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Porcs OGM : des saucisses au service d’une sélection hors-sol

Par Christophe NOISETTE

Publié le 14/06/2023, modifié le 01/12/2023

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Après six années de travail, une équipe de recherche de l’Université de l’État de Washington est parvenue à modifier génétiquement des porcs pour en faire des géniteurs de substitution. Autrement dit, des pères porteurs. Ces porcs obtenus en utilisant le système moléculaire CRISPR/Cas9 ont même été autorisés, à titre expérimental, à la consommation, et ce sans évaluation sanitaire préalable. Quels intérêts, cachés ou affichés, nourrie réellement cette innovation ?

Une équipe de recherche de l’Université de l’État de Washington (WSU) dirigée par Jon Oatley, docteur en médecine [1], a modifié génétiquement des porcs, en utilisant le système moléculaire CRISPR/Cas9. Le but : supprimer le gène NANOS2, ce qui rend ces animaux mâle stériles [2]. Ils ne produisent pas de spermatozoïde. Mais ensuite, les chercheurs ont transplanté dans leurs testicules des cellules souches qui donneront des spermatozoïdes, provenant d’animaux donneurs. Ces porcs OGM ont alors commencé à produire du sperme d’un autre porc. Ils étendent ainsi la notion de mères porteuses à des pères porteurs [3]. Le sperme produit par les géniteurs de substitution ne contenait que le matériel génétique des animaux donneurs. La même modification génétique a été réalisée sur des souris, des chèvres et des bovins. Ces porcs génétiquement modifiés sont destinés à devenir des géniteurs de substitution. Pour Guy Kastler, de la Confédération paysanne, « il s’agit d’une nouvelle étape du perfectionnement des techniques d’eugénisme génétique ». En effet, dans ce schéma de « sélection », le mâle n’est même plus un géniteur. Il devient le porteur de cellules fécondantes cultivées par millions qui lui ont été « inséminées » et issues du porc supérieur.

Les scientifiques affirment que CRISPR/Cas9 « est une technologie moderne et de pointe qui ne fonctionne qu’au sein de l’ADN d’une espèce » [4]. Ils soutiennent donc que l’« édition de gènes » (expression non fondée juridiquement et scientifiquement) est différente de la transgenèse. Nos lecteurs savent que cette technique requiert généralement une transgenèse préalable. Par ailleurs, reprenant les idées des partisans de la dérégulation des nouveaux OGM, Jon Oatley affirme que « l’édition de gènes » consiste à apporter au sein d’une espèce « des changements qui pourraient se produire naturellement ou par le biais de pratiques de reproduction traditionnelles ». Or, il s’agit ici d’une série de technique (dont la mise en culture in vitro de cellules isolées) dont la probabilité de se produire dans la nature est quasi nulle. La naturalité de ces nouvelles techniques de modification génétique est un mensonge que de nombreux chercheurs ont à plusieurs reprises démontré.

Palier les limites de la sélection et de l’insémination artificielle

Ce travail et la récente communication avaient trois buts. Le premier est de contourner les limites de la sélection des animaux domestiques et de l’insémination artificielle. En effet, un des problèmes des fécondations in vitro est que la cryoconservation permet de conserver puis d’utiliser les gamètes d’un taureau « élite » très longtemps après sa mort [5], mais elle ne fonctionne pas avec la plupart des autres races animales (ovins, porcs…). Comme le précisaient les mêmes chercheurs, « le sperme de porc ne survit pas bien à la congélation. Chez les chèvres, l’insémination artificielle est assez difficile et peut nécessiter une intervention chirurgicale » [6]. Cette manipulation génétique des porcs associée à la technique de père de substitution vient palier cette limite naturelle. Cette association de techniques permet de faciliter la diffusion d’une génétique très particulière et restreinte dans le secteur de l’élevage. Cela va donc, en parallèle, augmenter l’homogénéité des animaux et les droits de propriété industrielle.

Les arguments humanitaires à la rescousse

Le second but des chercheurs était de rendre visible que la FDA (Food and Drug Administration, Agence fédérale étasunienne des produits alimentaires et médicamenteux) est prête à autoriser à la commercialisation des viandes d’animaux OGM pour « améliorer la production alimentaire [qui] est une stratégie viable pour aider à nourrir la population croissante de la planète » [7]. Ainsi, Pour Irina Polejaeva, professeur à l’Université d’État de l’Utah, cette technique pourrait contribuer à améliorer la sécurité alimentaire dans les pays en développement, où les éleveurs doivent encore recourir à la sélection traditionnelle (plus ou moins assistée) pour améliorer leur cheptel. Le fameux argument de la fin de la faim dans le monde… « Cette technologie pourrait permettre une diffusion plus rapide des caractéristiques spécifiques des chèvres, qu’il s’agisse de la résistance aux maladies, d’une plus grande tolérance à la chaleur ou d’une meilleure qualité de viande », répond-elle à Science Daily [8]. Une caution « humanitaire » est toujours la bienvenue…

Mais pourquoi ne pas croiser des reproducteurs locaux ? A quels prix seront vendus ces géniteurs de substitution ou leur sperme ? Par qui ? Dans quelles conditions ? Alors que, depuis le Néolithique, la sélection massale pratiquée dans les élevages a apporté une grande diversité, une résilience aux cheptels, force est de reconnaître que l’arrivée des outils génétiques a plutôt eu tendance à restreindre cette diversité. Faut-il favoriser un marché international pour créer des races adaptées ou laisser les éleveurs gérer à leur guise leurs cheptels, dans le cadre du marché local et sur des petits troupeaux ?

Des porcs réellement sains à la consommation ?

Enfin, troisièmement, ils veulent aussi prouver que « l’alimentation faite à partir des animaux est sanitairement sûre » [9]. Pourtant, sans étiquette, il n’y a pas de lot témoin. Et sans lot témoin, il n’y a pas d’expérience (au sens scientifique). Donc il ne peut pas y avoir de conclusion ni d’affirmation. C’est la même histoire que pour les OGM vendus aux États-Unis depuis 1994.

En mai 2023, la FDA a autorisé, à titre expérimental, la consommation de viande issue de ces porcs génétiquement modifiés sans évaluation sanitaire préalable et sans exiger de comparer les mangeurs de ces saucisses avec des témoins [10]. La FDA nous précise que les « autorisations d’utilisation de denrées alimentaires à des fins expérimentales » (en anglais, IFUA) sont utiles aux développeurs car « elles permettent aux animaux (ou à leurs produits) adaptés à l’alimentation d’entrer dans l’approvisionnement alimentaire au lieu d’être gaspillés ». Cette problématique avait déjà été à l’œuvre avec les taureaux de Recombinetics que la vétérinaire voulait vendre comme boucherie plutôt que de payer pour les équarrir.

Cette demande d’autorisation expérimentale et le buzz qu’ils ont organisé visaient donc clairement à agir sur les mentalités et les institutions. En effet, les chercheurs ont organisé un barbecue avec des saucisses « fumées et légèrement salées » dont les boyaux « claquent bien… comme du porc normal », affirment-ils. Barbecue qui a été largement diffusé dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Après avoir montré les « avantages » de cette technique et que la FDA l’estimait sûre, les chercheurs insistent sur les difficultés actuelles pour les utiliser, du fait notamment des réglementations trop rigides et de la perception négative que le public a des modifications génétiques.

Ce n’est pas le premier animal génétiquement modifié autorisé à la commercialisation et à l’alimentation humaine. La FDA avait autorisé des saumons transgéniques [11] et, plus récemment, en 2020, un cochon transgénique, nommé GalSafe, de l’entreprise Revivicor [12]. Le saumon OGM n’a, lui, toujours pas été commercialisé à grande échelle. Quant au cochon GalSafe, aucune nouvelle d’une quelconque commercialisation depuis son autorisation. Mais là, il est question de valider une technique destinée à accélérer un processus de sélection de plus en plus éloigné de la pratique traditionnelle des éleveurs, au profit des vendeurs de spermes et des partisans de l’eugénisme.

[1Il est également doyen associé à la recherche du College of Veterinary Medicine et professeur titulaire à la School of Molecular Biosciences. Et M. Oatley est un membre actif de la Gene Editing in Agriculture Task Force, une collaboration de l’American Association of Veterinary Medical Colleges et de l’Association of Public and Land-grant Universities, créée en juin 2020.

[2Sara Zaske, « First university to put gene-edited livestock into human food supply », WSU News, 1er mai 2023.
Ce travail est le fruit de six années de collaboration entre des chercheurs de la WSU, de l’Utah State University, de l’Université du Maryland et de l’Institut Roslin (Université d’Édimbourg, Royaume-Uni).

[3L’expression utilisée par l’université est en anglais « surrogate sire », qui est l’exacte traduction de père porteur.

[5Seuls quatre taureaux sont ainsi les pères ou grand-pères de toutes les vaches Prim’Holstein françaises nées d’insémination artificielle, soit plus de 99 % d’entre elles, nous précise Guy Kastler.

[9La progéniture de ces OGM, géniteurs de substitution, n’a pas encore été examinée par la FDA en vue d’une éventuelle inclusion dans la chaîne alimentaire. Les chercheurs considèrent les descendants de ces cochons comme « non-OGM » alors que d’un point de vue juridique et scientifique ils sont bel et bien génétiquement modifiés. Mais cette affirmation erronée permettrait de ne pas les faire passer par les agences d’évaluation.

[10Cette autorisation à titre expérimental n’a pas été publiée sur le site de la FDA. La FDA a délivré une IFUA (Investigational Food Use Authorization) et non une NADA (New Animal Drug Application). « Les lettres de l’IFUA ne sont pas publiées car elles contiennent généralement des informations confidentielles », nous précise la FDA.

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