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20 ans de présence illégale d’OGM dans la filière agroalimentaire européenne

Par Eric MEUNIER

Publié le 17/10/2024

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Alors que la Commission européenne et les multinationales souhaitent déréglementer la plupart des OGM, un article scientifique publié en septembre fait le bilan des présences illégales d’OGM entre 2002 et 2023 sur le territoire européen. Ce bilan confirme une évidence souvent méconnue : plus les contrôles sont effectués, plus le nombre de détection de cas augmente. Il montre au moins l’absence de maîtrise par les producteurs d’OGM de leurs propres produits.

Trois chercheurs égyptiens se sont intéressés aux présences illégales d’OGM dans la filière agroalimentaire européenne. Pour conduire leur étude, dont les résultats viennent d’être publiés en septembre 2024i, ils ont analysé les alertes recensées par le Système d’Alerte Rapide pour l’Alimentation humaine et Animale (Rapid Alert System for Food and Feed, RASFFii). Ce système enregistre les alertes quant à des produits présentant un risque et détectés sur le territoire des États membres.

Dans le domaine des OGM, ces produits peuvent être aussi bien des végétaux, des animaux que des micro-organismes. Ils peuvent être également des produits de ces OGM, à l’instar d’enzymes ou d’additifs alimentaires produits par des bactéries OGM. S’ils font l’objet d’une alerte au RASFF, c’est que de tels produits sont considérés comme présentant un risque soit car ils ne sont pas autorisés et n’ont donc pas fait l‘objet d’évaluation des risques ou qu’elle n’est pas finie, soit car ils ne sont pas étiquetés et donc traçables.

Le RASFF collecte donc les informations qui émergent suite à des contrôles effectués sur les territoires nationaux et des décisions nationales de remonter l’information à Bruxelles. Pour les produits OGM, les chercheurs ont comptabilisé, entre le 1er janvier 2002 et le 31 décembre 2023, un total de 827 alertesiii. Autant de cas d’OGM qui sont donc présents de manière illégale car non autorisés ou non étiquetés.

827 alertes entre 2002 et 2023

Ces alertes ont en grande partie concerné la filière de l’alimentation humaine, avec 724 cas. Les cinq principaux produits détectés représentaient plus de 90 % des alertes (cf. tableau 1). Le riz est de loin l’aliment le plus concerné avec 418 alertes, soit plus de la moitié des cas (57,73%). Le second produit le plus « alerté » est le lin (14,64 % des alertes), suivi de la papaye (10,77%). Viennent ensuite des compléments alimentaires (5,11%) et des enzymes (1,93%).

Pour ce qui est de l’alimentation animale, 103 alertes ont été dénombrées. Le riz, à nouveau, est en pole position avec 42,72 % des alertes, suivi par le maïs (20,39%), le lin (12,62%), le soja (10,68%) puis le coton (8,74%). Dans le cas du maïs, les chercheurs détaillent qu’il s’agit de deux maïs transgéniques, les Mon88017 et DAS59122. Pour le coton, ce sont les cotons Mon15985 et Mon531.

827 alertes en vingt années, cela constitue une moyenne de plus de 40 alertes par an, soit un peu moins d’une alerte par semaine. Si ces alertes ne se sont bien sûr pas réparties de manière linéaire dans le temps, certaines années constituant des pointes par rapport à d’autres, le bilan moyen reste malgré tout impressionnant. D’autant qu’il est possible que ces chiffres soient sous-évalués par rapport à une situation réelle, qui serait alors méconnue. Les chercheurs expliquent par exemple qu’entre 2002 et 2005, peu d’alertes sont enregistrées dans le RASFF. Pour eux, la raison est à chercher dans le fait que les mesures de contrôle étaient alors moins rigoureuses ou que les méthodes de détection étaient moins « sophistiquées » (lire : moins performantes). Si le nombre de cas augmente à partir de 2006, ils lient cette augmentation avec la mise en œuvre de règlements européens adoptés en 2003 (les règlements 1829/2003 et 1830/2003) et le système d’identificateur unique initié en 2004, qui ont « établi un cadre harmonisé […] pour la traçabilité des OGM en Europe ». Plus clairement, pour ces chercheurs, le nombre de cas d’OGM illégalement présents sur le territoire européen est lié aux moyens que le monde politique a décidé de mettre en place pour les détecter et les tracer.

Alimentation humaineAlimentation animale
Riz57,73 %Riz42,72 %
Lin14,64 %Maïs20,39 %
Papaye10,77 %Lin12,62 %
Compléments alimentaires5,11 %Soja10,68 %
Enzymes (alimentaires)1,93 %Coton8,74 %
Tableau 1 : Les cinq produits les plus détectés (avec les % par rapport au nombre de cas total).

Peu de pays à l’origine des présences illégales d’OGM dans l’UE

Pour l’alimentation humaine, la Chine est à elle seule le pays d’origine de 35 % des alertes effectuées en Europe entre 2002 et 2023. Cette place s’explique par le nombre important d’alertes pour du riz OGM illégalement présent sur le territoire européen depuis 2001. Suivent les États-Unis, avec 20 % des cas. Plus loin, la Thaïlande représente 8 % des cas, avec notamment la papaye OGM, suivi par le Canada (7,7%) et la Belgique (4,3%). Ces cinq pays représentent à eux seuls le pays d’origine de 75 % des alertes enregistrées par le RASFF pour l’alimentation humaine (cf. tableau 2).

