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OGM – Fini le : « c’est la faute de la Commission ? »

Par Charlotte KRINKE

Publié le 24/02/2017, modifié le 09/07/2024

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Le 14 février 2017, la Commission européenne a publié une proposition visant à réviser le règlement « comitologie ». Elle veut mettre les États membres face à leurs responsabilités et les contraindre à assumer leurs choix au lieu de se défausser sur elle. Comment ? En réduisant les probabilités d’absence d’avis lors des votes en comité d’appel sur des matières sensibles comme les OGM… Explications.

Les décisions dans des matières politiquement sensibles ne sont pas faciles à prendre ni à assumer. Il est fréquent que, face à leurs citoyens, les États membres de l’Union européenne tiennent un discours visant à rejeter sur cette dernière la responsabilité de telle ou telle décision – qu’ils ont pourtant soutenue au niveau de l’Union européenne – nourrissant ainsi le ressentiment des citoyens à son égard. Une situation similaire se produit en matière d’OGM. 

Le sujet des OGM est controversé et divise les États membres de l’Union. Ce désaccord se traduit au niveau du processus décisionnel par des votes dont l’issue est l’ « absence d’avis » et en fin de compte par l’adoption, par la Commission européenne, de la décision finale – l’autorisation la plupart du temps, même si elle peut aussi décider de ne pas autoriser. La Commission est en effet tenue d’adopter une décision lorsque, à l’issue du vote en comité d’appel (voir plus bas et ici), aucun avis pour ou contre ne s’est dégagé. La complexité du processus décisionnel est telle que la Commission apparaît alors comme l’unique autorité responsable des autorisations en matière d’autorisations d’OGM, alors même qu’elle agit, selon les textes, sous le contrôle des États membres. Cette situation est loin de plaire à la Commission européenne, qui se trouve en première ligne pour recevoir la critique des citoyens européens contre des décisions qu’ils ne soutiennent pas. A contrario, cette situation n’est pas toujours pour déplaire aux États membres, qui peuvent ainsi s’abriter derrière la Commission européenne pour se dédouaner de toute responsabilité dans la décision adoptée.

Pour éviter qu’elle n’ait à prendre la décision finale lorsque les États membres sont divisés, la Commission a initié des révisions visant à faciliter la prise de décisions. Ainsi, d’une part, elle a initié une révision de la procédure de comitologie en 2011 [1]. Cette révision est à l’origine de la création du comité d’appel, destiné à se réunir dans les cas où le premier vote, en comité [2], donne lieu à un avis négatif ou une absence d’avis. D’autre part, en matière d’OGM, la Commission avait espéré débloquer le dossier avec l’adoption de la directive opt-out en 2015, permettant aux États membres d’exiger que tout ou partie de son territoire soit exclu de la portée géographique de l’autorisation de culture d’un OGM [3]. Mais ni la révision des règles de comitologie, ni l’adoption de la directive opt-out n’ont eu l’effet escompté : le dossier controversé des OGM continue de diviser les États et de générer des blocages au niveau du processus décisionnel. Et en attendant, il appartient toujours à la Commission de prendre la décision finale.

Lasse de devoir assumer la responsabilité de telles décisions quand les États membres sont incapables de se mettre d’accord, la Commission européenne a proposé le 14 février une révision du règlement « comitologie » dans le but de réduire les cas d’absence d’avis lors des votes en comité d’appel. Les modifications proposées démontrent clairement la volonté de la Commission européenne de faire assumer aux États membres leurs responsabilités dans les votes touchant à des matières sensibles comme les OGM et d’éviter qu’ils ne s’abritent derrière elle pour se défausser.

Afin d’éviter qu’aucun avis ne soit émis au sein du Comité d’appel – et que donc la décision finale revienne à la Commission – quatre modifications au règlement « comitologie » sont proposées par l’exécutif de l’Union européenne. Ces modifications empruntent trois axes :

 le renvoi du dossier au niveau ministériel ;

 la publicité des votes ;

 la mise à l’écart des États membres ne prenant pas part au vote.

Le renvoi du dossier au niveau ministériel

Lorsque la Commission adopte une décision dans le cadre de la procédure de comitologie, elle agit sous le contrôle des États membres. Ce contrôle s’explique par le fondement même du recours à la procédure de comitologie : l’exécution des actes est une compétence qui relève en principe des États membres. Via la procédure de comitologie, les États membres s’assurent que la Commission n’adopte pas une décision qui va à l’encontre de la position qu’ils ont exprimée.

Or comme nous l’évoquions plus haut, en matière d’OGM notamment, il est fréquent qu’aucune position claire ne se dégage sur un projet de décision lors du vote en comité d’appel. La Commission est pourtant tenue d’adopter une décision : celle d’entériner ou non le projet de décision qu’elle a soumis aux États membres (depuis la révision des règles de comitologie en 2011, la Commission est en effet libre d’adopter ou non le projet de décision, alors qu’avant cette révision, elle était toujours tenue de l’adopter). Quelle décision doit-elle alors adopter ?

