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Nouveaux OGM : la Commission a consulté les acteurs européens
La Commission européenne doit finaliser une étude sur les nouvelles techniques de transformation du vivant en avril 2021. L’enjeu : faudra-t-il appliquer strictement la directive 2001/18 sur la dissémination des OGM, ou bien la renégocier ? La période de consultation des organisations européennes s’est achevée, elle, le 15 mai. Premier bilan provisoire sur la manière dont ces acteurs ont été consultés.
Le 8 novembre 2019, le Conseil européen [1] demandait à la Commission une étude sur « le statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit de l’Union », et éventuellement une proposition, à la lumière de l’arrêt de la Cour de justice (CJUE) sur les nouvelles techniques de mutagénèse [2].
Une directive sous tension
Les motivations de cette étude sont exposées dans les considérants de cette décision. Le Conseil rappelle tout d’abord que la définition d’un OGM figure dans la directive 2001/18 [3], avec une précision sur son champ d’application grâce à des « listes de techniques (…) établies à la lumière des techniques de sélection [4] disponibles et utilisées à l’époque de l’adoption de la directive 2001/18/CE ». On sent déjà poindre, aux yeux du Conseil, une interrogation sur l’éventuel caractère « obsolète » de cette liste… Car il souligne aussi que « depuis lors, des progrès substantiels dans la mise au point de nouvelles techniques de sélection ont été réalisés, créant des incertitudes quant à savoir si ces nouvelles techniques de sélection relèvent ou non de la définition d’un OGM… ».
Le Conseil résume aussi l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui « a dit pour droit que les nouvelles techniques de mutagénèse relèvent du champ d’application de cette directive et sont soumises aux obligations qu’elle prévoit ».
Si le Conseil se félicite que « l’arrêt [ait] apporté de la clarté sur le statut des nouvelles techniques de mutagénèse », c’est pour préciser aussitôt qu’il a « également soulevé des questions pratiques [comme] de savoir comment assurer la conformité avec la directive 2001/18/CE lorsque les méthodes actuelles ne permettent pas de distinguer les produits obtenus à partir de nouvelles techniques de mutagénèse de ceux nés d’une mutation naturelle et comment assurer, dans pareille situation, l’égalité de traitement entre les produits importés et les produits originaires de l’Union ».
Sur ce considérant, on ne peut que s’étonner d’une telle affirmation : en effet, distinguer des produits obtenus « à partir de nouvelles techniques de mutagénèse de ceux nés d’une mutation naturelle » demande certes de disposer de nouvelles méthodes différentes de celles qui sont utilisées pour distinguer les OGM transgéniques, mais est un exercice totalement réalisable : Inf’OGM s’en est fait l’écho à maintes reprises, dès juin 2017 [5] [6] [7]. Il a par contre manqué jusque-là d’une volonté politique pour mettre au point des outils totalement fiables et harmonisés au niveau européen, comme l’avait déjà décrypté Inf’OGM [8].
En toute logique, devant tant d’incertitudes, le Conseil invite tout d’abord « la Commission à soumettre, pour le 30 avril 2021 au plus tard, une étude à la lumière de l’arrêt de la Cour de justice » ; mais aussi « à soumettre une proposition, le cas échéant pour tenir compte des résultats de l’étude, ou à l’informer des autres mesures nécessaires pour donner suite à l’étude » [9]. L’enjeu est fort : réviser ou non la directive 2001/18 qui encadre la dissémination des OGM, et répondre ou non aux demandes de l’industrie d’exempter les nouveaux OGM de son champ d’application. À noter que dans une des dernières versions qu’Inf’OGM s’est procurée de sa stratégie De la ferme à la table qui sera publiée le 20 mai, la Commission interprète très largement son mandat sur cette étude. En effet, dans le paragraphe sur les « nouvelles techniques génomiques » (une nouvelle expression pour désigner les nouveaux OGM), la Commission précise : « Les nouvelles techniques innovantes, y compris la biotechnologie, peuvent jouer un rôle dans l’accroissement de la durabilité à condition qu’elles soient sûres pour les consommateurs et l’environnement tout en apportant des avantages à la société dans son ensemble. La Commission mène actuellement une étude pour évaluer le potentiel des nouvelles techniques génomiques à améliorer la durabilité tout au long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire » [10]. Pour Testbiotech, « le Conseil n’a jamais demandé à la Commission d’évaluer le « potentiel des NGT pour améliorer la durabilité », mais seulement de clarifier quelques questions pratiques concernant la traçabilité ».
Consulter les acteurs européens via un questionnaire concerté
Pour mener à bien cette étude, la Commission va s’appuyer sur plusieurs sources [11].
Tout d’abord, une consultation des États membres (ils devaient répondre à un questionnaire avant le 30 avril 2020) ; mais aussi du réseau européen de laboratoires de référence et du rapport – biaisé, comme Inf’OGM l’avait rapporté – que ce réseau a rédigé [12] [13]. La Commission s’appuiera aussi sur le travail de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) [14] et du Centre commun de Recherche (Joint Research Centre, JRC), ainsi que sur des travaux en cours du Groupe européen d’éthique sur les sciences et les nouvelles technologies (EGE) [15] [16].
