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UE – OGM : les données brutes des entreprises sont partiellement publiques
C’est une des questions du débat autour de l’étude de G.-E. Séralini : les données brutes des analyses effectuées par les entreprises pour les dossiers d’autorisation sont-elles publiques ? Dans une interview publiée par Le Figaro le 14 novembre 2012 [1], la directrice de l’AESA, Mme Geslain-Lanéelle expliquait : « Nous ne cachons rien. Depuis plusieurs années, la procédure européenne nous oblige à mettre à la disposition du public tous les éléments que nous utilisons pour rendre nos avis, y compris les échanges de mails et de courriers. Dans le cas des OGM, seule la séquence génétique est couverte par le secret industriel, le reste est en accès libre ! ». Inf’OGM a donc tenté de confirmer la procédure et les conditions d’accès à « tous les éléments » utilisés par l’AESA pour rendre ses avis.
Créée en 2002 par l’article 41 du règlement 178/2002 [2], l’AESA est soumise notamment à l’article 15 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui stipule que tout citoyen de l’Union européenne (UE) a un droit d’accès aux documents des institutions, organes, organismes et agences de l’UE. « Les conditions de mise en place de ce principe ont été définies par le règlement (CE) n°1049/2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145 du 31.5.2001, p. 43–48) » nous explique l’AESA. En clair, « tout citoyen de l’UE, toute personne physique ou morale, peut soumettre une demande d’accès à des documents détenus par l’AESA ».
Quels documents peuvent être demandés ?
Selon l’AESA, « il s’agit du dossier de demande d’autorisation lui-même » dans sa version publique. Le contenu de la version publique est le fruit de discussion entre la Commission européenne et le pétitionnaire, comme le stipule l’article 30 du règlement 1829/2003. L’AESA n’intervient donc pas à ce niveau. Elle nous précise que les données non publiques concernent surtout les informations protégées par un brevet, à savoir la séquence génétique. Pour ce qui est des données concernant les risques liés à l’utilisation d’une PGM, elles ne sont jamais confidentielles. Ce qu’il faut retenir ici est donc que la Commission européenne et l’entreprise décident de ce qui est public et ce qui ne l’est pas. Ainsi, à l’exception de la séquence génétique, un citoyen peut donc demander les informations contenues dans les dossiers de demande d’autorisation, telles que la directive 2001/18/EC et son annexe III les détaillent. Ces informations concernent, entre autres, une description de l’OGM (méthode de transformation, caractérisation moléculaire, les nouvelles caractéristiques…), les résultats d’analyse comparative de composition, les résultats d’analyses d’impacts sanitaires sur animaux (toxicité, allergénicité), l’évaluation des risques environnementaux… Si la réponse de l’AESA à Inf’OGM ne précise pas l’accès aux « échanges de mails et de courriers » dont C. Geslain-Lanéelle parle dans son interview, le règlement 1049/2001 s’applique effectivement« à tous les documents détenus par une institution, c’est-à-dire établis ou reçus par elle et en sa possession, dans tous les domaines d’activité de l’Union européenne ».
En conséquence, tout citoyen peut demander à l’AESA de recevoir un dossier de demande d’autorisation complet (avec les données brutes des expériences !) et les échanges par courriels ou courriers entre le pétitionnaire et l’AESA.
Comment avoir accès à ces documents ?
L’AESA nous affirme que « toute demande d’accès à des documents peut être adressée à l’AESA sous forme écrite, y compris par des moyens électroniques ou fax, dans l’une des langues officielles de l’UE et de façon suffisamment précise pour permettre à l’institution d’identifier le document concerné ». A réception de la demande par l’AESA, cette dernière dispose alors de « quinze jours ouvrables à compter de la soumission de la demande d’accès ». Ce délai peut être prolongé de 15 jours « lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient, comme par exemple lorsque la demande porte sur des documents très longs, ou sur un très grand nombre de documents, à condition que le demandeur en soit informé au préalable et qu’une motivation circonstanciée lui soit apportée ». L’envoi peut être fait par voie informatique ou voie postale. Détail important : « en général, l’AESA ne fait pas payer les envois de documents qui font suite à des demandes d’accès aux documents dans le cadre du règlement (CE) n° 1049/2001 » mais elle a la possibilité légale de mettre ce coût à la charge du demandeur en cas d’envoi en version papier.
