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Le Tirpaa, traité international des semences, en danger

Par Frédéric PRAT

Publié le 27/11/2019, modifié le 01/12/2023

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Tous les deux ans, l’organe directeur du Traité international sur les semences (Tirpaa) se réunit pour évaluer et améliorer l’application de ce Traité. Mais cette année, un point particulier menace de tout faire capoter : l’utilisation des informations issues des génomes [1] des plantes du Traité, source d’une potentielle biopiraterie généralisée. Explications.

L’utilisation des informations de séquençage numérique contenues dans des plantes est-elle équivalente au fait d’utiliser ces plantes elles-mêmes ? La numérisation digitale des séquences génétiques abolit-elle l’obligation garantie par le Traité de partager les avantages issus de leur utilisation avec les agriculteurs et les communautés locales et autochtones qui contribuent à leurs conservation, en priorité dans les pays en développement ? C’était l’enjeu majeur de la huitième réunion de l’organe directeur du Tirpaa (voir encadré ci-dessous) qui s’est tenu du 11 au 16 novembre dernier à Rome. Dans un article précédent [2], nous évoquions les risques de blocage dénoncés par le mouvement paysan international La Via Campesina (LVC) lors des réunions préliminaires. Ce blocage s’est confirmé au cours de cette 8e session.

Le Tirpaa : pour garantir la sécurité alimentaire


Depuis quinze ans, le Traité international sur les semences (Tirpaa) a pour objectif de « sauvegarder, partager et protéger les semences qui nourrissent le monde » [3]. Ses moyens : i) faciliter l’accès à plus de 2 millions d’échantillons de semences de 64 espèces végétales. Ces dernières sont conservées dans les banques de semences internationales du CGIAR (consortium de centres de recherches internationaux) et dans les collections nationales des 146 pays membres [4], du moins ceux qui ont bien voulu remplir leur obligation de les mettre à disposition de leurs partenaires (le système multilatéral – SML) ; ii) des contrats d’accès facilité (Accord Type de Transfert de matériel) à ces Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture (RPGAA) permettent de puiser dans ces banques de semences en échange d’un engagement 1) à ne pas revendiquer de droit de propriété intellectuelle limitant l’accès à ces semences pour la recherche, la sélection ou la formation : et 2) à reverser au Fonds de partage des avantages du Traité une partie des bénéfices issus de leur utilisation. Par exemple pour élaborer et commercialiser de nouvelles variétés ou des droits de licence sur l’utilisation de variétés protégées par un Droit d’obtenteur ou de leurs séquences génétiques protégées par un brevet. Problème : sauf quelques récents dons volontaires très symboliques, aucune entreprise n’a reversé une part quelconque de ses bénéfices à ce Fonds de partage.

Les pays riches bloquent la négociation

La société civile était représentée par le CIP (comité international de planification pour la souveraineté alimentaire), dont un des membres est La Via Campesina et par un groupe d’ONG impliquées sur les questions semencières et bénéficiant pour la plupart du peu d’argent versé par quelques pays au Fonds de partage des avantages du Traité (voir photo). Dans un récent communiqué [5], La Via Campesina déplore que «  le Traité international des semences se retrouve totalement paralysé par l’avidité de l’industrie et des pays les plus riches  ». En effet, l’un des enjeux était de réformer l’accord type de transfert de matériel (ATTM), pour rendre obligatoires les reversements d’une partie des bénéfices des entreprises au Fonds de partage des avantages du Traité. Malgré des négociations jusqu’à la dernière minute [6], aucun accord n’a finalement été trouvé.

Le principal point d’achoppement est la question des informations de séquençage numérique : Amérique du Nord, Europe, ainsi que Japon, Malaisie et Australie refusent de partager le moindre bénéfice issu de l’utilisation du séquençage numérique des ressources génétiques («  digital sequence information  » – DSI). Ils se sont opposés aux pays en développement, souvent soutenus par la Norvège, qui veulent tous récupérer leurs parts de partages des avantages. Certains, particulièrement les pays d’Afrique, veulent empêcher que des brevets déposés sur ces DSI contenues dans des semences du Système multilatéral ne viennent limiter les droits des agriculteurs qui les ont fournies de continuer à les conserver, les utiliser, les échanger et les vendre. Cette dernière demande est fondamentale : en brevetant une séquence génétique reliée à un caractère particulier, l’industrie semencière se rend propriétaire de toutes les plantes, y compris celles qui sont dans les champs des paysans ou dans les banques de gènes, qui détiennent cette « information génétique » dans leur génome. Une « biopiraterie génétique » inacceptable pour La Via Campesina parce que ces brevets permettraient aussi « à l’industrie de s’emparer de toutes les semences du système multilatéral du Traité » qui serait ainsi privatisé et n’aurait plus rien de multilatéral.

