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FRANCE – L’étiquetage « sans OGM » sera-t-il compatible avec la coexistence des filières OGM / non OGM ?
Suites aux nombreux débats notamment au sein du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) et après une très longue attente, le décret qui définit le « sans OGM » et les conditions de son étiquetage vient enfin d’être publié au Journal Officiel [1]. Il rend désormais possible, à partir du 1er juillet prochain, l’étiquetage de produits et plus particulièrement de leurs ingrédients « sans OGM » et les produits d’animaux nourris « sans OGM ».
Si certains étiquetages « sans OGM » étaient jusqu’à présent tolérés [2], ce texte énonce désormais le contenu précis de ce label, enfin de ces labels, car ce décret prend soin de distinguer plusieurs démarches économiques en fonction des seuils de présence d’OGM acceptés (<0,1% ou <0,9%). Ce décret rentrera en application au 1er juillet 2012.
Trois types d’ingrédients sont concernés : les ingrédients d’origine végétale (contenant moins de 0,1% d’OGM), animale (avec deux seuils différents possibles : nourris avec des végétaux contenant moins de 0,1% et moins de 0,9% d’OGM) et apicole (pour les ruches situées à plus de 3 km de cultures GM).
Pour les ingrédients, pris isolément, l’affichage du caractère « sans OGM » se fera dans la liste des ingrédients. Seuls quelques rares produits pourront bénéficier d’un étiquetage plus lisible, en face avant du produit : il s’agit de ceux dont l’ingrédient principal représente plus de 95% du poids total du produit [3]. Nombreux sont ceux qui ont critiqué ce seuil jugé trop élevé : peu de produits seront donc concernés par cet étiquetage qui est pourtant le plus visible. Pour les autres produits, consommateurs avisés, à vos loupes !
La publication au Journal Officiel était d’autant plus attendue que le ministère de l’Agriculture venait, quelques heures plus tôt, de trancher sur le contenu d’un autre texte très attendu lui aussi : l’arrêté encadrant la coexistence des filières OGM / non OGM. Ce texte a été notifié à la Commission européenne le 30 janvier 2012, elle a donc jusqu’au 23 avril 2012 pour faire des remarques. À moins que l’Union européenne n’y trouve à redire, le texte communiqué est aujourd’hui dans sa version quasi définitive [4]. Passé ce délai, la procédure française suivra son cours et n’attendra plus que la publication au JO pour rendre applicable le texte.
Or, il existe de réelles difficultés d’articulation entre ces deux textes.
Si le décret préconise deux seuils « sans OGM », 0,1% et 0,9%, l’arrêté quant à lui ne fixe pas explicitement de tels seuils. Il se contente de viser l’article L. 663-2 du Code rural et de la pêche maritime, lequel fait lui même référence au « seuil établi par la réglementation communautaire ». L’objectif implicite du texte est donc de 0,9%. Comment pourrait exister un étiquetage garanti inférieur à 0,1% sans des règles de coexistence en adéquation ? Selon une source du ministère de l’Agriculture, interrogée par Inf’OGM, rien n’empêche un agriculteur de vouloir « faire mieux » que le seuil de 0,9 % et de viser celui de 0,1%. En pratique, pas sûr que cela soit possible tant cet agriculteur sera dépendant de ses voisins. Ou alors cela signifie peut-être que pour le ministère de l’Agriculture, c’est à ceux qui souhaitent produire « sans OGM » d’assumer ce choix, et donc de prendre en compte les voisins, au besoin en instaurant des pratiques drastiques pour se protéger : décalage des semis, mise en place de barrières polliniques…
Le décret sur le « sans OGM » pose une obligation de résultat : l’exploitant qui n’a pas atteint le seuil prescrit ne pourra apposer l’étiquetage en question sur sa production (sauf pour l’apiculteur qui lui a une obligation de moyen : celle de ne pas avoir, dans un rayon de 3 km, la présence d’une culture GM). A l’opposé, l’arrêté « coexistence » n’établit qu’une obligation de moyen. Du coup, du simple fait d’avoir respecté les règles de coexistence (à savoir 50 mètres ou… ), un agriculteur ayant contaminé son voisin serait-il alors dédouané de toute responsabilité ? Cette interprétation de l’arrêté doit être mise en parallèle avec une autre disposition de la loi de 2008 : l’article 8 [5], en insérant l’article L. 663-4 dans le code rural et de la pêche maritime, introduit une responsabilité sans faute de l’exploitant agricole ayant causé la présence accidentelle de l’OGM qu’il cultive, dans la production d’un autre exploitant.
Cependant, cette disposition de la loi doit, elle aussi, être précisée par un décret en Conseil d’État qui déterminera les possibilités pour les exploitants de souscrire une garantie financière. Un texte d’autant plus attendu que certaines compagnies d’assurance, à l’instar de Groupama, ont d’ores et déjà fait savoir à leurs clients agriculteurs qu’elles ne couvriraient pas les risques liés aux contaminations.
L’adoption de cet arrêté sur la coexistence doit également être complété par un deuxième arrêté encadrant le contrôle du respect des conditions techniques de coexistence.
Face aux nombreux points techniques qui doivent encore être précisés, si la culture de maïs MON810 devait reprendre au printemps prochain, la paix dans nos campagnes serait loin d’être assurée. Si les règles de la coexistence non encore formellement adoptées sont impuissantes à faire respecter le seuil de 0,9% (et encore moins de 0,1%), ce seront les agriculteurs utilisant les OGM qui seront responsables. Sans assurances et sans garanties financières, cultiver des OGM semble alors un pari bien risqué !
[1] Décret n° 2012-128 du 30 janvier 2012 relatif à l’étiquetage des denrées alimentaires issues de filières qualifiées « sans organismes génétiquement modifiés », http://www.legifrance.gouv.fr/affic…
[2] C’était le cas de la marque Fermiers de Loué ou de soja et maïs en conserve (avec un seuil de garantie équivalent à celui de l’agriculture biologique : 99,1%).