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Novonesis, un nouveau géant danois promoteur de « biosolutions » ?
En janvier 2024, deux géants danois des micro-organismes ont fusionné et Novonesis est né. Cette entreprise vend des « biosolutions » pour tous les domaines industriels et agricoles. « Bio » pour biotechnologique… et non biologique, comme elle préfère le mettre en avant. Cette entreprise utilise en effet des micro-organismes, souvent génétiquement modifiés, pour leur faire produire des enzymes.
Un nouveau géant de l’agroalimentaire est né, en janvier 2024, au Danemark : Novonesis1, issu de la fusion des entreprises Novozymes2 et Chr. Hansen. Cette nouvelle entité disposera d’un chiffre d’affaire annuel estimé aujourd’hui à 3,7 milliards d’euros3. Son terrain de jeu commercial ? Des produits promus comme « biosolutions »… avec pour devise « le temps des solutions biologiques, c’est maintenant ».
Quand les microoganismes deviennent des « biosolutions »
Par « biosolutions », Novonesis désigne l’utilisation de micro-organismes pour la production de diverses molécules. La biosolution est donc vendue comme une alternative à la chimie synthétique. Bio, tout simplement parce que cette « chimie » utilise des organismes vivants pour produire les molécules que la chime synthétique construisait de toute pièce.
Dans une courte vidéo, Novonesis explique que « des minuscules et puissants micro-organismes sont omniprésents et transforment notre monde grâce à leurs enzymes ». Novonesis entend les étudier, les « améliorer », via notamment des modifications génétiques, pour utiliser « le potentiel de ces transformateurs microscopiques ». Grâce à eux, l’entreprise prétend résoudre les problèmes du quotidien et, au-delà, « transformer la façon dont nous produisons et consommons ».
Plusieurs « biosolutions » sont alors mises en exergue. Novonesis affirme que 80% des yaourts gaspillés le sont du fait d’une trop courte durée de conservation. Pour augmenter de sept jours cette durée, l’entreprise a découvert « la capacité des bonnes bactéries à absorber un nutriment spécifique du lait fermenté dont les levures et les moisissures ont besoin pour se développer. […] En réduisant les niveaux de manganèse dans le produit alimentaire, les bonnes bactéries retardent efficacement l’altération et contribuent ainsi à améliorer la qualité et la durée de conservation »4.
De même, Novonesis prétend augmenter la durabilité des vêtements en utilisant les enzymes produites par une bactérie qui vit à la surface des algues. Cette enzyme, fabriquée dans leur laboratoire, est alors intégrée à des détergents… pour qu’elle détruise « la couche collante et odorante de nos vêtements ». La liste de tous ce que les micro-organismes peuvent produire dans des fermenteurs est très longue.
Si le mode de production de la chimie synthétique et celui des micro-organismes GM (MGM) sont différents, la finalité est la même : fabriquer des médicaments (prébiotiques, probiotiques), des engrais, des pesticides, des additifs alimentaires (vitamines, enzymes), des agrocarburants (qu’ils nomment « biocarburants » ou « biodiesel ») et de très nombreux produits industriels, tels que des solvants, des lessives, des « bioplastiques », etc. En agriculture, les « biosolutions » sont principalement de deux ordres : le « contrôle » des organismes pathogènes, nommé biocontrôle (dont les biopesticides, cf. notre article sur MicroPep) et les stimulants (dont les « biofertilisants »).
Les biosolutions sont-elles des préparations naturelles peu préoccupantes ?
Le souci est que ces mots sont des fourre-tout… Or, dans le domaine des « biosolutions », il y a deux voies tout à fait différentes. Nous avons, d’un côté, les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP), libres de droit, reproductibles à la ferme (purin d’orties, de consoudes, etc.) et, de l’autre, les molécules mises au point par l’industrie, brevetées et dont les recettes sont précieusement gardées. Le syndicat des entreprises de la filière biostimulant (Afaïa), dont l’actuel délégué général est un ancien sélectionneur de Monsanto, souligne que « pour les fertilisants élaborés à partir de substances naturelles […], il faut simplifier ces procédures […] pour ouvrir l’accès plus facilement aux produits innovants ».
Ce syndicat défend-il des positions proches de celles de l’Aspro-PNPP, qui se bat pour la reconnaissance des PNPP ? Aucunement. L’Afaïa regrette la confusion entre biostimulant et PNPP et, contrairement à l’Aspro-PNPP, revendique que les biostimulants puissent être des micro-organismes, des substances naturelles ou d’origine naturelle (acides humiques, acides aminés, extraits d’algues ou de plantes) ou des substances de synthèse. L’Aspro-PNPP et la Confédération paysanne ont réussi à obtenir une législation spécifique pour les PNPP. Les PNPP « sont une catégorie de produits de protection des plantes dont le statut n’a cessé d’évoluer depuis leur création et […] définies par l’article L.253-1 du code rural, modifié par l’article 50 de la loi d’avenir pour l’agriculture »5.
