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FRANCE – Propriété industrielle sur les plantes : « halte aux brevets trop larges » recommande le CEES

Par Frédéric PRAT

Publié le 20/06/2013, modifié le 08/07/2024

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Le Conseil Économique, Éthique et Social (CEES) du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB), dont la mission est d’apprécier les impacts socio-économiques et éthiques des biotechnologies, a rendu le 14 juin une recommandation sur la propriété industrielle sur les plantes. Constatant que cette propriété industrielle en matière de sélection végétale s’élargit non seulement aux produits issus de technologies génétiques, mais aussi aux procédés « conventionnels » ainsi qu’aux gènes natifs, le CEES propose de limiter l’étendue des brevets, de rendre totalement transparentes et publiques les variétés qui en comportent, et de permettre aux agriculteurs-sélectionneurs d’échanger librement leurs semences de variétés populations.

Depuis qu’en 1980 la Cour Suprême des États-Unis a permis le dépôt d’un brevet sur une bactérie génétiquement modifiée, le droit de propriété industrielle n’a cessé de grignoter du terrain dans le secteur du vivant [1], et notamment de la sélection des plantes, pour s’appliquer aujourd’hui aux plantes génétiquement modifiées (PGM), transgènes, procédés du génie génétique et, plus récemment, procédés et produits issus de sélections plus conventionnelles.

Après avoir mis en place un groupe de travail composé d’experts et de parties prenantes, notamment du monde des semences et de l’agriculture [2], le CEES rend aujourd’hui une recommandation [3] qui se veut équilibrée pour respecter à la fois les droits des semenciers, mais aussi celui des paysans et des consommateurs, et qui permette le nécessaire « développement d’une diversité génétique interspécifique et intraspécifique des plantes cultivées ».

Du « terrorisme » juridique

Le constat est lucide, la critique sévère : « L’analyse des stratégies industrielles montre (…) que le brevet n’est pas seulement un droit assurant la réservation d’une innovation mais constitue de plus en plus un instrument stratégique de négociation » pour les semenciers. Le CEES, sans citer nommément Monsanto, enfonce le clou avec plusieurs exemples : « il faut bien observer que certains se servent de leurs droits de [propriété industrielle (PI)] essentiellement dans un but d’intimidation pure et simple. Lorsqu’une grande entreprise bien connue fait procéder systématiquement à des retenues (ou saisies) en douane sans faire suivre ces opérations de procédures judiciaires susceptibles de les valider ou de les invalider, il s’agit bien d’intimider celui qui est ainsi visé et point d’autre chose ».

On trouve cependant dans le rapport du groupe de travail qui a inspiré cette recommandation, toutes les précisions des exemples utilisés par le CEES, avec les noms, dates et lieux des faits et entreprises cités. Tel cet autre exemple sur des laitues résistantes au puceron Nasanovia. L’entreprise française Gautier Semences a sélectionné depuis longtemps des lignées de laitues contenant un caractère de résistance à ce puceron. Mais l’entreprise hollandaise Rijk Zwaan a déposé postérieurement un brevet sur ce type de salade. Comment cela a-t-il été possible ? L’entreprise hollandaise a identifié un caractère de résistance à ce puceron chez une espèce sauvage, mais ce caractère était structurellement lié, selon elle, à un autre gène, celui du nanisme. Elle revendique donc la mise au point d’un procédé de sélection assistée par marqueurs (SAM), pour casser la liaison génétique entre le caractère de résistance et le caractère de nanisme, qui lui a permis de déposer son brevet. Gautier a fait opposition, mais la puissance financière de l’entreprise hollandaise l’a obligé finalement à accepter ce brevet et à lui faire payer des royalties ! En effet, dans pareils cas, les grosses entreprises semencières, fortes d’un gros portefeuille de brevets, négocient des licences croisées pour continuer à commercialiser leurs produits. Mais les entreprises plus petites comme Gautier Semences qui n’ont rien à échanger sont obligées de payer pour pouvoir poursuivre leurs activités [4].