Les limites de cette transparence
L’AESA, « qui est tenue comme tout autre organisme de respecter d’autres règlementations en vigueur dans le domaine du droit d’auteur » peut « dans certains cas, limiter le droit du destinataire de reproduire ou d’utiliser les documents divulgués ». Cette précision donne sens à la position défendue par le Criigen que soit mis en ligne l’ensemble de ces données. Finalement, outre les limites présentées plus loin, la différence apparaît donc clairement entre « mettre à la disposition du public » et « rendre publique » des données. Contacté par Inf’OGM, G.-E. Séralini nous confirme qu’il est important que soient rendues publiques les données complètes détenues par les agences d’évaluation. Ces données souhaitées par le scientifique français sont « les plus longues analyses de sang d’animaux nourris avec du maïs NK603 et les plus longues analyses de sang d’animaux ayant reçu du Roundup ». G.-E. Séralini insiste pour que les données ne soient pas seulement mise à disposition sur requête directe avec possible interdiction faite au demandeur de les rendre publiques mais réellement rendues publiques sur un site Internet par exemple. Car d’une part, ces données sont celles qui ont, de fait, permis aux experts d’évaluer les risques liés à ce maïs. Et d’autre part, la communauté scientifique a besoin d’un libre accès pour pouvoir travailler et publier des résultats. G.-E. Séralini insiste également sur le fait que son expérience portait sur le maïs NK603 et le Roundup. Sa demande de transparence concerne donc le dossier du maïs NK603 et le dossier du Roundup.
Par ailleurs, l’AESA précise que les documents ne sont rendus publics qu’en format pdf, un format qui oblige à ressaisir les données si l’on souhaite les réanalyser, avec la perte de temps et les erreurs possibles qui peuvent en découler. Paradoxalement, ce problème ne concerne pas que les citoyens mais également les experts des comités nationaux puisqu’en France, l’Anses avait confirmé à Inf’OGM par courrier du 4 août 2011, que « l’Agence a disposé […] des données de l’étude qui a été analysée dans ce rapport [ndlr : le rapport « Recommandations pour la mise en œuvre de l’analyse statistique des données issues des études de toxicité subchronique de 90 jours chez le rat dans le cadre des demandes d’autorisation de mise sur le marché d’OGM » qui abordait le cas du maïs MON810]. Celles-ci étaient disponibles sous format papier ».
Autre limite : les dossiers effectivement concernés par cette relative transparence. Si une telle obligation de mise à disposition existe depuis la création de l’AESA en 2002, elle s’applique donc de fait aux documents que l’AESA a en sa possession. C’est pourquoi l’association Greenpeace a dû faire un procès en Allemagne pour avoir accès au dossier du maïs MON863. Comme nous l’explique Christoph Then, alors chargé de campagne à Greenpeace : « la demande d’autorisation pour le maïs MON863 a été déposée avant que l’AESA ne soit créée. L’AESA nous avait donc répondu que les autorités allemandes [pays où la demande fut initialement déposée] était en possession des documents, non l’AESA. Et les autorités allemandes ont demandé à Monsanto si elles pouvaient diffuser ces données (la situation juridique étant encore floue à ce moment là). Monsanto refusa. Les autorités allemandes et Greenpeace ont donc fait un procès à Monsanto pour que les données soient diffusées ». Et le procès fut gagné ! Concernant le dossier du maïs NK603, l’AESA ayant dû rendre en 2003 un avis sur ce dossier, il est logiquement en sa possession et donc à disposition du public sur demande directe. Ce que va donc demander Inf’OGM, qui vous tiendra au courant de la réponse.
[1] « Pas de risque sanitaire avec les OGM autorisés en Europe », Le Figaro, 14 novembre 2012, http://sante.lefigaro.fr/actualite/…
[2] Ce règlement établit les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires.