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OGM – Quand de l’ADN non désiré s’invite avec Crispr

Par Eric MEUNIER

Publié le 02/10/2019, modifié le 01/12/2023

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Des chercheurs japonais ont trouvé dans le génome de cellules de souris des séquences d’ADN de bactéries, de souris, de bovins ou encore de chèvres. Ces séquences se sont insérées alors qu’ils avaient utilisé Crispr pour couper le génome de ces cellules de souris. Cette observation s’ajoute aux autres effets non-intentionnels qu’Inf’OGM a renseignés et remet donc en cause les affirmations des entreprises qui clament que les mutations réalisées par Crispr, par exemple, ne sont pas différenciables de celles que la nature engendre.

Mettre en œuvre un protocole technique pour générer une ou des modifications génétiques désirées dans le génome d’un organisme vivant ne se fait pas sans effets non désirés [1] [2]. Des changements de bases de l’ADN (mutation) ou de leur état chimique (épimutation) peuvent par exemple se produire, dans la séquence ciblée comme ailleurs. Des insertions de séquences génétiques bactériennes également. Ces modifications non désirées appartiennent à la famille des effets non intentionnels. Une famille qui vient d’accueillir un nouveau membre avec la publication début 2019 d’un article de chercheurs japonais.

L’intégration d’ADN étranger inévitable ?

Ces derniers, travaillant à l’Institut national de sciences médicales au Japon, ont effectué une expérience qui visait à réaliser un protocole technique utilisant Crispr/Cas9 sur des cellules de souris. Ils souhaitaient simplement obtenir une coupure de l’ADN de ces cellules par le complexe Crispr/Cas9 puis observer ce qu’il s’était passé [3]. Pour cela, des étapes classiquement mises en œuvre pour les techniques de modification génétique utilisées dans le domaine végétal ou animal ont été suivies. Les chercheurs ont mis en culture in vitro des cellules de souris dans lesquelles ils ont introduit des ADN circulaires (appelé plasmides) qui avaient été produits par la bactérie Escherichia coli. Ces plasmides contenaient notamment des séquences d’ADN permettant aux cellules de produire un complexe Crispr/Cas9 fonctionnel. Ce complexe a coupé les deux brins de l’ADN de souris à un endroit du génome choisi par les chercheurs. Les chercheurs ont ensuite séquencé l’ADN situé à proximité de cette coupure. Dans leurs résultats, ils indiquent avoir observé dans plus de la moitié des cas, des insertions ou délétions d’un ou deux nucléotides (ces briques ou lettres qui composent l’ADN). Si les auteurs ne dissertent pas sur ces cas d’insertions ou délétions, il faut noter qu’il s’agit néanmoins d’une modification génétique en tant que telle, avec ou sans conséquence mais qui n’ont pas été étudiés dans le cas présent.

Ce qui a surtout retenu l’attention des chercheurs japonais concerne 4% des cas, ceux ayant eu des insertions de longues séquences génétiques de plus de trente-trois nucléotides.

59 % des insertions de longues séquences observées concernent des séquences des plasmides utilisés dans le protocole des chercheurs. Les chercheurs ont également observé l’insertion d’ADN en provenance du génome de souris lui-même dans 18 % des cas. Mais c’est dans les 23 % des cas de grandes insertions restantes que la nature des séquences insérées a étonné les chercheurs qui annoncent « deux nouvelles découvertes ». La première est que de l’ADN de la bactérie Escherichia coli a été retrouvé dans 21 % des cas. Retrouver l’ADN de cette bactérie dans les cellules de souris suggère, selon les chercheurs, que la préparation d’ADN circulaire était « contaminée par des fragments de génome d’E. coli utilisée pour produire les plasmides ». La seconde nouvelle découverte est que dans les 2 % se trouvent des cas d’insertion d’ADN de bovins ou de chèvres (0,24 % du total des grandes insertions) !

Les chercheurs font l’hypothèse que ces séquences bovines ou caprines proviennent du milieu utilisé pour mettre les cellules de souris en culture. Car, expliquent-ils, ce milieu contenait 10% de sérum de fœtus bovin ou caprin où se trouvaient donc des molécules d’ADN de ces animaux.

La suite d’un travail sur les modifications non intentionnelles comme les effets hors-cibles

Cette expérience fait suite à différentes observations et études qui renseignent depuis plusieurs années que les protocoles de modifications génétiques utilisant Crispr engendrent des effets non intentionnels et laissent donc des traces.

En 2013, déjà, deux articles scientifiques avaient renseigné l’existence de nombreuses coupures opérées par Crispr/Cas9 à d’autres endroits du génome que l’endroit « ciblé » [4] [5].

Deux années plus tard, un article montrait que dans les cellules de souris, une coupure opérée par Crispr/Cas9 pouvait conduire à l’insertion de séquences de souris non désirées [6] comme l’a reconfirmé leur récent article. Avec leur article publié début 2019, les chercheurs japonais ont donc ajouté à la liste des ADN pouvant s’insérer de manière non intentionnelle ceux de bactéries comme E. coli, de bovins ou encore de caprins.

Coupures à d’autres endroits que le point ciblé, insertion de séquences en plusieurs exemplaires, insertion de séquences génétiques bovines, caprines, bactériennes, apparition de mutations ou épimutations… : la liste des modifications non intentionnelles liées aux protocoles des nouvelles techniques n’en finit pas de s’allonger. D’autant que les résultats obtenus ici avec Crispr peuvent concerner d’autres nouvelles techniques de modification génétique utilisant des nucléases à doigt de zinc ou des TALENs comme vient de le montrer cet été la découverte d’ADN bactérien dans le génome des taureaux OGM de Recombinetics [7]. Les lobbies vont avoir de plus en plus de mal à convaincre les consommateurs et les responsables politiques que les produits obtenus sont strictement identiques à ce que la nature fait et qu’ils ne sont donc pas traçables [8]. Ces effets non intentionnels sont autant de cicatrices dues aux protocoles techniques, de signatures qui permettent de détecter ces produits dont la Cour de justice de l’UE a confirmé qu’ils étaient des OGM.

[3« Exosome-mediated horizontal gene transfer occurs in double-strand break repair during genome editing », R. Ono et al., Communications Biology, (2019) 2:57.

[4« ZFN, TALEN, and CRISPR/Cas- based methods for genome engineering », Gaj, T. et al., Trends Biotechnol. 31, 397–405 (2013)

[5« High-frequency off-target mutagenesis induced by CRISPR-Cas nucleases in human cells », Fu, Y. et al., Nat. Biotechnol. 31, 822–826 (2013)

[6« Double strand break repair by capture of retrotransposon sequences and reverse-transcribed spliced mRNA sequences in mouse zygotes », Ono, R. et al., Sci. Rep. 5, 12281 (2015).

[8Pour le dernier exemple en date, voir Christophe NOISETTE, « Nouveaux OGM : l’agro-industrie multiplie les mensonges », Inf’OGM, 16 septembre 2019

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