Ces éléments sont fondamentaux pour pouvoir comprendre deux modifications que souhaite apporter la Commission européenne au règlement « comitologie ». Toutes deux visent à élever le débat au niveau ministériel afin de susciter une opinion claire des États membres quand aucun avis n’a émergé lors du vote en comité d’appel.

La première modification proposée consiste à prévoir la possibilité d’un renvoi supplémentaire au comité d’appel, la différence étant que le comité d’appel de renvoi serait composé de représentants des États membres au niveau ministériel (et non plus au niveau des représentants permanents).

La seconde modification prévoit quant à elle la possibilité pour la Commission européenne, de saisir formellement le Conseil – réunissant les ministres des États membres – pour obtenir un avis non contraignant sur l’orientation politique du Conseil sur les implications (institutionnelles, juridiques, politiques et internationales notamment) de cette absence d’avis.

Il est clair que la Commission tente par ces modifications d’obtenir des États membres une position claire sur un sujet qui les divise. Mais, s’agissant de la première modification proposée, les représentants permanents ne font qu’agir sur mandat du Conseil. Il est donc loin d’être certain que l’issue du vote soit différent lorsque le comité d’appel statue au niveau ministériel. Quant à la seconde proposition, si les États sont déjà divisés lors du vote en comité d’appel, comment croire qu’ils pourront émettre un avis clair sur les conséquences de l’issue du vote censé donner des directives à la Commission dans son obligation de prendre une décision ?

En réalité, il semblerait que ces modifications soient avant tout conçues comme des outils permettant de rappeler les États membres à leur responsabilité plutôt que des véritables mesures facilitant la prise de décision. Le même sentiment émerge à la lecture d’une autre modification proposée par la Commission européenne visant à introduire plus de transparence dans le résultat du vote.

La transparence comme moyen de pression

La confidentialité des votes individuels des États membres masque la responsabilité de chacun d’entre eux dans l’issue du vote. Pour les organisations de la société civile et les citoyens, cette opacité rend particulièrement difficile de connaître la position de leur gouvernement en matière d’OGM au niveau de l’Union européenne. Elle peut même faire naître un doute sur l’écart entre le discours national et l’action au niveau européen.

La Commission européenne souhaite mettre fin à cette opacité en proposant que soit rendu public le vote individuel des États membres, et non plus seulement le résultat du vote total comme c’est le cas actuellement. La transparence devient ainsi un outil pour contraindre les États membres à assumer publiquement leur position en matière d’OGM à l’occasion des votes. Mais va-t-elle pour autant modifier leurs habitudes de vote ?

Par ailleurs, la Commission européenne aurait pu aller plus encore loin que la publicité des seuls résultats des votes individuels des États membres en comité d’appel. Pourquoi réserver cette publicité au seul vote en comité d’appel ? Et pourquoi ne pas avoir prévu, comme le souhaitent plusieurs organisations de la société civile, que soient rendus publics les noms des représentants des États membres siégeant dans les comités et les comptes-rendus des débats qui s’y déroulent ?

La dernière proposition de modification du règlement « comitologie », plus radicale, pourrait à première vue avoir des conséquences plus importantes sur l’issue du vote.

La mise à l’écart des États membres abstentionnistes et non présents

La pression sur les États membres pour les contraindre à assumer leur position passe également par une proposition de révision des règles de vote. L’idée directrice est d’ignorer les États membres abstentionnistes ou non présents lors du vote en comité d’appel afin d’augmenter les chances qu’un avis clair soit émis, qu’il soit négatif ou positif.

Avec les règles actuelles, une majorité qualifiée doit se dégager pour qu’une décision soit adoptée. La majorité qualifiée est atteinte lorsque la majorité réunit 55% des États membres représentant 65% de la population de l’UE.

Compte tenu des divergences entre États membres, une majorité qualifiée n’est jamais atteinte lors des votes touchant aux OGM. Et il est fréquent que certains États membres s’abstiennent de voter. Ainsi par exemple, lors du vote (en comité) sur l’autorisation à la culture des maïs 1507 et Bt11 en janvier 2017, sept États s‘étaient abstenus.

La Commission considère que ces abstentions augmentent les probabilités d’absences d’avis et par conséquent les cas dans lesquels elle se voit dans l’obligation de prendre la décision finale à la place des États membres. Aussi, pour éviter que les États abstentionnistes empêchent l’émergence d’une majorité qualifiée en faveur ou contre un projet de décision, la Commission propose tout simplement de les ignorer : ils ne seront pas pris en compte dans le calcul de la majorité qualifiée. C’est uniquement sur la base des États membres qui ont pris part au vote qu’elle sera calculée. Pour assurer la représentativité du vote, la Commission propose d’assortir la hiérarchie entre « États participants » et « États non participants » de l’introduction d’un quorum. Il faudra qu’une majorité simple d’États membres participent au vote en comité d’appel pour que celui-ci soit valide.