Avec de telles stratégies et pratiques, la concentration des entreprises va bon train : « les trois premiers groupes semenciers (Monsanto, DuPont-Pioneer, Syngenta) représentaient en 2009 plus de 34 % du marché mondial des semences, toutes espèces confondues ; les deux premiers de ces trois groupes ont déposé à l’office américain des brevets (USPTO) plus de 60 % des brevets concernant les plantes (entre 2004 et 2008) ; plus de 80 % des événements transgéniques actuellement utilisés dans le monde sont brevetés par la société Monsanto ».

Concentration des entreprises donc, qui va de pair avec une diminution du nombre d’espèces : « le soja, le maïs et le coton bénéficient ainsi d’une large part des efforts de recherche fondamentale et appliquée » précise le CEES.

D’une façon générale, les (petits) sélectionneurs ont le sentiment « d’avancer dans un champ de mines », ne sachant pas s’ils travaillent avec des variétés dont certains gènes sont protégés. Ils doivent donc exercer une veille d’information sur leur « liberté d’exploitation », mais seules une grande entreprise, telle Limagrain, est « capable d’analyser elle-même cette liberté d’opérer », en finançant l’emploi de deux personnes qui vérifient, chaque mois, les demandes publiées (soit environ 1 000 demandes).

Redéfinir le champ du brevetable

Fort de ces constats, le CEES propose plusieurs pistes, dont une redéfinition des éléments brevetables. Pour lui, il faut restreindre la sphère du brevetable en excluant de la brevetabilité :

 a. les plantes issues de procédés essentiellement biologiques (même si ces plantes ne constituent pas des variétés végétales au sens de l’UPOV – variétés instables, espèces, etc.- déjà exclues de la brevetabilité par la directive européenne 98/44),

 b. les gènes et les caractères dits « natifs ».

Une majorité des membres du CEES est favorable à l’exclusion de l’ensemble des gènes, y compris lorsqu’il s’agit de gènes isolés dont la structure et la fonction ont été modifiées ; à défaut (c’est-à-dire si cette première recommandation n’était pas possible à mettre en œuvre), le CEES soutient la proposition d’introduire une pleine exception de sélection en droit des brevets (permettre aux sélectionneurs et agriculteurs de repartir d’une variété brevetée pour en créer une autre).

Le CEES « insiste sur l’importance de ne breveter les procédés que lorsque l’intervention humaine a un impact déterminant sur l’objet obtenu et lorsque le procédé intervient directement au niveau du génome (à condition que le titulaire du brevet, en cas d’action en contrefaçon, puisse prouver que c’est bien ce procédé breveté qui a été utilisé et non un autre) ».

Autre recommandation, pour cadrer les revendications des entreprises semencières, la transparence totale sur les brevets, avec :

1. une base de données publiques comportant, pour chaque variété mise sur le marché, le lien éventuel avec les brevets s’y rapportant ;

2. l’obligation pour les professionnels titulaires des brevets d’informer les sélectionneurs (et les agriculteurs) ; et

3. la proposition que l’absence d’une telle information soit sanctionnée par l’irrecevabilité d’une éventuelle action en contrefaçon (l’idée étant que tant qu’il n’a pas informé, il ne peut agir en contrefaçon).

Les agriculteurs ne sont pas oubliés : lorsqu’il s’agit de variétés protégées par un COV, ceux « qui ne cherchent pas à reproduire la semence à l’identique (sélection « conservatrice »), mais à l’employer comme départ de sélection, en champ, de variétés populations, devraient pouvoir le faire sans acquitter de rémunération (le réensemencement se faisant alors au titre de l’exception de sélection) » ; en cas de brevet, « l’agriculteur, dont il n’est pas établi qu’il a utilisé sciemment une plante contenant le ou les éléments brevetés et avec l’intention d’exploiter la ou les fonctions protégées par le brevet devrait pouvoir continuer d’exploiter librement le produit de sa récolte et ce sans limite de temps s’il n’excipe pas de la fonction protégée [5], dès lors que cette dernière porte sur un caractère nouveau non natif  [6]. ».

