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France : un rapport officiel craint une utilisation malveillante des nouveaux OGM
Le Conseil national consultatif pour la biosécurité (CNCB), mis en place en 2015 par le gouvernement français, vient de publier un rapport classé « secret défense » dans lequel il estime que les nouveaux outils de modification génétique, comme le fameux Crispr/Cas9, sont une menace réelle pour la sécurité nationale.
Créé en 2015, le Conseil national consultatif pour la biosécurité (CNCB) [1] a « pour mission de réfléchir aux détournements possibles d’usages des sciences du vivant et aux moyens de s’en prémunir, (…) il effectuera des travaux de prospective et de veille sur les recherches à caractère dual dans le domaine des sciences de la vie, il proposera des mesures propres à assurer la prévention et la détection d’éventuelles menaces (…), et formulera des recommandations visant à s’assurer que les progrès des sciences biologiques ne soient pas générateurs de nouvelles menaces » [2].
Les membres du CNCB
Ce Conseil réunit le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, des personnalités scientifiques qualifiées proposées par l’Académie des sciences, des hauts fonctionnaires des ministères des Affaires étrangères, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de la Santé, de la Défense et de l’Intérieur. Ceci est considéré comme « une structure unique dans le paysage français : pour la première fois, un conseil à vocation stratégique réunit en effet des personnalités scientifiques et des hauts fonctionnaires de l’État ». Les scientifiques en charge de l’utilisation de ces techniques, qui en vivent, sont-ils les meilleurs garde-fous pour la société ?
Aux États-Unis, le chef du renseignement, James R. Clapper, a inclus pour la première fois, dans un rapport publié en février 2016 consacré notamment aux armes de destruction massive, les nouvelles technologies de modification génétique : « La recherche sur [ces nouvelles techniques] effectuée par des pays ayant des normes réglementaires ou éthiques différentes de celles des pays occidentaux augmente probablement le risque de création d’agents ou de produits biologiques potentiellement dangereux. Compte tenu de la large distribution, du faible coût et du rythme accéléré de développement de cette technologie à double usage, son utilisation délibérée ou non intentionnelle pourrait entraîner des conséquences importantes sur le plan de la sécurité économique et nationale ». James Clapper ne nomme pas dans ce rapport spécifiquement la technologie Crispr/Cas9.
Même s’il cite nommément la technologie Crispr/Cas9, le CNCB est un peu plus réservé. Dans un communiqué de presse publié le 7 février 2017, on peut en effet lire que « Crispr/Cas9 est un nouvel outil de biologie moléculaire qui, certes facilite et accélère la manipulation des génomes, et particulièrement des génomes des cellules dotées d’un noyau, mais qui, en l’état de l’art, ne permet pas d’accroître fondamentalement le risque de prolifération d’armes biologiques. Il ne constitue donc pas à cet égard un saut technologique susceptible de générer de nouvelles menaces ». Autrement dit, pour le CNCB, Crispr/Cas9 n’est rien d’autre qu’une amélioration de techniques disponibles depuis des décennies. Crispr/Cas9 n’augmente pas le risque par rapport aux anciennes biotechnologies mais ce risque peut se produire plus facilement et à moindre coût. Et donc d’une certain façon, il peut aussi se produire plus fréquemment.
Le CNCB et le HCB : quels liens ?
La mission du CNCB, définie par l’article 1 du décret, est très large : « éclairer les pouvoirs publics, la communauté scientifique et la population sur les enjeux de sécurité, les bénéfices et les risques que présentent les progrès de la recherche en sciences de la vie ». Des missions proches de celles du Haut conseil des biotechnologies (HCB). Interrogée par Inf’OGM, Christine Noiville, présidente du HCB nous répond : « De façon à articuler au mieux les missions du HCB et celles de ce Conseil, j’ai rencontré, avec Nils Braun (en charge au HCB des questions de biosécurité et de biosûreté), Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Ce dernier m’a « rassurée » sur les missions du CNCB qui seront restreintes à la biosécurité, au bioterrorisme, à la sécurité de l’État. Le HCB peut aussi travailler sur ces thèmes-là, rien ne nous l’interdit formellement, mais étant donnés les nombreux travaux en cours, nous n’allons pas élargir le spectre actuel de nos missions ». Christine Noiville nous précise aussi que Nils Braun a été mandaté par le HCB pour travailler avec le CNCB sur le rapport évoqué dans cet article, et de conclure « nous ne sommes pas concurrents, mais complémentaires ».
