. Elle coïncide en effet avec les discussions finales en trilogue sur la nouvelle procédure d’interdictions nationales. Or, cette nouvelle possibilité de recours contre une décision européenne a toujours été présentée par la Commission comme une réponse au blocage des autorisations d’OGM. Avec l’imminence d’un accord [12], c’est bien la perspective d’une montée en puissance du rythme d’autorisations délivrées qui approche également. Une situation qui devrait donc réjouir les entreprises. Mais leur plainte suggère qu’elles pourraient douter de la volonté de la Commission à effectivement accélérer le rythme. Elles ont donc pris le parti d’accroître la pression sur la Commission européenne en faisant intervenir le médiateur… Une manière de chercher à s’assurer que ces autorisations seront bel et bien traitées rapidement.

Délai d’autorisation, quel est le problème ?


Chaque demande d’autorisation d’un OGM doit franchir plusieurs étapes. Elle est tout d’abord évaluée « scientifiquement » par l’Agence européenne de sécurité alimentaire (AESA) qui doit déterminer les risques liés à son utilisation. Si l’avis de l’AESA est positif, la Commission européenne formule une proposition de décision, proposition qui est soumise par deux fois au vote des États membres (vote à la majorité qualifiée). En cas d’absence de majorité, la décision finale revient à la Commission européenne (cf. Comment sont autorisés les OGM dans l’Union européenne ?).

Si à chaque étape (sauf celle du vote par les États membres), les textes en vigueur imposent des délais, ces derniers peuvent être suspendus en cas de discussions nécessaires, comme celles entre les experts européens et le pétitionnaire sur des aspects d’évaluation des risques. La législation (décision 1999/468, article 5) précise qu’en cas d’abstention des États membres lors d’une première réunion, la Commission doit soumettre la même proposition lors d’une seconde réunion « sans tarder » [13]. C’est cette rhétorique juridique («  sans tarder ») qui a d’ailleurs été soulevée par Pioneer pour dénoncer le comportement de la Commission européenne vis-à-vis de son maïs TC1507. Et si au cours de ce seconde vote des États membres, aucune décision n’est prise, faute de majorité qualifiée, la décision revient, nous l’avons dit, à la Commission européenne, mais cette dernière ne dispose que d’un délai de trois mois pour la finaliser. Ce délai est rarement respecté et c’est donc ce manquement à la législation qui est à la base de la saisie en cours du médiateur européen.

[2Échanges par courrier électronique avec Inf’OGM les 9 et 10 décembre 2014

[4Ordonnance du tribunal (Première chambre) de la Cour de justice de l’Union européenne, 9 juin 2010, point 13

[7De manière totalement fallacieuse et abusive, Europabio additionne les dépassements de délais pour l’ensemble des dossiers… Une technique de manipulation intellectuelle digne des rapports de l’Isaaa qui additionne les surfaces cultivées avec des OGM depuis 1996.

[9Les OGM concernés pour la culture sont : maïs MON810 (renouvellement), maïs Ga21, maïs 59122, maïs Bt11, maïs TC1507.

Les OGM concernés pour l’importation et l’alimentation sont : maïs Nk603, maïs MON863, coton MON531, coton MON1445, coton MON531*MON1445, coton MON88913, maïs MON87460, colza Gt73 (renouvellement), coton T304-40, maïs T25 (renouvellement), soja MON87708, soja MON87705, soja 305423, soja BPS-CV127-9, soja MON87769 et coton GHB614*LL25

[10Les huit plantes sont : maïs MON87460, colza GT73, soja 305423, soja MON87708, soja MON87705, soja BPS-CV127-9, maïs T25 et coton T304-40, http://www.coceral.com/data/1413540729EU_Food_Feed_Chain_Joint_Press_Release_urgent_EC_decision_GM_import_authorizations_October_2014.pdf

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