La proposition d’ignorer les États membres ne prenant pas part au vote va-t-elle changer l’issue du vote en matière d’autorisations d’OGM ? Au regard des résultats des votes précédents, il peut paraître aisé de remplir la première condition de la majorité qualifiée (55 % des États membres votants). Remplir la seconde pourrait en revanche être plus difficile (représenter 65 % de la population) si des États au poids démographique important comme l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni, maintiennent leur habitude de voter en faveur de l’autorisation.

Prenons un exemple concret. Lors du dernier vote en comité (et non en comité d’appel – le vote n’ayant pas encore eu lieu) sur l’autorisation de culture des maïs GM 1507 et Bt11, sept États membres se sont abstenus. Le quorum était donc atteint. La première condition de la majorité qualifiée était remplie, puisque 13 États membres sur 21 se sont prononcés contre l’autorisation à la culture. Mais ces États ne représentaient que 43,17 % de la population des 21 États, donc bien loin des 65 % requis. Dans ce cas, la modification de la règle de vote n’aurait pas permis de faire émerger une majorité qualifiée pour ou contre le projet de décision, et la Commission européenne aurait été, comme avant, dans l’obligation de prendre la décision finale quand bien même aucune position claire des États ne s’était dégagée.

Et il n’est pas certain que l’effet combiné des quatre modifications proposées par la Commission permette d’aboutir à un résultat différent.

Il est clair que la stratégie consistant à ignorer les États abstentionnistes ou non présents pour le calcul de la majorité qualifiée vise à les contraindre à se prononcer clairement pour ou contre un projet de décision. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Une modification plus aisée et peut-être plus efficace n’aurait-elle pas été de prévoir que, pour les décisions mettant en jeu la santé ou la sécurité des êtres humains, des animaux ou des plantes, la Commission soit tenue de ne pas adopter le projet de décision s’il n’y a pas de majorité qualifiée en leur faveur ?

Dans une lettre ouverte au Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, plusieurs organisations de la société civile proposaient ainsi que, pour les projets de décision autorisant un produit ou procédé soumis aux règles applicables à la législation alimentaire de l’UE, la Commission pourrait les adopter seulement si une majorité qualifiée en faveur du projet de décision s’est dégagée. À l’inverse, les projets de décision de ne pas autoriser ou de restreindre l’utilisation d’un produit ou procédé dans le but de protéger la santé publique et l’environnement, pourraient être adoptés même en l’absence de majorité qualifiée des États membres [4].

Selon la perspective et le résultat souhaité, les propositions de modifications ne sont manifestement pas les mêmes…

La modernisation des règles de comitologie figurait au programme de travail de la Commission européenne pour 2017 [5]. La proposition de la Commission va maintenant suivre le chemin de la procédure législative ordinaire. Le Parlement européen et le Conseil vont chacun devoir se prononcer sur le texte dès lors qu’il leur aura été transmis par la Commission européenne.

[1La procédure de comitologie permet aux États membres d’encadrer la Commission européenne lorsqu’elle met en œuvre un acte juridique. Cela s’explique par le fait que la compétence d’exécution relève en principe des États membres. Ces derniers sont dès lors représentés au sein de Comités (d’où l’appellation comitologie) qui sont appelés à se prononcer sur les projets de décision de la Commission européenne. Tous les domaines ne sont pas concernés par cette procédure. C’est seulement quand cela est explicitement prévu par les textes (règlement et directive) que cette procédure est utilisée. Voir, Inf’OGM, « Qu’est-ce que la procédure de comitologie ? Quel rôle dans le dossier OGM ? », Inf’OGM, 28 août 2014, Pauline VERRIERE, « UE – Nouvelle comitologie : le changement dans la continuité », Inf’OGM, 22 mars 2016 et Pauline VERRIERE, « OGM – Nouvelle comitologie à l’UE : on cherche le « plus » démocratique », Inf’OGM, 2 mars 2011.

[2Il s’agit du Comité Permanent de la Chaîne Alimentaire et de la Santé Animale pour le règlement 2003/1829 ou du Comité réglementaire pour la directive 2001/18/CE.

[4Open letter to Commission President Juncker, Improved EU decision-making in the area of health and consumer protection, 13 février 2017. Les organisations signataires sont : IFOAM EU Group, Friends of the Earth Europe, Greenpeace European Unit, Health & Environment Alliance et Pesticide Action Network Europe.

[5Commission européenne, 2017 Commission work programme.

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