Pour l’alimentation animale, les pays à l’origine des alertes varient légèrement, tout en représentant à eux cinq 85 % des alertes. La place la plus importante revient cette fois aux États-Unis, avec 36 % des alertes, suivis de près par la Chine (31 %), la Belgique (8,7%), la Cote d’Ivoire (5,8 %) et l’Allemagne (3,88%) bouclent ce classement des cinq pays d’origine d’alertes les plus impliquées.

Alimentation humaineAlimentation animale
Chine35,08 %États-Unis35,92 %
États-Unis20,30 %Chine31,07 %
Thaïlande8,01 %Belgique8,74 %
Canada7,73 %Cote d’Ivoire5,83 %
Belgique4,28 %Allemagne3,88 %
Tableau 2 : Les cinq principaux pays d’origine de présence illégale d’OGM (avec les % par rapport au nombre de cas total)

En termes d’explications quant à l’identité de ces pays les plus à l’origine de la présence illégale d’OGM, les chercheurs apportent peu d’explications. Ils notent simplement pour la Chine et les États-Unis, qui occupent le haut du tableau, que le nombre élevé d’alertes pour des OGM en provenance de ces pays peut être dû à « des différences entre les normes réglementaires » de ces pays avec celles de l’Union européenne. Une autre raison avancée est « la rigueur des mécanismes d’application de l’UE ». Pour les États-Unis par exemple, l’Union européenne a mis en place en 2006 des mesures pour faire face à une contamination par du riz LL601 détecté alors que non autorisé en Europe et cultivé à titre expérimental aux États-Unis. Pour les chercheurs, ces mesures « imposaient de retester tous les lots de produits importés des États-Unis », expliquant un plus grand nombre d’alertes pour ce pays que pour d’autres. Il en fut de même avec des mesures prises à partir de 2008 pour les produits à base de riz importés de Chine du fait des contaminations détectées par des riz OGM d’un autre type que le LL601.

Les pays européens qui alertent le plus

Une dernière information détaillée par les chercheurs concerne les pays européens ayant fait remonter des cas d’alertes dans le RASFF. Selon ce détail, cinq pays ont effectué près de 60 % des alertes enregistrées dans le RASFF, que ce soit pour l’alimentation humaine ou l’alimentation animale (cf. tableau 3).

Pour la filière de l’alimentation humaine, l’Allemagne est à l’origine de 28 % des alertes effectuées. Elle est suivie par l’Autriche (9,5%), le Royaume-Uni (9,4%), la France (6,9%) et les Pays-Bas (6,5%). Pour la filière de l’alimentation animale, on trouve à nouveau l’Allemagne (19,5%), puis l’Espagne (13,6%), la Belgique (11,6%), l’Italie (8,7%) et Chypre (5,8%).

Les chercheurs détaillent que le nombre d’alertes effectués par ces pays s’expliquent par deux facteurs. Le premier est bien évidemment le volume d’importations opéré par ces pays. Le second est « l’efficacité de leur système national de surveillance alimentaire ». La place de l’Allemagne en tête du nombre d’alertes effectuées est ainsi expliqué par un « cadre réglementaire rigoureux et son système de gestion proactif » et des volumes d’importations élevés.

Alimentation humaineAlimentation animale
Allemagne27,49 %Allemagne19,42 %
Autriche9,53 %Espagne13,59 %
Royaume-Uni9,39 %Belgique11,65 %
France6,91 %Italie8,74 %
Pays-Bas6,49 %Chypre5,83 %
Tableau 3 : Les cinq pays les plus « alertant » (avec les % par rapport au nombre de cas total)

Qu’il s’agisse des produits détectés, des pays à l’origine des présences illégales ou des pays à l’origine des alertes, la leçon de ce travail d’analyse est la même. Plus les contrôles sont effectués, plus ils sont rigoureux, plus le nombre de détection de cas augmente. Le nombre total de 827 alertes de produits illégalement présents dans la chaîne agroalimentaire européenne est donc un nombre minimum et non un nombre exhaustif du nombre de cas réels. La conclusion des chercheurs souligne d’ailleurs que « ces résultats renforcent la nécessité d’actions d’encadrement pour prévenir l’entrée d’OGM non autorisés sur le marché ». Ils mettent également en évidence la nécessité de « renforcer la traçabilité et l’étiquetage ainsi que la coopération internationale » pour assurer « un encadrement des OGM dans l’alimentation humaine et animale robuste, transparent et basé sur des preuves ».

Dans ces conditions, et alors que la Commission européenne fait face à une réticence du Conseil de l’Union européenne sur sa proposition de déréglementer un grand nombre d’OGM, s’intéresser à un bilan des présences illégales d’OGM en Europe permet d’éclairer ce débat d’une autre lumière. La proposition de la Commission européenne repose en effet sur une grande confiance dans les entreprises produisant des OGM, les autorités publiques se voyant privées de (presque) tout moyen de contrôle, alors que l’obligation de gérer la coexistence reste dans leurs obligations. Les producteurs d’OGM maîtrisent-ils pourtant réellement leurs produits ? Ces cas de présence illégale recensés montrent en tout cas que tel n’est pas le cas.

i F. Eissa et al., « Analysis of EU RASFF notifications on genetically modified food and feed from 2002 to 2023 », Journal of Food Composition and Analysis, 2024.

ii https://webgate.ec.europa.eu/rasff-window/screen/search

iii Inf’OGM n’a pas pu détailler certains cas à titre d’exemples, le site du RASFF ne faisant pour l’instant remonter que des alertes postérieures à 2020. Interrogée par Inf’OGM, la Commission ne nous a pas encore répondu à la date de publication de cet article quant à savoir pourquoi les cas des années 2000, voire avant, ne sont pas fournis en ligne.

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