Les PNPP sont composées de deux catégories. Premièrement les substances de base, c’est-à-dire des substances non initialement élaborées pour être utilisées en protection des plantes mais qui peuvent avoir un intérêt pour celle-ci (denrées alimentaires…) qui sont sans impact négatif sur la santé humaine ou l’environnement. Ces substances sont une catégorie de produits de protection des plantes distinctes des produits phytosanitaires. Deuxièmement, les substances naturelles à usage biostimulant ou SNUB (matières fertilisantes) : à l’heure actuelle, la liste inclus uniquement les plantes médicinales vendues librement, telles que l’ortie. L’Afaïa s’est battu et continu de se battre contre des réglementations séparées et préfère tout mettre ans le même sac, afin d’organiser consciemment la confusion. D’ailleurs, l’Afaïa affirme que ce qui est reproductible à la ferme, ce qui est « issu de techniques empiriques ancestrales et [les préparations qui] sont obtenues par un procédé accessible à tous » est une distorsion de concurrence face à ce qui est « issu d’une fabrication industrielle et contrôlée, non reproductible pour un particulier ». L’usage des PNPP implique une évolution vers l’agroécologie, alors que le « biocontrôle industriel » permet de ne pas changer de mode de production et de garder le modèle agricole actuel.
Cette dichotomie se retrouve depuis le début de la biotechnologie moderne qui, pour assoir son autorité et sa légitimité, fait l’amalgame avec les « biotechnologies ancestrales »… mais affirme que la différence est dans la maîtrise du vivant, dans sa compréhension et aussi sa pureté. Explication : l’humain a mis au point de nombreuses pratiques culinaires basées sur la fermentation. La bière, le vin, le pain, le fromage, les yaourts, le kéfir, le komboutcha, le tempeh, etc. sont des aliments issus de la transformation d’ingrédients par des micro-organismes (levures, bactéries, etc.). Les entreprises telles Novonesis, en parlant de biotechnologies modernes et de biosolutions, veulent s’inscrire dans la lignée de ces techniques ancestrales. Ils utilisent en effet les propriétés du vivant pour produire des molécules et des enzymes. Mais il y a entre ces deux pratiques une rupture épistémologique claire : dans un cas on utilise l’entièreté de l’organisme vivant, dans l’autre, on isole les agents actifs et on travaille en milieu artificiel.
Des liens entre les entreprises de la chimie, du pétrole et des micro-organismes
Chez les concurrents, on retrouve aussi de tels liens. Ainsi, Mike Herr est à la fois directeur chez EOG Ressources et chez Kerry Group, une multinationale irlandaise de l’agro-alimentaire (produits laitiers, exhausteur de goût, additif alimentaire, etc.), dont la filiale Kerry Bioscience développe des MGM et qui a récupéré la partie « lactase » de Novozyme et Chr. Hansen. (voir le second encadré). Or, EOG Ressources est spécialisé dans l’exploration et la production de gaz naturel et de pétrole brut.
Des biosolutions OGM bientôt déréglementées ?
Les biosolutions peuvent être issues de micro-organismes génétiquement modifiés. Comme elles sont présentées comme permettant de réduire les pesticides de synthèses, les émissions de gaz à effet de serre, d’améliorer les rendements… Il est logique que ces biosolutions soient encouragées. Or, pour ces entreprises, la réglementation actuelle sur les OGM est un frein aux développements de biosolutions durables.
La fusion de deux entreprises danoises leader dans le domaine des micro-organismes est loin d’être anodine dans le contexte actuel de tentative de déréglementation des OGM. En effet, Novozymes ou Chr. Hansen ont développé depuis plusieurs années des MGM. Dès 2022, certaines entreprises ont demandé que la déréglementation envisagée pour les plantes OGM/NTG soit également déclinée pour les micro-organismes. Des lettres rédigées par plusieurs lobbies, tels EuropaBio, l’Association des fabricants et formulateurs de produits enzymatiques (Amfep) ou encore l’Association européenne des producteurs et livreurs d’ingrédients et leurs mélanges en nutrition animale (Fefana) et, plus récemment, Euroseeds stipulent que « les connaissances sur les micro-organismes [soient] reconnues et prises en considération lorsque des actions politiques pour les plantes obtenues par des NTG sont développées ».