La sécurité sanitaire des populations en jeu
Mais derrière Crispr/Cas9, d’autres évolutions techniques se profilent, comme la biologie synthétique et le forçage génétique. Dans un rapport du CNCB, rendu en partie public le 7 février 2017 [3], la biologie de synthèse, qui permet de créer des génomes artificiels, « pose la question de la possibilité de recréer (…) des virus », ce qui représente un risque réel pour la sécurité sanitaire des populations.
Même son de cloche au HCB. Sa présidente Christine Noiville nous précise que , « à trop mettre le projecteur sur Crispr, on risque d’oublier les autres techniques, les autres questions ». Elle considère, elle aussi, que la biologie de synthèse semble plus facilement utilisable par des personnes ou des États malveillants que Crispr/Cas9 dont la mise en œuvre n’est pas « si simple que ça ».
La biologie de synthèse : une question internationale
Signe que cette technologie suscite aussi des débats au niveau international : la biologie de synthèse a été évoquée lors de la COP13 de la Convention sur la diversité biologique (CDB). Elle a fait l’objet d’une décision (XIII/17) [4] qui nous apprend entre autres qu’un groupe d’experts ad hoc avait été constitué pour se pencher sur la question (celui-ci a proposé une définition de la biologie de synthèse). Dans la décision, on peut aussi lire que la COP constate qu’en l’état, il n’est pas clair si les organismes de biologie de synthèse sont des Organismes vivants modifiés (OVM) au sens du Protocole de Carthagène et note qu’il y a des cas où le consensus n’existe pas sur le fait qu’un produit issu de la biologie de synthèse est « vivant » ou non.
Le CNCB souligne donc que « l’amélioration des techniques de construction de génomes par biologie de synthèse pose la question de la possibilité de recréer de novo des microorganismes déjà existants dans la nature, notamment des virus dont la virulence et la contagiosité pourraient présenter de réels risques pour la sécurité sanitaire des populations. (…) À cet égard, le développement de nouvelles technologies dans le domaine de la synthèse de l’ADN et la multiplication des sociétés privées maîtrisant ces technologies pour produire « à façon » des gènes de synthèse, pose une vraie question de sûreté et de prolifération potentielle ».
Quant au forçage génétique, « technique visant à obtenir chez une espèce vivante, une modification génétique permanente et transmissible », le CNCB reconnaît qu’il « pose de nombreuses questions éthiques, notamment sur la transmission des patrimoines génétiques et le maintien de la diversité biologique ».
Réduire les risques sans nuire à la compétitivité française
Pour le CNCB, face à cette menace, les États ne peuvent compter que sur une auto-régulation, à l’instar de l’International Gene Synthesis Consortium (IGSC) qui regroupe 80 % des entreprises impliquées dans la biologie de synthèse. Une parade somme toute légère.
Le but du CNCB « n’est (…) pas de régenter la recherche, mais d’accompagner son développement et de prévenir ses éventuelles retombées nocives ». Les recommandations sur la biologie de synthèse « visent à la prévention des risques liés à ce champ de recherche, tout en évitant l’adoption d’un cadre trop contraignant qui nuirait à la compétitivité des laboratoires français ».
Pour le CNCB, comme l’a rappelé Louis Gautier dans son allocution à l’Académie des sciences [5], « les bénéfices des avancées récentes dans le domaine des sciences de la vie sont indiscutables, notamment en termes d’environnement et de santé publique − meilleure compréhension d’une maladie, amélioration de la qualité de vie (…) [même si] ces progrès peuvent s’accompagner de risques résultants soit d’une dissémination accidentelle, soit d’un détournement d’usage des micro-organismes ».
[1] Le CNCB a été créé par décret n°2015-1095 du 31 août 2015.
[2] M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), le 2 décembre 2015 à l’Académie des Sciences. Le CNCB est issu des recommandations du rapport de l’Académie des sciences « Les menaces biologiques – Biosécurité et responsabilité des scientifiques » publié, dès 2008, par les professeurs Henri Korn et Patrick Berche et par le médecin général Patrice Binder.
[3] Seule une synthèse a été rendue publique et Christine Noiville, présidente du HCB, nous a confié ne l’avoir pas reçu in extenso non plus
[5] voir Les menaces biologiques – Biosécurité et responsabilité des scientifiques, op. cit. en note 2