D’autre part, la Commission consulte des organisations au niveau européen « qui pourraient être directement ou indirectement touchées et/ou avoir un intérêt potentiel dans les nouvelles techniques de génomique » : on y retrouve au final 107 organisations européennes, qui vont depuis des associations environnementalistes (telles Amis de la Terre Europe, Greenpeace…), jusqu’aux représentants des entreprises de biotechnologie (comme EuropaBio), en passant par des associations de producteurs ou de consommateurs [17].
Ces 107 organisations n’étaient au départ que 94, sélectionnées par la Commission. Nature et Progrès Belgique, par exemple, nous indique que la Commission n’a « même pas pris la peine de nous dire que comme nous sommes membres d’Ifoam, cette organisation nous représenterait ». Mais plusieurs autres organisations ont finalement réussi à se faire inscrire [18] , notamment après la parution d’un article de l’observatoire européen des entreprises (CEO) [19] qui dénonçait la surreprésentation des entreprises (70 %) au détriment des ONG (12%). CEO soulignait notamment que les entreprises étaient présentes plusieurs fois par différents biais : les entreprises elles-mêmes, mais aussi leur lobby [20] ; ou encore, via certains centres publics de recherche en lien très fort avec ces mêmes entreprises privées (par exemple, l’institut flamand de biotechnologie (VIB, à Gand) dont BASF est un des administrateurs). Par ailleurs, plusieurs acteurs environnementalistes (dont Bird life international), se sont retirés, faute de moyens (donc de temps), de cette consultation [21].
Tous ces acteurs étaient invités à se retrouver lors d’une réunion à Bruxelles le 10 février 2020 pour prendre connaissance des objectifs de cette étude et de sa procédure. Seule une petite moitié des organisations étaient physiquement présentes [22], mais la Commission a précisé que les autres pourraient participer par courrier électronique (avec une seule réponse par organisation), avant le 30 avril 2020 (repoussé au 15 mai, en raison d’un retard dans l’envoi du questionnaire final).
Objectif de cette réunion : discuter de la méthodologie de l’étude, dont le questionnaire et les modalités de son dépouillement. Une invitation aux ONG potentiellement oubliées lors de la première invitation a également été lancée par la Commission, « si elles ne sont pas déjà représentées par l’une des organisations invitées et si elles ne peuvent participer aux consultations nationales organisées par les États membres, que la Commission encourage » [23]. Las, à notre connaissance, aucune consultation n’a été organisée dans les États membres.
Des questions biaisées ?
Selon Testbiotech, cette réunion du 10 février avec la Commission a permis de prendre en compte quelques-unes des demandes des ONG. « Cependant, même dans sa version actuelle, le questionnaire ne parle que du « potentiel » des NGT, mais veille à ne pas mentionner les « risques » », nous précise Astrid Österreicher de Testbiotech.
Et en effet, dans les 29 questions prévues [24], beaucoup portent sur les « challenges », « opportunités », brevetabilité, questions de recherches, respect de l’étiquetage OGM, mais seules trois questions abordent les éventuels risques et aspects éthiques… « Mais nous n’avons aucune question spécifique sur le commerce, aucune sur s’il faut changer la législation, et les questions sur les risques couvrent l’environnement » s’est défendue la Commission.
La Commission a aussi dû répondre à plusieurs autres questions lors de la rencontre physique. L’utilisation du sigle NGT (Nouvelles techniques génomiques) ? « C’est le Conseil qui l’a utilisé, donc on le reprend » ! La Coordination européenne Via campesina (ECVC) a demandé si ce sigle s’applique aux seules techniques apparues après 2001, comme indiqué dans le document de la Commission. Elle a argumenté que c’était contraire à l’arrêt de la CJUE qui porte sur les techniques apparues ou principalement développées après 2001, tout comme la transgenèse qui a commencé à être expérimentée en champ dès les années 1980 puis développée commercialement dès les années 1990, mais n’a été principalement développée qu’après 2001… Pas de réponse.
L’application de l’arrêt de la CJUE qui aurait dû être immédiate ? : « il appartient aux États membres de l’appliquer ! ». C’est cependant le rôle de la Commission de coordonner cette application, notamment pour que les États l’appliquent tous aux mêmes techniques et utilisent tous les mêmes standards d’identification et de distinction des produits. Mais la Commission dit qu’elle n’interviendra que si des problèmes apparaissent suite aux mesures d’application des États. Les suites données à la décision du Conseil d’État français seront donc scrutées avec attention.