Or, Novozymes et DSM-Firmenic sont des entreprises actives dans ces organisation de lobbying, puisque membres d’EuropaBio, de Fefana et de l’Amfep. De même, les entreprises Chr. Hansen et Kerry Group sont membres de Fefana et l’Amfep.
Dès 2020, dans un article publié dans le journal danois Altinget6, plusieurs responsables de Novozymes plaidaient explicitement pour une déréglementation de tous les OGM. « La réglementation actuelle sur les OGM dans l’UE est un frein au progrès », écrit le PDG et directeur de la recherche de Novozymes. « Le défi dans l’UE est une réglementation sur les OGM basée sur la logique d’une époque où les percées techniques étaient espacées de plusieurs années », ajoute le vice-président exécutif et directeur de la recherche de Novozymes.
Ces responsables remercient alors le gouvernement danois qui, précisent-ils, « souhaite prendre la tête de la transition verte. C’est une bonne chose pour le rôle international du Danemark, pour la croissance par l’emploi et les exportations, tout en réduisant l’impact sur la nature et les ressources ». Pour eux, les OGM, et en particulier les MGM, sont d’excellents outils pour un monde décarboné, durable et écologique. Or, la réglementation actuelle empêche ces entreprises d’offrir des « solutions durables » car, martèlent-ils, « les défis majeurs en matière d’agriculture, d’alimentation, de consommation des ressources, de pollution et d’émissions de CO2 ne peuvent être résolus qu’à l’aide de nouvelles technologies ». Et de continuer : Crispr et les « techniques d’édition du génome », utiliser dans les micro-organismes, nous permettent « d’optimiser les conditions de culture, de réduire le stress, d’éliminer progressivement les produits chimiques et de promouvoir la santé ».
La Commission européenne accepte la fusion dans sa quasi intégralité
Cette nouvelle entité économique, Novonesis, a franchi les fourches caudines de la DG Concurrence de l’Union européenne en 2023. La seule chose que la Commission européenne a noté était la concentration dans la production de la lactase. Elle écrit dans son avis publié en décembre 2023 : « L’enquête de la Commission a montré que l’opération de concentration, telle qu’elle avait été initialement notifiée, aurait réduit la concurrence sur le marché de la fabrication d’une enzyme spécifique, la lactase, à l’aide de la technologie de la modification génétique. […] La Commission a également constaté qu’après la concentration, il n’y aurait pas suffisamment de concurrents potentiels pour exercer une pression concurrentielle suffisante sur l’entité issue de la concentration ». Ainsi, pour résoudre les problèmes de concurrence soulevés par la Commission, les parties ont proposé de céder leurs activités :
La filière « lactase » a été vendue à Kerry Biosience, une filiale de Kerry Group. Or, parmi les entreprises présentes sur le marché de la lactase, on trouve DSM (devenu récemment DSM-Firmenich). Et Novozymes a établi « une alliance économique » en 2021. Quant au reste, notamment la Recherche & Développement, la Commission écrit : « Après un examen approfondi et d’étalonnage, la Commission a établi que les concurrents de l’entité fusionnée ont une capacité équivalente d’investir dans la R&D et que les parties ne disposent pas de capacités de R&D spécifiques auxquelles leurs rivaux ne pourraient pas accéder autrement ».
Un discours entendu en boucle depuis l’arrêt de la CJUE, en juillet 2018, lorsqu’elle a affirmé que les OGM issus de techniques sans historique d’utilisation sans risque devaient être réglementés selon les principes de la directive 2001/18. Et qui cherche à préparer les esprits à un élargissement possible de la déréglementation des végétaux OGM aux micro-organismes comme l’a déjà formulé le Parlement européen le 7 février 2024. Un projet qui pourrait se concrétiser lorsque le Danemark prendra la Présidence de l’UE le 1er juillet 2025…
- Ce nom est composé de novo (nouveau) et nesis (naissance). ↩︎
- Novozymes fait déjà parti d’un groupe économique, la Novo-family, qui comprend Novo Nordisk (medecine) et la Fondation Novo Nordisk. Novonesis entre donc dans ce groupe de facto. ↩︎
- Flora Southey, « Novonesis: Chr Hansen and Novozymes merge to form €3.7bn ‘biosolutions’ major », Food Navigator Europe, 2 février 2024. ↩︎
- Novonesis, « The battle on food waste: Good vs bad microbes », 12 mars 2024. ↩︎
- Ecophyto-pro, « Les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP) : statut et approbation », octobre 2023. ↩︎
- Thomas Videbæk et Claus Crone Fuglsang, « Novozymes: Regulering af GMO er baseret på forældet logik », Altinget, 12 juin 2020. ↩︎