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Moustique OGM : le paludisme attise les recherches

Par Christophe NOISETTE

Publié le 27/07/2023

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Oxitec développe des moustiques transgéniques, Google préfère les moustiques inoculés avec la bactérie wolbachia. Des essais ont déjà eu lieu dans plusieurs pays avec un impact assez faible, à long terme, sur la présence du paludisme. Les recherches universitaires pour tenter de réduire la population des moustiques sont légions. Un nouvel article annonce qu’une technologie génétique vient d’être mise au point pour supprimer les moustiques vecteurs du paludisme. L’espèce visée est Anopheles gambiae, qui sévit principalement en Afrique. Cette technologie utilise, notamment, l’outil Crispr/Cas et les responsables du projet sont des chercheurs de l’Université de Californie à San Diego (États-Unis). A ce jour, cette technologie ne se passe pas d’une transgenèse préalable.

Le journal Science Daily évoque les premiers cas de paludisme aux États-Unis et comment cette maladie affecte de nombreux enfants dans le monde [1]. Ils écrivent : « Heureusement, les scientifiques développent des technologies sûres pour stopper la transmission du paludisme en modifiant génétiquement les moustiques ». Cette phrase impose d’emblée que la solution passera par la technique et que cette technique est sûre.

Deux stratégies de lutte concurrentes…

Les chercheurs étasuniens ont modifié génétiquement les moustiques A. gambiae, mâles et femelles, indistinctement. Ils ont choisi de perturber un gène connu sous le nom de femaleless (fle), qui contrôle le développement sexuel chez les moustiques A. gambiae [2]. Présent chez les deux sexes, il est actif uniquement chez les femelles. Ainsi, cette modification génétique, qu’ils ont nommé Ifegenia, tue uniquement les femelles modifiées. Ces dernières meurent donc toutes au stade du laboratoire. Les mâles, eux, survivent. Une fois relâchés dans la nature, ils peuvent donc s’accoupler avec les femelles sauvages et propager Ifegenia. Les descendants héritent en théorie de la modification génétique : les femelles meurent et les mâles continuent de transmettre ce gène modifié. Et ainsi, de génération en génération, la populations des femelles diminue.

La stratégie d’Oxitec est un peu différente. Elle consiste, elle aussi, à ne relâcher que les mâles. Mais ces derniers, lors qu’ils s’accouplent avec des femelles sauvages, ont une descendance exclusivement mâle. Pour ces chercheurs, elle présente deux limites. D’une part, les moustiques d’Oxitec survivent en présence de tétracycline, laquelle est présente dans certains productions agricoles (notamment les champs d’agrume). D’autre part, Omar Akbari nous précise que « l’approche d’Oxitec est dominante, en ce sens qu’il faut une copie du système pour tuer les femelles. Par conséquent, lorsque des mâles homozygotes sont relâchés (R/R), ces mâles produiront des mâles hétérozygotes viables et fertiles (R/+), mais les femelles R/+ seront mortes. Ces mâles R/+ fertiles produiront alors des mâles (R/+ et +/+) et des femelles (+/+). Les femelles produites peuvent donc réduire l’efficacité ».

Les essais se sont fait en milieu confiné. Et la pertinence de cette technique a été évaluée par une modélisation informatique. « Grâce à la modélisation, nous démontrons que les lâchers itératifs de mâles Ifegenia non piqueurs peuvent constituer un système efficace, confiné, contrôlable et sûr de suppression et d’élimination de la population », expliquent les chercheurs. Actuellement, aucun lâcher n’est prévu, nous précisent les chercheurs, car ils ont besoin de lever des fonds pour cela. Ces travaux ont été financés par des subventions publiques (Environmental Protection Agency, National Institutes of Health) et privées (Fondation Bill et Melinda Gates, Open Philantropy).

…vendues avec les mêmes arguments

« Cette technologie a le potentiel d’être la solution sûre, contrôlable et évolutive dont le monde a besoin de toute urgence pour éliminer le paludisme une fois pour toutes », a déclaré M. Akbari, professeur au département de biologie cellulaire et du développement. « Nous devons à présent faire évoluer nos efforts pour obtenir l’acceptation sociale, les autorisations règlementaires d’utilisation et les possibilités de financement afin de mettre ce système à l’épreuve en supprimant les populations de moustiques sauvages transmettant le paludisme. Nous sommes sur le point d’avoir un impact majeur dans le monde et nous ne nous arrêterons pas avant d’y être parvenus », ajoute-t-il.

Ce discours, dithyrambique et plein d’emphase, tout empreint de l’économie de la promesse, cache mal plusieurs réalités. Tout d’abord, il omet l’échec des tentatives précédentes d’éradiquer une espèce de moustique. Certes, il semblerait que celle-ci soit plus efficace que les précédentes. Cependant, il y a fort à parier que si A. gambiae venait à disparaître, le paludisme trouverait un autre vecteur pour se répandre. Ensuite, l’outil Crispr/Cas provoque de nombreux effets hors-cibles. Cette technologie n’est pas aussi sûre que ses promoteurs l’affirment. Enfin, ces recherches sont coûteuses. Elles permettent de déposer des demandes de brevets et seront, à termes, utilisées pour tenter d’éradiquer des parasites agricoles qui prolifèrent dans les monocultures industrielles. Or, quelques mesures simples, notamment l’amélioration de la prise en charge rapide des personnes atteintes du paludisme, ou la mise en place de réseaux d’eaux usées, pourraient être bénéfiques non seulement dans la lutte contre le paludisme mais aussi contre de nombreuses maladies.

[1Aguilera, M., « New genetic technology developed to halt malaria-spreading mosquitoes », Science Daily, 5 juillet 2023.

[2Andrea L. Smidler, James J. Pai, Reema A. Apte, Héctor M. Sánchez C., Rodrigo M. Corder, Eileen Jeffrey Gutiérrez, Neha Thakre, Igor Antoshechkin, John M. Marshall, Omar S. Akbari, « A confinable female-lethal population suppression system in the malaria vector, Anopheles gambiae », Science Advances, 2023 ; 9 (27).

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