Globalement, cette session de travail semble donc avoir satisfait certains des acteurs présents. « Je pense que nous pourrons travailler très bien avec ce questionnaire », a déclaré par exemple Heike Moldenhauer, de l’ONG VLOG, qui gère le label sans OGM [25]en Allemagne [26]. Mais restent tout de même des interrogations sur la présence de certains acteurs invités, comme par exemple l’association européenne du machinisme agricole (CEMA)… Ou encore, on l’a vu, sur l’utilité d’un questionnaire qui élude une partie du problème, comme les techniques qui ont commencé à être développées peu avant 2001 ou la question des risques…
La Commission a également précisé que les réponses aux questions seront analysées qualitativement, question par question. Le poids relatif plus important de l’agribusiness et des entreprises de biotech ne devrait donc pas, selon elle, jouer.
Si le délai de réponses des acteurs vient juste de se clôturer, le résultat de l’étude complète n’est pas attendu avant le 30 avril 2021 et la Commission nous informe que les réponses ne seront donc pas publiées avant cette date. Du temps plus que suffisant semble-t-il pour, outre la rédaction de la synthèse des réponses à ce questionnaire, étudier les autres sources prévues et prévoir les « autres mesures nécessaires pour donner suite à l’étude ». Et subir la pression des lobbys ? Ou écouter les mouvements sociaux ?
[1] Bref rappel institutionnel : le Conseil européen est composé des dirigeants des États membres. La Commission européenne, elle, est composée d’un commissaire par État membre
[2] Officiellement, le Conseil invitait « la Commission à soumettre une étude à la lumière de l’arrêt de la Cour de justice dans l’affaire C-528/16 concernant le statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit de l’Union, et une proposition, le cas échéant pour tenir compte des résultats de l’étude ». Nouvelles techniques génomiques ? Encore un nouveau terme, que la Commission a défini ainsi lors de la réunion des acteurs du 10 février : « les techniques qui sont capables de modifier le matériel génétique d’un organisme et qui ont émergé ou ont été développées depuis 2001 », voir le compte-rendu officiel
[3] OGM : « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ».
[4] Le terme sélection est une traduction restrictive de breeding qui veut dire autant obtention (modification génétique) que sélection.
[5] , « Les nouveaux OGM : détectables, identifiables, traçables », Inf’OGM, 21 juin 2017
[6] ,
, « Modifications génétiques : à chaque étape, des effets non-intentionnels », Inf’OGM, 23 décembre 2018
[7] , « Les experts européens l’affirment : les nouveaux OGM sont traçables », Inf’OGM, 23 avril 2019
[8] , « Les experts européens l’affirment : les nouveaux OGM sont traçables », Inf’OGM, 23 avril 2019
[9] , « Semences et OGM : des études pour changer la législation de l’UE ? », Inf’OGM, 2 décembre 2019
[10] Voir p.8 de Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the European economic and social committee and the Committee of the regions, A Farm to Fork Strategy, For a fair, healthy and environmentally-friendly food system, version provisoire.
[12] Voir Detection of food and feedplant products obtained by new mutagenesis techniques, European Network of GMO Laboratories (ENGL), Report endorsed by the ENGL Steering Committee, 26 Mars 2019.
[13] , « Semences et OGM : des études pour changer la législation de l’UE ? », Inf’OGM, 2 décembre 2019
[14] L’AESA a lancé également une consultation publique, jusqu’au 27 mai, sur plusieurs méthodes de transformation du vivant : SDN 3, SDN 2 et SDN 1, ainsi que ODM.
[15] Voir , « OGM : l’utilité ne doit pas faire oublier l’éthique », Inf’OGM, 14 janvier 2020
[16] https://ec.europa.eu/info/research-and-innovation/strategy/support-policy-making/scientific-support-eu-policies/ege_fr#latest
[17] Nouvelle liste affichée le 15 avril sur le site dédié.
[18] C’est le cas notamment des ONG allemandes IG Saatgut, VLOG et EcoPB, et autrichiennes ARGE gentechnikfrei et Arche Noa.
[19] Nina Holland, « New GMOs’ : Kyriakides gets off on wrong foot with biased consultation« , 5 février 2020, Euractiv.com
[20] The European Chemical Industry Council (CEFIC), European Federation of Pharmaceutical Industries Association (EFPIA), European Association for Bioindustries (EuropaBio), European Crop Protection Association (ECPA), European Seeds Association (ESA), et AnimalHealth Europe, FoodDrinkEurope, ePURE, Plants for the Future ETP, ou the Bio-based Industries Joint Undertaking
[21] Pas de nouveau calcul réalisé, mais à supposer un rééquilibrage avec uniquement des ONG en plus, le pourcentage d’ONG n’atteindrait que 36 %.
[22] https://ec.europa.eu/food/sites/food/files/plant/docs/gmo_mod-bio_stake-cons_sum-rep-stakeholder.pdf
[23] Extrait d’un compte-rendu non officiel d’un des acteurs de cette réunion qu’Inf’OGM s’est procuré. En France, aucune consultation nationale n’a eu lieu.
[24] Compte-rendu officiel de la réunion du 10 février (en anglais) : Summary report Ad hoc Stakeholder meeting on new genomic techniques, Brussels, 10 février 2020,
[25] <auteurs_article5987