Protéger les semences des agriculteurs, et continuer à discuter

La conclusion de La Via Campesina est double : d’une part, encourager les agriculteurs à ne plus partager leurs semences avec le Système multilatéral du Tirpaa ; d’autre part, continuer les discussions pour améliorer le système. « Tant que le Traité n’interdira pas à ceux qui ont accès aux semences de son système multilatéral de revendiquer des brevets ou autres droits limitant le droit des agriculteurs qui les ont fournies de continuer à les utiliser, les échanger et les vendre, La Via Campesina recommandera aux paysans du monde entier de ne plus remettre au système multilatéral du Traité leurs propres semences et les informations séquentielles numériques qu’elles contiennent. Elle encourage les gouvernements des pays en développement à exiger la même condition avant de remettre au Traité leurs propres collections nationales de semences ».

Mais il ne s’agit pas non plus de sacrifier l’un des seuls instruments internationaux qui reconnaît «  l’énorme contribution que les communautés locales et autochtones ainsi que les agriculteurs de toutes les régions du monde (…) ont apportée et continueront d’apporter à la conservation et à la mise en valeur des ressources phytogénétiques » ; et qui affirme dans son article 9 que rien, dans le Traité, ne peut entraver leurs droits de conserver, échanger et vendre les semences produites à la ferme. LVC « appelle [donc] les paysans à continuer à travailler avec les banques nationales de semences et les gouvernements qui protègent leurs droits dans leurs lois nationales ». Par exemple, les pays qui interdisent l’extension de la portée d’un brevet sur une information génétique à des organismes végétaux ou animaux issus exclusivement de procédés essentiellement biologique, y compris lorsqu’ils contiennent la même information génétique et expriment sa fonction brevetée. À noter à ce sujet que l’Inde, notamment, a rappelé, au cours de la cérémonie d’ouverture de cette réunion, que sa loi sur les semences garantit le respect de ces droits des agriculteurs. Ce pays a proposé dans la foulée d’accueillir la prochaine session de l’organe directeur en 2021, ce qui a été accepté. LVC ne claque donc pas la porte et annonce qu’elle « continuera aussi à travailler avec le Traité pour qu’il puisse sortir de l’impasse dans laquelle l’enferme l’arrogance coloniale de quelques pays riches ».

Tristes résultats

Dans un récent communiqué [7], le CIP qualifie les résultats de cette réunion de « tristes », constatant le non respect des règles élémentaires des discussions multilatérales par la présidente étasunienne de cette session de l’Organe directeur. Il souligne également le blocage des discussions sur le système multilatéral et l’information de séquençage numérique, évoquant la plaisanterie de certains pays européens qui affirmaient « que les discussions peuvent être conservées à Svalbard pendant 2 ans ». Pour rappel, des centaines de milliers de graines collectées dans les champs des paysans sont stockées dans un grand congélateur hébergé sur cette île norvégienne de Svalbard [8]. Pour l’un des négociateurs de LVC, « elles sont en train de mourir, mais elles y laisseront toujours leurs cadavres à disposition des séquenceurs de génome ».

[1« Séquençage numérique des ressources génétiques  », traduction possible, parmi d’autres, de l’acronyme anglais DSI pour « digital sequence information on genetic resources ».

[4Le dernier en date est la Géorgie, en juillet 2019, voir : http://www.fao.org/plant-treaty/news/news-detail/fr/c/1200317/

[6La réunion s’est terminée sans aucune décision au milieu de la nuit après son terme légal samedi 16 novembre à minuit.

[7Que restera-t-il de la biodiversité que nous laisserons aux générations futures ? La participation du CIP à l’Organe directeur du Traité international sur les semences, novembre 25, 2019.

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