Dans la foulée, le CEES rappelle la nécessité, affirmée par la loi « Grenelle 1 » du 5 août 2009, d’ouvrir le catalogue (du moins une forme de catalogue) aux variétés populations, ce qui permettrait l’accès au marché des semences de celles d’entre elles qui font l’objet d’une demande. Le CEES insiste sur le fait que des règles claires doivent encadrer cet accès au marché. Enfin, le CEES estime qu’il conviendrait de faire évoluer les règles d’échange de semences entre agriculteurs. Cet échange devrait être considéré comme légal dès lors que ne se crée pas un marché parallèle à celui des semences commerciales ; dans cette perspective, la remise directe, par le producteur à l’utilisateur final, de petites quantités de semences de variétés populations, devrait être permise.

Des convergences nationales et internationales

Dernière recommandation du CEES au Gouvernement : renforcer la participation de la France au système multilatéral du Traité sur les ressources phytogénétiques (TIRPAA). Le CEES considère que le Gouvernement français devrait se doter d’une politique publique de conservation des ressources phytogénétiques, avec :

1. la désignation d’une instance en charge de la coordonner et de la mettre en œuvre, qui soit reconnue aux plans national et international et qui soit ouverte à tous les acteurs, y compris les agriculteurs ;

2. l’allocation de moyens financiers et humains pour assurer l’accès aux collections des établissements publics. Le CEES n’a par contre pas formulé de recommandation consensuelle sur les modalités d’application en France de la reconnaissance par ce même Traité de l’immense contribution des agriculteurs à la conservation des ressources phytogénétiques et « de leurs droits qui en découlent à conserver, ressemer, protéger et vendre leurs semences, à promouvoir l’utilisation durable des ressources phytogénétiques et à assurer un partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation  » [7].

Cette recommandation du CEES vient compléter l’avis délivré le 17 mai 2013 par le Conseil scientifique (CS) de l’Inra sur la brevetabilité du vivant pour que « les autorités françaises s’engagent sur la nécessité d’exclure les plantes comme les variétés du domaine de la brevetabilité » [8]. Il fait également écho à la récente position de Cour Suprême des États-Unis, interdisant de breveter « une séquence d’ADN produite naturellement » [9]. Enfin, il formule des propositions pouvant contribuer à la réalisation d’un des objectifs du récent rapport que Marion Guillou a remis le 11 juin à Stéphane Le Foll sur l’agroécologie, qui préconisait entre autre que « la palette [des] variétés […] mises à disposition des agriculteurs soit beaucoup plus large et bien décrite, afin que l’agriculteur puisse constituer un portefeuille variétal en fonction de ses attentes » [10].

[1en Europe, la brevetabilité du vivant a été autorisée en 1998, avec la directive 98/44

[2Ce groupe de travail était notamment co-présidé par les représentants du GNIS et de la Confédération Paysanne, fait suffisamment inhabituel pour être souligné ; pour sa composition détaillée, et le contenu intégral du rapport, Cf.

CEES
Le rapport du CEES sur la propriété industrielle

[3

CEES
La recommandation du CEES sur la propriété industrielle

[4cf. article à paraître dans Inf’OGM n°123 sur les accords de licence

[5en d’autres termes, s’il ne revendique pas cette fonction

[6caractère natif : par exemple, une résistance au puceron des laitues de Gauthier semences, un goût doux et amer des melons… ;

caractère non natif : maïs insecticide, stérilité mâle du colza, tolérances à l’herbicide du tournesol de Pionner…

[7Biodiversité et droit des paysans, http://www.semencespaysannes.org/bdf/bip/fiche-bip-107.html

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